Exposition : Mirek M. et ses voyages (extra)ordinaires à Genève et à la frontière tchéco-morave
Des visages d’hommes et de femmes voyageant quotidiennement dans un bus genevois, des portraits de quidams aux traits parfois réalistes, d’autres fois parodiques, mais aussi des considérations philosophiques et des écrits calligraphiques sur des sujets aussi variés que l’histoire de l’art, des notes autobiographiques, des recettes de cuisine ou encore des citations de poètes. C’est tout cela à la fois que combinent les dessins de l’artiste genevois d’origine tchèque Mirek M., alias Vincent Dugogh, exposés pour la première fois en République tchèque. Intitulée « Voyage, voyage », l’exposition est à découvrir au Musée de la région de Vysočina à Jihlava jusqu’au 29 mars prochain.
C’est un retour exceptionnel : après près de trente ans d’absence, Mirek M., dessinateur tchéco-genevois souvent désigné sous son pseudonyme Vincent Dugogh, s’est rendu, la semaine dernière, dans son pays d’origine pour y présenter au public tchèque des dessins et des extraits de ses carnets de voyage. Ceux-ci racontent ses observations et ses expérimentations quotidiennes dans la deuxième plus grande ville suisse.
Plus généralement, « exceptionnel » est aussi un adjectif qui permet de qualifier l’ensemble du parcours de cet artiste insolite. Homme charismatique aux longs cheveux gris et à la barbe blanche, Mirek M. est né à Prague en 1953. Enfant, il s’ennuie à l’école et dessine alors dans ses cahiers pour mieux faire passer le temps. Comme il le raconte, son attitude antisystème peu appréciée dans la Tchécoslovaquie communiste bouleverse très vite sa vie et lui donne une nouvelle orientation :« J’ai d’abord été apprenti-serrurier et j’ai commencé à travailler dans une usine, ce qui était assez dur. Ensuite, en voulant échapper au service militaire obligatoire, je me suis fait interner dans un asile où on m’a libéré non seulement de mes obligations militaires mais aussi de ma carrière de serrurier… »
C’est à cette époque que Mirek décide d’intégrer l’École d’art de Václav Hollar, où il entame une formation en graphisme et calligraphie. Il y trouve là, dit-il, une deuxième famille. Diplôme en poche, il commence à travailler comme graphiste. Mais sa vie prend un nouveau tournant en 1988. Mirek épouse alors une Genevoise avec laquelle il part vivre en Suisse :« J’ai d’abord été perdu à Genève. J’ai commencé par peindre et à dessiner. Dessiner est quand même un peu plus facile et on peut le faire partout. Je faisais un peu n’importe quoi pour n’importe qui : des travaux de graphisme, des expositions qui ne rapportaient pas grand-chose… »
C’est ainsi que Mirek organise, au milieu des années 1990, une exposition internationale d’art dans des toilettes publiques. Vingt ans plus tard, il est déjà bien mieux connu des milieux artistiques de sa ville d’adoption, et pas seulement. En 2015, il a présenté une exposition individuelle au Centre d’art contemporain à Genève, puis, en 2016, à Rotterdam. Plus récemment, en décembre dernier, ses œuvres ont été exposées à la Galerie du marché à Lausanne. Ses dessins, pour la plupart en noir et blanc, illustrent à leur manière des thèmes très variés : des croquis de bistrot, des études sur les mouches mortes, des considérations sur les hamburgers… Presque toutes les œuvres sont accompagnées de remarques de leur auteur, en français ou en tchèque. Comme le sous-entend son titre « Voyage, voyage », l’exposition au Musée de Vysočina à Jihlava, dans le centre de la République tchèque, est, elle, consacrée aux dessins que Mirek a réalisés à Genève dans des transports en commun dont il a fait, en quelque sorte, son atelier mobile.« On m’a déjà accusé d’être un voleur de visages ou de faire des portraits. C’est vrai que ce que l’on voit le plus souvent dans un bus, ce sont des visages des gens. Les mains, même fixées par un natel, bougent trop et mon temps est limité à douze minutes au maximum pour un trajet », peut-on ainsi lire sur le bord d’un dessin. Ce petit commentaire résume bien l’âme de cette exposition : les gestes subtils et les visages éphémères d’inconnus, des situations de la vie quotidienne dont certaines se superposent très souvent sur la même feuille du cahier de l’artiste :
« Il s’agit surtout de dessins que j’ai faits dans le bus numéro 3 durant le trajet quotidien entre ma maison et mon boulot. Ils représentent des gens qui tournent en ronde, comme moi. Cela m’intéresse beaucoup de savoir qui est avec moi dans le bus. Il s’agit donc surtout de dessins de gens qui font ce voyage circulaire maison-boulot-dodo. Ces trajets nous semblent tous identiques, mais je me rends compte qu’ils nous rapprochent chaque jour un peu plus de la mort… »Enfin, même le trajet en train (le moyen de transport idéal selon lui) que Mirek M. a effectué de Genève à Jihlava avec ses dessins dans sa mallette a été emblématique du thème du voyage. Il raconte, sourire aux lèvres, son aventure :
« Je me suis d’abord perdu en Suisse, puis en Allemagne. Je suis arrivé à minuit et demi à Dresde. Il n’y avait plus de train pour Prague. Je me suis retrouvé à la gare sans savoir quoi faire. C’est à ce moment-là que mon voyage est devenu vraiment amusant, car j’ai rencontré un Polonais qui avait les poches pleines de vodka. Il m’a offert une petite bouteille que nous avons bue ensemble, ce qui a attiré l’attention de deux policiers. En voyant mon passeport, un des policiers me demande : ,Mluvíte česky?‘ (Vous parlez tchèque ?). Je lui ai donc expliqué ma situation et il m’a conseillé de prendre un bus qui partait pour Brno une demi-heure plus tard en face de la gare. Même s’il ne devait pas s’arrêter à Jihlava, il m’a pris à bord et m’a fait descendre à cinq heures du matin à un carrefour qui ne se trouvait plus qu’à 15 kilomètres de ma destination. »Cette petite histoire rocambolesque résume somme toute assez bien la vie toute entière d’un artiste bohème originaire de Bohème. L’exposition « Voyage, voyage » est à découvrir au Musée de Vysočina à Jihlava jusqu’au 29 mars prochain.