Roland Dumas à Prague, bientôt 15 ans après la révolution de velours

Roland Dumas, Hans-Dietrich Genscher et Jiri Dienstbier, photo: CTK

L'ancien ministre français des Affaires étrangères, Roland Dumas, était à Prague la semaine dernière pour participer à une conférence avec ses homologues tchèque et allemand de la fin des années 80 et du début des années 90, un moment crucial dans l'histoire de la Tchécoslovaquie et du continent européen. Il a livré quelques souvenirs au micro de Radio Prague.

Roland Dumas,  Hans-Dietrich Genscher et Jiri Dienstbier,  photo: CTK
« Mon premier voyage en Tchécoslovaquie, comme ministre, remonte aux années 80, en 1984-85, quand j'étais pour la première fois au Quai d'Orsay - avant d'y revenir en 1988 après le changement - et je dois totaliser aujourd'hui plus d'une douzaine de visites à Prague et en République tchèque. Je dois dire que, et c'est peut-être dû au phénomène de l'âge, j'ai toujours considéré que la France avait une dette envers les Tchèques depuis longtemps, avant la guerre, et cela m'a obligé moralement à m'investir un peu plus, comme ministre. Et maintenant comme ancien ministre, je reviens très souvent et découvre chaque fois de nouvelles choses avec une grande joie. »

Vous étiez déjà ministre des Affaires étrangères lorsque François Mitterrand a tenu a rencontré les dissidents tchécoslovaques en 1988, lors d'un petit-déjeuner resté célèbre...

« Oui, en effet, c'est moi qui l'avais organisé. J'avais fait une première visite ici, du temps de l'ancien régime, et avais pris contact avec les dissidents. Revenu à Paris, j'avais dit à François Mitterrand : 'Il faut vraiment aller à Prague et exiger des autorités du moment de pouvoir rencontrer les opposants'. Cela avait donné lieu du reste à un accrochage assez sérieux avec le président Husak de l'époque, mais ils avaient cédé. Donc ce petit-déjeuner a eu lieu, il est resté célèbre et historique. J'en ai parlé encore hier avec Vaclav Havel, qui a bien voulu me recevoir. C'est resté comme un grand moment de l'histoire entre nos deux pays. »

Qu'est ce qu'il vous reste, à Vaclav Havel et à vous-même, de ce petit déjeuner ?

« Beaucoup de choses, on en a profité pour évoquer des anecdotes. Je lui ai rappelé que quand il est entré dans la salle à manger de l'ambassade, il s'est assis à table, à la gauche du Président François Mitterrand. Il a posé son petit baluchon, et s'est excusé auprès de lui en disant : 'Monsieur le Président, je m'excuse beaucoup, mais j'ai pris avec moi mes affaires de toilette parce que, on ne sait jamais, mais il est possible qu'en sortant d'ici, j'aille tout droit en prison.' C'est resté comme une anecdote, que je mentionnerai dans mes mémoires... »

Les Tchèques vont bientôt célébrer les quinze ans de la révolution de velours et du 17 novembre 1989. Vous reste-t-il des images fortes de cette période ?

« J'ai des images très fortes, notamment de la date que vous évoquez... J'étais ici pour les premières consultations électorales. Je me rappelle que je me suis promené à peu près toute la nuit, pour aller d'une radio à une autre. Il y avait toutes les radios étrangères qui étaient là. Nous étions avec M. Dienstbier, que je rencontre encore à chacun de mes voyages qui était le ministre tchécoslovaque des Affaires étrangères de l'époque, et nous avons, je dois dire, bien arrosé la victoire et le changement... On était un peu fatigué le lendemain matin... C'est une image très forte. Là j'ai vu le peuple tchèque en liesse, en joie, c'était vraiment quelquechose d'extraordinaire, c'était une libération. J'ai connu la Libération en France, libération d'un autre régime, et c'est tout à fait comparable dans mon esprit. Cette joie populaire, cet engouement, ces chants, les embrassades dans les rues, enfin c'est inoubliable. »

Jiri Dienstbier,  Hans-Dietrich Genscher et Roland Dumas,  photo: CTK
"Le temps où tous les Européens étaient joyeux, où les peuples n'enviaient pas les uns les autres, mais étaient conscients d'avoir tous une chance unique." C'est ainsi que l'ancien chef de la diplomatie allemande, Hans-Dietrich Genscher, a formulé, à Prague, son souvenir de la chute du totalitarisme en Europe. Lui-même, Roland Dumas et Jiri Dienstbier, le premier ministre des Affaires étrangères de la Tchécoslovaquie post-révolutionnaire, ont tous estimé que le processus d'intégration européenne était inévitable. Processus qu'ils continuent, d'ailleurs, à soutenir.

Retrouvez l'intégralité de cet entretien le mois prochain dans notre émission spéciale consacrée aux 15 ans de la révolution de velours.