Les XXes Deaflympic games, Jeux olympiques des sourds, se sont tenus à Melbourne, du 5 au 16 janvier. Plus de 3500 sportifs de 75 pays, dont 29 tchèques, ont participé au deuxième plus ancien événement multisport au monde, organisé pour la première fois à Paris, en 1924. A leur retour à Prague, les quatre représentants tchèques, qui ont ramené six médailles d'Australie, ont été présentés à la presse et reçus par le président du Sénat, Premysl Sobotka, en présence de Radio Prague.
Si Jeux olympiques et même paralympiques sont familiers du grand public, en revanche rares sont ceux, même parmi les amateurs de sport, à savoir que les sourds organisent depuis désormais plus de quatre-vingt ans leurs propres compétitions internationales. Cette année, après Rome en 2001, et avant Taipei en 2009, les jeux « silencieux » se sont déroulés à Melbourne. Un événement sportif à part entière qui gagne à être connu, comme l'explique le président exécutif du Comité Paralympique Tchèque, Frantisek Janouch : « Nous faisons tout ce qui est en nos moyens pour la promotion de ces Jeux, et je pense que, d'après le succès rencontré, nous y parvenons plutôt bien. Je n'ai donc pas l'impression qu'il s'agisse d'une manifestation secondaire, qui n'intéresse personne. En plus, ces Jeux ont un grand avantage : tandis que les Jeux olympiques et paralympiques se déroulent lors des années paires, les Jeux des sourds sont, eux, organisés lors des années impaires, c'est à dire des périodes qui sont traditionnellement creuses pour l'olympisme. Et même s'il s'agit d'une manifestation de moindre importance sur de nombreux plans, au niveau marketing, nous en tirons quand même des avantages indéniables. »
Frantisek Janouch
Malgré ces efforts, les Deaflympic games ne bénéficient pourtant que d'un faible intérêt des médias. La faute, en partie, à une méconnaissance de l'importance de l'handicap que constitue la surdité. L'une des principales questions relatives à la légitimité des JO des sourds est d'ailleurs souvent de savoir pourquoi les sourds pratiquent leur activité à l'écart des autres sportifs « valides » physiquement. « C'est difficile à expliquer, mais je vais dire les choses telles qu'elles sont, explique Frantisek Janouch. Toutes les associations de personnes handicapées se retrouvent, de temps à autre, dans des situations de conflit. Et cela à cause d'une question très étrange: qui est le plus handicapé ? En République tchèque, nous avons résolu ce conflit en nous mettant d'accord pour ne plus en parler. C'est la seule solution raisonnable, car autrement, c'est une question à laquelle il n'est pas possible de répondre objectivement. Quoiqu'il en soit, l'UNESCO a réalisé une étude et a mesuré l'importance des différents handicaps selon des critères plus ou moins fiables. Il en est ressorti que les personnes les plus handicapées sont les handicapés mentaux, ensuite les sourds, et, seulement après, les autres handicapés. Pourquoi en est-il ainsi ? Imaginez que vous êtes quelqu'un qui n'entend rien du tout. Depuis que vous êtes tout petit, vous utilisez la langue des signes pour vous exprimer. Cette langue constitue votre monde, votre univers. Mais la langue des signes est un monde dans lequel, par exemple, les verbes ne sont pas conjugués, ils sont tous à l'infinitif. Il s'agit donc d'une langue et d'un monde très primitifs. Et vous, dans ce cadre limité par un vocabulaire limité, vous découvrez un autre monde, extérieur au vôtre, différent de celui dans lequel vous vivez et avez toujours vécu. Lorsque vous arrivez à l'école, par exemple, on vous apprend à lire. C'est une situation comparable à celle que nous, Tchèques plus anciens, avons connue lorsque nous étions forcés d'apprendre le russe. Seulement, à la sortie de l'école, nous ne nous rappelions plus un seul mot de russe et parlions tchèque. Pour les sourds et muets, c'est la même chose, dès qu'ils sortent de l'école, ils communiquent de nouveau avec les signes. Ils apprennent donc à lire, mais c'est la même chose que pour une langue étrangère. Si vous ne la pratiquez pas, vous l'oubliez. C'est pourquoi la grande majorité des personnes qui n'entendent pas ne savent pas lire, et ce malgré le fait qu'ils aient appris à le faire à l'école. Par conséquent, ils vivent et raisonnent dans leur propre monde, primitif, avec des verbes à l'infinitif. Et c'est aussi pour cette raison qu'ils pratiquent leur sport séparément, parce qu'ils ont leur propre monde. »
Cette volonté, côté sourds, d'affirmer cette différence culturelle et physique, exprimée de par le monde au travers d'un grand communitarisme et de la langue de signes, n'est pourtant pas la seule raison de la tenue de leurs propres compétitions sportives. « Le principe repose sur l'idée que les athlètes disposent des mêmes chances pour réaliser des performances, précise le président du Comité paralympique tchèque. Si vous vivez dans ce monde, celui des sourds, qui est aussi limité au niveau de la communication, avez-vous une chance d'acquérir le même sens de la combativité, les mêmes qualités mentales, morales, que les autres, des qualités indispensables en sport notamment ? Sur le fond, ce n'est pas possible. C'est un peu la même chose que pour un handicapé mental qui n'aura jamais les mêmes capacités mentales que, par exemple, un sportif qui a fait du sport de haut niveau en ayant toutes ses capacités physiques avant d'avoir un accident qui l'oblige à se déplacer en fauteuil roulant. Certes, les deux personnes sont handicapées, mais si cette personne handicapée physiquement parvient, après un certain temps, à vaincre son spleen, à retrouver goût au sport et à trouver une activité qui convient à son handicap, elle conservera un avantage, car elle aura conservé ses qualités mentales, ses habitudes d'entraînement que les handicapés mentaux et les sourds ne peuvent pas acquérir. C'est toute la différence. »
Notons que pour être admis aux compétitions internationales, un sportif est considéré comme sourd s'il a subi une perte d'audition de 55 décibels ou plus dans sa meilleure oreille. En République tchèque, 4000 athlètes sont licenciés à la Fédération sportive des Sourds-muets. A Melbourne, quatre de leurs représentants, parmi lesquels trois femmes, ont obtenu six médailles, cinq en athlétisme, dont trois d'or, une d'argent et une de bronze, et une de bronze en cyclisme. Enfin, au classement général des nations, la République tchèque a terminé à la vingt-et-unième place.