L’Institut français de Prague fête ses 100 ans !
L’Institut français de Prague célèbre cette année son centenaire. L’occasion de revenir sur les principales étapes d’une histoire qui continue de s’écrire aujourd’hui au numéro 35 de la rue Štěpánská.
Pour comprendre et apprécier l’histoire passionnante de l’Institut français de Prague, il faut remonter au mois d’octobre 1920. Cette année-là, lors d’un voyage dans le tout jeune Etat tchécoslovaque, Ernest Denis, un historien français de la Bohême et directeur de la revue française La Nation tchèque, fonde et prend la direction de l’Institut Ernest Denis, futur Institut français. L’historien, autodidacte dans la discipline des études slaves, est issu d’une génération marquée par la défaite française de 1870 contre la Prusse.
Après la Première guerre mondiale, alors que les Alliés sortent vainqueurs de la guerre contre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, la France est le tout premier État à reconnaître officiellement la Tchécoslovaquie et Ernest Denis y contribue. Aux côtés d’un autre historien slavisant, Louis Léger, et de l’historien Albert Sorel, ils font connaître ensemble la cause tchèque en France. Luc Lévy, l’actuel directeur de l’Institut français de Prague, nous rappelle le rôle fondamental qu’Ernest Denis a joué dans la construction de l’Etat tchécoslovaque :« Dans mon bureau, on peut voir le portrait d’Ernest Denis dont le prénom avait été même « tchéquisé ». Sur le portrait que nous voyons, il est indiqué « Arnošt Denis ». Très tôt il a cherché et réussi à mobiliser les milieux académiques mais aussi politiques en France en faveur des aspirations pour l’indépendance de la nation tchèque. Il a joué un rôle si important de ce point de vue que le premier Président tchécoslovaque Masaryk l’avait qualifié en tchèque de « duchovní vůdce českého národa » ce qui veut dire le « chef spirituel de la nation tchèque. »
Déjà en 1919, l’engagement diplomatique et intellectuel d’Ernest Denis avait été récompensé par le président Tomáš Masaryk qui avait offert une donation à l’Université de Paris pour qu’Ernest Denis, alors professeur à la Sorbonne, crée l’Institut des études slaves à Paris, rue Michelet.Dans une lettre à Tomáš Masaryk qui date de 1920, Ernest Denis écrit : « Comme c'était le cas au Moyen Âge, l'université de Paris et de Prague vont s'unir dans l'effort commun (…) des pensées et du progrès et seront à même de dominer les pouvoirs sombres et violents ». Mais malheureusement, Ernest Denis ne pourra voir son projet aboutir. En 1921, il décède des suites d’une maladie à l’âge de 71 ans.
A l’aube des années 1920, l’Institut français de Prague connaît des débuts difficiles. Comme l’explique l’historien Antoine Marès dans un article de l’ouvrage collectif Une histoire de l’Institut français de Prague (Les Cahiers de la Štěpánská, 1993), on peine à cette époque à trouver des locaux suffisamment grands et adaptés.
C’est l’Alsacien Louis Eisenmann, proche collaborateur d’Ernest Denis qui est finalement nommé directeur de l’Institut. Ce professeur d’histoire et de civilisation slave à la Sorbonne contribue dans les années 1920 au développement des activités de l’Institut français de Prague. Cité par Antoine Marès, Louis Eisenmann affirme en 1924 « qu’il est nécessaire que l’Institut modifie son orientation. Il est en train de s’anémier parce qu’il n’a aucun rapport avec l’Université tchèque et que les étudiants n’y viennent pas ». Luc Lévy nous parle de la façon dont l’Institut français fonctionne à l’époque d’Eisenmann :
« Il faut savoir qu’à l’époque, l’Institut français de Prague, à la différence de ce qu’il est aujourd’hui, était une sorte d’université. C’était un lieu où l’on pouvait apprendre la langue française mais où l’on faisait aussi du droit. Il y avait un enseignement dans les autres matières académiques dans le domaine des sciences humaines. Effectivement, définir l’Institut dans ses premières années comme une université est la meilleure façon de dire ce qu’était cette structure à ce moment-là. »
Vladimir Jankélévitch et Hubert Beuve-Méry
Le numéro 35 de la rue Štěpánská ne devient le siège permanent de l’Institut qu’en octobre 1930.A cette époque, l’établissement peut compter sur la présence de deux professeurs devenus plus tard des figures incontournables de la vie des idées en France et à l’étranger : le philosophe Vladimir Jankélévitch et le journaliste Hubert Beuve-Méry.Vladimir Jankélévitch, arrivé à Prague en 1927, enseigne la philosophie à l’Institut en parallèle de la rédaction de sa thèse sur Schelling. Dans un court extrait du livre audio Un homme libre, l'immédiat, la tentation, basé sur des archives radiophoniques, Vladimir Jankélévitch revient sur son passage à Prague :
« J’ai notamment fréquenté beaucoup de philosophes russes quand j’habitais Prague, dans mon jeune temps. J’ai habité cinq ans cette ville merveilleuse. Et à cette époque-là, il y avait encore une université russe entretenue par le gouvernement tchécoslovaque, Panská ulice à Prague »Hubert Beuve-Méry arrive quant à lui dans la ville un an après Jankélévitch. Le futur fondateur du journal Le Monde, qui est correspondant à cette époque au Petit Journal ou encore au Temps, enseigne le droit international à l’Institut. De 1932 à 1938, il participe aussi à la direction de la Revue française de Prague. Laurent Greilsamer, le biographe d’Hubert-Beuve Méry, affirmait au micro de Radio Prague Int. en 2015 :
« Ce qui est important et décisif, c’est sa collaboration avec une revue qui s’appelle Politique. C’est là qu’il analyse la montée du fascisme et qu’il observe le basculement de l’Europe Centrale dans les griffes des nazis. Ces analyses dans les années 1930 sont prémonitoires. C’est l’un des premiers qui voit à quel point Berlin va l’emporter dans les années 1940. »Après les Accords de Munich, le 15 mars 1939, l’armée allemande entre dans Prague. Le 16 mars, la Tchécoslovaquie devient le Protectorat Bohême-Moravie sous le joug nazi.
Bien que l’Institut français ferme ses portes à cette époque, aucun pillage n’a lieu ; sa bibliothèque reste intacte.
L'IFP fermé en 1951 par le régime communiste
Après la libération en 1945, même si la guerre a laissé de nombreuses traces, les activités de l’Institut français reprennent peu à peu. En témoigne la création du premier festival du film français en 1946. C’est en effet à cette même période que l’Institut français intensifie sa vocation culturelle tournée autour de conférences, du cinéma ou du théâtre.
Mais la situation se complique en février 1948 après le Coup de Prague. La culture française ainsi que les milieux intellectuels se voient rapidement discrédités par les autorités communistes. Arrivée à Prague en 1947, Yvetta Hendrichova, une Française née en 1929 de parents tchèques a fréquenté l’Institut français. Elle nous raconte les conditions de vie à Prague après la guerre et l’occupation soviétique.
« Quand il y a eu ce changement de régime, on était suivis parce que l’on venait de l’étranger. On avait des amis Français que l’on respectait comme des amis et que l’on fréquentait. Mais on n’élargissait pas les rapports. Il y a eu même un moment où mon mari, pour ces raisons-là, a arrêté de fréquenter l’Institut. »
Les pressions sont telles que l’Institut français est contraint de fermer ses portes en 1951, après avoir été accusé d’être un centre d’espionnage au service des Occidentaux.
L’Institut ne rouvrira officiellement ses portes qu’en 1990.
"Un peu de France en République tchèque"
Lors de la soirée de lancement du centenaire, organisée le 3 mars à l’Institut français de Prague, nous sommes allés à la rencontre des visiteurs. John, un expatrié australien, est un fidèle de l’Institut français :« Nous sommes ici avec les Français pour célébrer cent ans de culture, de réussite française en République tchèque. Nous buvons actuellement un vin français merveilleux. Santé à la France ! Je viens généralement à l’Institut français lors des événements culturels, pour assister à des films, des rencontres ou bien des conférences. Je vois que le gâteau d’anniversaire du centenaire de l’Institut rencontre un franc-succès. Je vais probablement prendre une part et célébrer les cent prochaines années ! »
Michal, un lycéen tchèque qui étudie à Dijon est quant à lui issu d’une famille tchèque francophile. Il nous explique son rapport à l’Institut français et ses études en France :
« Pour moi l’Institut français de Prague, c’est un peu la France en République tchèque. C’est vraiment l’endroit où l’on peut trouver des Français, où l’on peut parler en français, où l’on peut lire en français. On peut s’y rencontrer, prendre un café, débattre tranquillement dans un endroit qui est très sympathique je trouve.« J’ai passé le concours organisé par l’Institut français de Prague, c’est aussi la raison pour laquelle je suis là. J’ai été choisi par le jury pour pouvoir faire mes études en France, à Dijon. On apprend les choses différemment. Le système éducatif français est un peu différent de celui que l’on connaît en République tchèque. »