Les rescapés tchèques du ghetto de Lodz se souviennent...

Le ghetto de Lodz, photo: Henryk Ross
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Retour, une fois de plus, aux célébrations du 60e anniversaire de la libération du camp de la mort d'Auschwitz, mais cette fois-ci en passant par la ville polonaise de Lodz, ville où ont vécu, avant l'éclatement de la Seconde Guerre mondiale, plus de 250 000 Juifs et 60 000 Allemands. En 1940, les nazis y ont créé le deuxième plus grand ghetto juif après celui de Varsovie. Un ghetto meurtrier, un camp de travail des plus durs, mais qui n'était, en réalité, qu'un point de passage. De Lodz, des convois partaient régulièrement en direction d'Auschwitz-Birkenau... Le ghetto comptait, en pleine guerre, près de 150 000 Juifs, en grande majorité d'origine polonaise. Mais il y avait parmi eux aussi des déportés tchèques, des familles avec enfants, tous expédiés depuis Prague à l'automne 1941.

Ils étaient 5000. Des 300 rescapés, il n'en reste, en Tchéquie, qu'une poignée. Cinq d'entre eux, trois femmes et deux hommes, ont accepté de parler des terribles moments de leur enfance et adolescence devant le public pragois. Cela c'est passé jeudi soir, à la Galerie Langhans, à Prague, qui abrite, jusqu'au 19 février, les photographies du ghetto de Lodz signées Henryk Ross.

Vera Arnsteinova raconte...

"A Lodsz, on vivait, certes, en famille, mais dans une famine atroce. Les rations étaient très petites, on devait travailler dur et, en plus, les riches nous volaient la nourriture. On nous donnait des quantités suffisantes pour ne pas mourir tout de suite, mais pour ne pas non plus rester en vie trop longtemps. Moi, avec ma copine Maja, ici présente, nous cousions, à 13, 14 ans, des uniformes allemands. Sinon, nous, les Tchèques, on ne se voyait pas trop, on était dispersés parmi les Polonais, on a appris le polonais en un mois. Quand ils mourraient, on recevait leurs vêtements, on habitait dans leurs maisons. Avec mes parents, on vivait sur 10m², dans le froid, avec des poux et punaises omniprésents. On souffrait, à part la famine, de la jaunisse et de la typhoïde. Le plus redouté était quand même le typhus. Nous avons survécu grâce à la discipline rigoureuse qu'observait ma mère : pas question de manger tout le pain en un jour! Elle faisait tout pour nous tenir le plus propre possible. Pourtant, l'eau faisait défaut, il y avait un puits pour dix immeubles. La vie était très difficile..."

Les rescapés tchèques sont unanimes : si, à Lodz, la vie a été difficile, invivable presque, à Auschwitz-Birekenau, où ils ont tous été déportés en août 1944 et ont perdu, pour la plupart, leurs parents, ça été la vraie descente aux enfers, et surtout la perte absolue de la dignité humaine...

« Avez-vous pu, un jour, pardonner aux Allemands? », a demandé le public. Les femmes oui. Vera Pollakova s'est souvenue des filles allemandes qu'elle avait vues, après la guerre, en Grande-Bretagne, s'occuper d'aveugles d'origine juive. Maja Randova a parlé de deux jeunes soldats allemands qui les avaient surveillés, eux, les déportés juifs, dans le train, lors d'un transport, et qui leur apportaient de l'eau et des fruits volés. Et quant à Mario Petrovsky...

"Moi, je n'ai aucun souvenir 'humain' des Allemands. Pendant un quart de siècle au moins, après la Libération, je n'ai rien voulu avoir de commun avec eux. J'attendais l'arrivée d'une nouvelle génération. Mais dans la mienne, je les condamne tous, l'un comme l'autre, je ne fais pas de différence. Vous savez, quand j'ai passé mon voyage de noces en Bulgarie, quinze ans après la guerre, et que j'ai vu, sur la plage, des Allemands se baigner, avec les tatouages en-dessous du bras que portaient les nazis, ce sont des choses qui ne s'oublient pas."

En fin d'année dernière, les survivants tchèques sont retournés à Lodz, où l'on a célébré, pour la première fois, la liquidation du ghetto. Ils ont découvert une ville nouvelle, ainsi que les vestiges de l'ancienne, avec des maisons aussi vétustes, paraît-il, qu'à leur arrivée au ghetto en 1941. Ils ont également bien remarqué les images et inscriptions antisémites (bien que la ville ne compte à présent que quelque 300 Juifs) badigeonnées à l'occasion des célébrations... Eh oui, les retours ne sont jamais faciles. Le dernier mot appartient à Vera Arsteinova :

"Après la guerre, j'avais 17 ans. Je me souviens avoir eu des réactions inverses que les autres gens : quand les autres pleuraient, moi je riais. Et au contraire. Dans ma vie active, je m'efforçais d'oublier. Mais depuis que je suis à la retraite, j'y pense sans cesse. Ces quatre années resteront gravées en moi pour toujours."

Auteur: Magdalena Segertová
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