Une maçonne hors-pair messagère du bonheur, Oiseau de l’année 2020 en Tchéquie
En tchèque, elle s’appelle « jiřička obecná », deux mots bien compliqués à prononcer et à retenir pour les non tchécophones. Pourtant, ces deux mots désignent un oiseau très proche de l’Homme et tout ce qu’il y a de plus commun dans nos paysages européens. Ou plutôt tout ce qu’il y avait, car l’hirondelle de fenêtre figure, elle aussi, sur la liste rouge des espaces menacées de disparition. Depuis plusieurs années déjà, en Europe centrale notamment, un important déclin des effectifs de cette espèce de passereau est constaté, et c’est une des raisons pour lesquelles l’hirondelle de fenêtre a été récemment désignée « Oiseau de l’année 2020 » par la Société tchèque d’ornithologie (ČSO). En 2010, le même choix avait été fait en Suisse. Vice-directeur de l’Association suisse pour la protection des oiseaux, membre comme la ČSO de l’ONG internationale BirdLife, François Turrian nous en dit plus sur cette «maçonne hors-pair messagère du printemps et du bonheur » :
« L’hirondelle de fenêtre est un oiseau très proche de l’Homme. On la rencontre fréquemment dans les villages et même les très grandes villes. C’est un oiseau que l’on peut identifier assez aisément à sa petite taille, son plumage noir - si on le regarde au soleil, on peut voir qu’il y a des reflets métallisés bleus. Le dessous du corps est blanc. L’oiseau présente également un croupion blanc, une tache blanche très visible au-dessus de la queue. Celle-ci n’est pas aussi longue que celle de l’hirondelle rustique, ce qui permet donc de la distinguer de sa cousine. »
« C’est un oiseau très grégaire, que l’on peut rencontrer lorsque les oiseaux volent en groupe. Ce sont fréquemment plusieurs oiseaux, voire des dizaines d’oiseaux ensemble, qu’il est possible de contempler dans nos agglomérations. »
Quelles sont les raisons qui, en 2010, vous avaient poussés à faire de l’hirondelle de fenêtre l’oiseau de l’année en Suisse ? Quand on étudie un peu les raisons ici en République tchèque, on s’aperçoit que ce sont les mêmes que celles qui étaient les vôtres en Suisse il y a dix ans…
« Birdlife Suisse avait profité de la révision de la liste rouge des oiseaux menacés, et de la révision de la liste des espèces prioritaires, puisqu’en 2010 l’hirondelle de fenêtre avait fait son apparition comme oiseau de la liste rouge et espèce prioritaire. Nous nous sommes rendu compte que les effectifs étaient en déclin. Cet oiseau qui dépend essentiellement du bon vouloir de l’être humain pour sa nidification, était en péril, puisqu’il était victime, et reste toujours victime dans une certaine mesure, du fait qu’il ne soit pas toujours le bienvenu sur les habitations, qu’il colonise les avant-toits. Des nids sont toujours détruits chaque année. »« L’oiseau a aussi de la peine à trouver des insectes qui constituent sa nourriture. On assiste hélas à une baisse très impressionnante des quantités d’insectes, notamment des insectes volants, qui constituent la nourriture des hirondelles. »
« Le troisième facteur est le manque de possibilités pour l’oiseau de pouvoir trouver des sites de nid favorables, à cause des bâtiments très modernes. Nous construisons de plus en plus des bâtiments sans avant-toit, des cubes de béton et de verre qui ne conviennent pas du tout à cet oiseau, qui a besoin d’une structure pour accrocher son nid. C’est un nid absolument extraordinaire, qui est formé de 900 boulettes de terre que les hirondelles vont patiemment chercher dans les endroits humides et qu’elles façonnent ensuite avec leur salive pour en faire un véritable mortier. On peut dire des hirondelles qu’elles sont des maçonnes hors-pair. Elles utilisent cette caractéristique à profit pour autant qu’elles trouvent des endroits appropriés et notamment donc des avant-toits. »
« Les salissures sur leurs maisons dérangent les gens qui s’installent à la campagne »
Comment la situation a-t-elle évolué en l’espace de dix ans ?
« Actuellement, de gros efforts de conservation sont menés à Birdlife Suisse. Nous nous rendons compte maintenant qu’il y a davantage d’oiseaux qui nichent dans des nichoirs que d’oiseaux qui construisent eux-mêmes leur nid. D’autre part, il y a des problèmes récurrents de pertes de colonies. Actuellement, il semble que l’oiseau ait de nouveau retrouvé une certaine stabilité grâce à ces efforts de protection qui portent leurs fruits. Nous aimerions les étendre pour arriver à sauver de manière durable l’hirondelle de fenêtre et ses cousines. »
« Il faut aussi agir sur l’offre en nourriture, qui nous pose plus de soucis puisqu’il y a une grosse diminution des insectes. C’est seulement en limitant les pesticides, voire en les supprimant, et également en ayant des mesures pour favoriser les prairies fleuries, les espèces végétales indigènes qui attirent les insectes, que l’on arrivera à inverser la tendance. »
Vous dites que l’hirondelle de fenêtre est un oiseau mal vu en raison de ses nids qui tachent les murs. Quelles sont donc les mesures de protection que l’on peut prendre ?« Beaucoup de gens adorent les hirondelles. Mais il y a aussi des gens, notamment ceux qui s’installent en campagne, qui sont plus éloignés de la nature et qui ont ces problèmes liés aux salissures que font les oiseaux lorsqu’ils nidifient sur les fenêtres ou sur les façades. Pour résoudre ce problème, il y a une mesure assez simple qui consiste à poser des planches de protection à une cinquantaine de centimètres sous les nids. Ces planches vont intercepter la plupart des fientes des oisillons et ainsi protéger la façade. Ce n’est pas très compliqué à installer, et cela permet dans la plupart des cas de réduire fortement ces salissures. »
« Chaque année, les personnes âgées attendaient le retour des hirondelles »
L’hirondelle de fenêtre est une grande migratrice, on dit d’elle qu’elle annonce le printemps. Voyez-vous une évolution par rapport à son retour en Europe, normalement en avril-mai, en raison de l’évolution des conditions climatiques ? Revoit-on aujourd’hui l’hirondelle plus tôt dans l’année dans nos régions ?
« C’est plutôt le cas de sa cousine, l’hirondelle rustique, qui a tendance à passer parfois l’hiver en Europe méridionale, alors qu’autrefois toute la population passait l’hiver en Afrique tropicale. Chez l’hirondelle de fenêtre, c’est un peu moins net. Mais évidemment, nous constatons quand même que les changements climatiques, ‘la destruction climatique’ comme disent certains puisqu’elle est d’origine humaine, impactent les oiseaux migrateurs. »
« Certains reviennent effectivement plus tôt, mais encore faut-il, lorsqu’ils arrivent, qu’ils trouvent suffisamment d’insectes à disposition. Il faut rappeler que la plupart des oiseaux, et les hirondelles en sont un bon exemple, ne se nourrissent que d’insectes. Le sort des insectes et des oiseaux est donc intimement lié. Les bouleversements climatiques modifient un peu ces équilibres, donc ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour les oiseaux s’ils rentrent plus tôt d’Afrique. »Dans la grande majorité des cas, année après année, quelles que soient les espèces choisies, ce sont toujours plus ou moins les mêmes menaces qui sont avancées. L’amoureux des oiseaux que vous êtes est-il donc pessimiste au vu de l’évolution générale de la situation ?
« Disons que je ne suis pas très optimiste. Des facteurs extrêmement puissants sont à l’œuvre sur la planète et impactent la biodiversité : c’est la déforestation, l’agriculture extrêmement intensive, les incendies à grande échelle volontaires ou pas… En Océanie, dans les îles du Pacifique, il y a le problème des espèces introduites invasives. Nous pouvons parler de l’utilisation importante des produits chimiques dans l’environnement… Même si certains font des efforts, parfois même importants, aucun de ces facteurs n’a tendance à diminuer. »
« Globalement, cela reste autant de facteurs considérables de la diminution de la biodiversité et les oiseaux en sont d’excellents indicateurs. On se retrouve désormais avec de très longues listes rouges avec environ 1 500 espèces, ce qui signifie qu’elles sont plus ou moins menacées de disparition à brève échéance. Il est par conséquent difficile d’être très optimiste. »« Par contre, nous sommes aussi obligés de reconnaître qu’il faut agir et s’efforcer de sensibiliser toujours plus de monde, car chacun à son niveau peut jouer un rôle. En Tchéquie aussi, des citoyens peuvent essayer de défendre la cause des hirondelles en posant des nichoirs ou en informant du rôle de cet oiseau. Ouvrir son cœur aux oiseaux et plus généralement au monde vivant permet de vivre mieux et en meilleure harmonie avec le monde qui nous entoure. »
Pour ce qui est concrètement de l’hirondelle, beaucoup de gens remarquent quand même sa disparition progressive du paysage et y sont souvent très sensibles…
« C’est vrai, car les hirondelles sont des messagères du printemps. Les personnes âgées notamment attendaient de manière récurrente, année après année, leur retour. Aussi parce que les hirondelles étaient considérées comme des messagères du bonheur. C’était un bon présage pour les gens qui avaient des colonies d’hirondelles sur leurs bâtiments. Que dire, sinon qu’il faut espérer que cela redevienne un peu cela. Au même que les cigognes, ce sont des oiseaux qui sont très étroitement et intimement liés à nos activités. La sensibilisation à la protection des oiseaux commence par ces espèces qui nous fréquentent et utilisent notre cadre de vie pour vivre et survivre. »