L'histoire de la communauté ukrainienne sur le territoire tchèque
La crise politique dans laquelle est plongée l'Ukraine depuis l'élection présidentielle et le danger de scission qui guette ce pays de plus de 50 millions d'habitants est suivie en Tchéquie avec un intérêt particulier, notamment pour des raisons historiques: pendant 20 ans, de 1918 à 1939, une petite partie de l'Ukraine occidentale a appartenu à la République tchécoslovaque et l'immigration ukrainienne dans notre pays remonte à déjà bien longtemps.
Les traces de la présence ukrainienne en Bohême et en Moravie remontent au XVIe siècle, lorsque mercenaires et étudiants commencèrent à s'y installer. La migration a gagné en intensité après l'annexion de Halic, région de l'Ukraine occidentale, à l'Autriche-Hongrie. Ainsi, pendant un certain temps, l'Ukraine, la Bohême, la Moravie et la Silésie faisaient partie du même ensemble - l'Autriche-Hongrie. Après la Première Guerre mondiale, lorsque la République ouest-ukrainienne ayant son centre à Lvov est née, Tomas Garrigue Masaryk a été l'un des rares politiciens européens à soutenir son existence. L'occupation par les bolcheviques a mis fin à sa courte existence et beaucoup d'Ukrainiens allèrent chercher un asile en Tchécoslovaquie. C'est à Prague qu'a déménagé l'Université libre d'Ukraine et où se trouvait aussi l'Institut ukrainien de hautes études pédagogiques. La diaspora a eu encore son lycée, à Revnice près de Prague, et son académie économique à Podebrady. Des dizaines d'associations ukrainiennes ont alors vu le jour à Prague. La communauté ukrainienne de la première moitié du XXe siècle était très active dans le maintien de sa culture et dans le soutien des aspirations de l'Etat ukrainien pour l'indépendance politique.
L'appartenance de l'Ukraine subcarpatique à la première République tchécoslovaque a joué un grand rôle dans la formation d'élites ukrainiennes. Leurs leaders, avec en tête Augustin Volosin, sont restés fidèles à cette république et à l'opposé de la Slovaquie, qui a créé un Etat libre, ils s'opposèrent jusqu'en mars 1939 à l'occupation de la Tchécoslovaquie. Un triste épilogue a été la cession d'après-guerre de l'Ukraine subcarpatique aux Soviétiques et l'obligation de livrer les politiciens ukrainiens au KGB ce qui équivalait, dans la plupart de cas, à une mort certaine.
L'activité des associations d'émigrés ukrainiens en Tchécoslovaquie a été étouffée une nouvelle fois pendant le séjour dit temporaire de troupes soviétiques sur notre territoire. Ce n'est qu'après 1989 qu'une première association a vu le jour. Aujourd'hui, elles sont au nombre de quatre et celle qui s'appelle l'Initiative ukrainienne fait paraître depuis 10 ans un journal, Porohy.
L'actuelle communauté ukrainienne est la deuxième dans le pays, derrière les Slovaques: elle compte plus de 50 000 membres, soit 25% de tous les ressortissants étrangers séjournant légalement sur notre territoire. Mais force est de constater que la présence ukrainienne actuelle est remarquée par les Tchèques presque uniquement par l'intermédiaire d'un puissant groupe d'ouvriers travaillant, dans leur majorité, dans l'industrie du bâtiment. Il ressort d'un vaste sondage que leur connaissance de langues étrangères est faible ainsi que leur vie culturelle. Or dans l'histoire, il n'en était pas ainsi: la présence ukrainienne, c'était des grandes figures des lettres, des sciences et de l'histoire.
Trois grandes personnalités ont uni leurs activités et leur vie avec Prague, à la fin du XIXe siècle: le professeur Ivan Horbatchevskyj, originaire de Halic, professeur à l'Université de Prague et éminent spécialiste en chimie médicale, auteur du premier manuel tchèque de cette discipline. Il a élevé plusieurs générations de disciples et au début du XXe siècle, il a été élu recteur de l'Université pragoise. Horbatchevskyj a passé 60 ans de sa vie à Prague. Ses mérites ne sont pas oubliés: au printemps de cette année, une plaque a été dévoilée dans un des bâtiments de l'hôpital universitaire, rue Katerinska, à l'occasion du 150e anniversaire de sa naissance.Dans une autre partie de Prague, à Letna, a trouvé refuge Mychajlo Hrusevskyj, reconnu jusqu'à nos jours en tant qu'auteur de la plus complète synthèse sur l'histoire ukrainienne. Il a aussi été un important organisateur de la vie culturelle et politique ukrainienne. Dans les années 1907 - 1918, il a présidé le conseil central - le premier parlement ukrainien siégeant à Kiev, et il aurait eu toutes les chances de devenir le premier président ukrainien, mais il a été contraint de partir en exil. Durant son séjour en Bohême, Hrusevskyj a cherché à être un unificateur de la diaspora ukrainienne. Il a établi des contacts avec les milieux politiques et intellectuels tchèques. Le président Masaryk l'a reçu en audience. Les séjours pragois de Hrusevskyj sont rappelés depuis la moitié des années 1990 par une plaque au coin de la rue Dobrovskeho, dans le quartier de Letna.
La génération de jeunes Ukrainiens ayant pris part à la lutte pour l'indépendance et contraints, finalement, de quitter l'Ukraine, a eu, elle aussi, une forte représentation à Prague, au début du siècle écoulé. Ainsi, Ivan Borkovskyj a profité des possibilités offertes alors par la première République tchécoslovaque pour venir étudier à Prague. Il a fait ses études à l'Université Charles et à l'Université libre ukrainienne, dont il est devenu plus tard le recteur. Dans sa discipline, l'archéologie, il a beaucoup profité à la science tchèque. Le passé le plus éloigné du Château de Prague n'aurait jamais pu être retracé d'une façon aussi précise et détaillée, sans la contribution de Borkovskyj. Ayant été l'un des rares Ukrainiens à ne pas être entraîné, après 1945, en URSS, Borkovskyj a pu rester à Prague et terminer ses recherches. De nos jours il fait partie des figures reconnues de l'archéologie tchèque.