Ces Tchèques qui sont la fierté des Etats-Unis
Quel est le rôle que les immigrés tchèques ont joué dans l'histoire des Etats-Unis ? C'est une des questions que se pose l’écrivaine et dessinatrice Renáta Fučíková dans un livre destiné surtout aux jeunes mais qui peut intéresser et même surprendre les lecteurs de toutes les catégories d'âge. Le livre intitulé Historie Čechů v USA – L'histoire des Tchèques aux Etats-Unis est accompagné d'innombrables illustrations dont Renáta Fučíková est également l’auteure. Ces illustrations réalisées avec une technique spéciale, le grattage, donnent à l'ouvrage un caractère très particulier.
L’immigration tchèque dans l’histoire américaine
A l'époque où les migrations s'imposent comme un phénomène global qui suscite des réactions contradictoires et joue un rôle important dans la politique de nombreux pays, il est utile de se souvenir qu’il ne s’agit pas là d’un phénomène nouveau et qu'il accompagne l'humanité pratiquement pendant toute son histoire. Depuis les temps immémoriaux, les gens ont quitté leur patrie dans l'espoir de trouver ailleurs une vie meilleure, de trouver la Terre promise. Les Etats-Unis étaient comme un aimant pour ceux qui étaient démunis ou mécontents de leur condition. Et ces gens-là ne manquaient pas non plus dans les pays de la couronne tchèque, en Bohême, en Moravie et en Silésie.
Renáta Fučíková s'est lancée dans la tâche difficile de choisir dans cette masse de migrants en général anonymes des personnalités qui se sont fait remarquer par leur vie et par leurs œuvres, les personnes originaires des territoires tchèques qui ont laissé une trace remarquable dans l'histoire des Etats-Unis et de l'humanité entière. Elle avait l'embarras du choix et s'est donc fiée à son intuition :« C’est un ouvrage de vulgarisation. Ce n’est pas un livre savant, je l’ai créé en partie en me servant de mon intuition mais aussi, bien sûr, avec le soutien de spécialistes, de lecteurs de maison d’édition, de rédacteurs. En ce qui concerne la sélection des thèmes, je me comporte comme un simple lecteur qui découvre une chose nouvelle. Evidemment j’en sais déjà quelque chose, mais j’aime être étonnée, j’aime être subjuguée par un sujet et c’est à un tel sujet que je m’attache et que je commence à traiter. Mon livre est donc comme une porte entre-ouverte sur un thème qui n’est pas suffisamment connu et les lecteurs peuvent être surpris par les histoires que j’ai découvertes et qui sont nombreuses. »
La vie exemplaire d’Antonín Čermák
L’impulsion première pour écrire ce livre a été donnée à Renáta Fučíková par Irena Čejková et Klára Moldová, deux enseignantes d’origine tchèque qui vivent et travaillent à Chicago. Elles ont demandé à Renáta Fučíková d’écrire un livre sur Antonín Čermák ou Anton Cermak (1873-1933), un des Tchéco-américains les plus célèbres. Ce fils d’une famille de mineurs de la ville de Kladno en Bohême était un self-made man, c’est-à-dire un homme qui s’est élevé, uniquement grâce à ses capacités, d’une condition humble à une très haute position dans la société américaine. Devenu maire de Chicago, il a assaini et modernisé la ville et a pris des mesures efficaces contre la corruption et le crime organisé.
Sa brillante carrière a été malheureusement brisée en 1933 par une balle que l’anarchiste Giuseppe Zangara destinait au président des Etats-Unis Franklin Delano Roosevelt. Grièvement blessé, Anton Cermak a succombé à ses blessures et des dizaines de milliers de personnes ont assisté à ses obsèques à Chicago. Renáta Fučíková ne voulait cependant pas écrire la biographie d’une seule personne, même si c’était un homme qui avait sauvé la vie du président américain :« Il me semblait que c’était insuffisant pour un grand livre et je me suis dit que j’allais faire le portrait d’Anton Cermak plutôt sommairement et que j’allais y ajouter les histoires d’autres Tchèques dont les vies étaient liées avec les Etats-Unis. Et il s’est avéré qu’il y en a énormément et que ces relations ont commencé déjà il y a très longtemps, dès le XVe siècle. Le projet a mûri pendant trois ans et finalement le musée Náprstek de Prague m’a ouvert ses archives. La bibliothèque et la salle d’études du musée ont mis à ma disposition les sources nécessaires, les journaux du XIXe siècle, divers ouvrages du début du XXe siècle, et m’ont donné la possibilité de lire, d’étudier, de copier et même de photographier certains documents. Je suis donc reconnaissante au musée Náprstek pour ce soutien spécial. »
Les premiers explorateurs
La grande aventure des Tchèques qui se sont lancés à la découverte du Nouveau monde commence au XVIe siècle. En 1585 arrive en Amérique un vaisseau anglais avec à son bord entre autres Joachim Gans, un Juif de Prague réputé pour ses méthodes novatrices d’exploitation minière. C’est pourquoi la reine d’Angleterre Elisabeth Ière ajoute le nom de ce spécialiste à la liste des 109 premiers colons anglais en Amérique. Bien que les colons de sa majesté n’arrivent pas à se faire accepter par les indigènes et pour sauver leur peau ils soient obligés finalement de prendre la fuite, leur mission n’en est pas moins importante. C’est le premier pas de la future colonisation de vastes territoires d’Amérique du Nord par la Grande-Bretagne.
Parmi les autres personnalités ayant joué un certain rôle dans les premières étapes de l’immigration européenne en Amérique il y a entre autres le prince Ruprecht, fils du roi de Bohême Frédéric ou bien Augustin Herman, fils d’un prêtre tchèque. Au XVIIIe siècle, les colonies des protestants tchèques, membres de l’Eglise de l’Unité des frères moraves, se multiplient en Amérique du Nord et elles survivent et prospèrent malgré les dangers qui les guettent et malgré leur pacifisme. Ce sont ces protestants tchèques qui contribuent de manière significative au niveau culturel et à la christianisation du nouveau continent. Et l’exode des Tchèques vers l’Amérique continue. En étudiant des documents historiques, Renáta Fučíková a trouvé d’innombrables témoignages sur le courage et la persévérance de ces gens à la recherche de la Terre promise :« Il y a des histoires fascinantes des gens simples qui sont partis de Bohême et de Moravie au XIXe siècle pour échapper à la misère et pour chercher une meilleure vie de l’autre côté de l’océan. Et quand ils sont arrivés avec leurs familles dans le Nouveau monde, quand ils ont tout vendu et ont coupé les ponts avec leur patrie, ils se sont rendus à l’évidence : rien ni personne ne les attendait en Amérique. Et ils ont été obligés de se remettre en route et de marcher sans cesse dans les plaines d’Amérique jusqu’aux territoires qui venaient d’être abandonnés par les Indiens. Et ils ont vivoté dans ce no man’s land. Mais ce qui est fascinant, c’est qu’au bout de trois ans de cette vie misérable et sans lendemain, ils se sont ressaisis et ont construit une église et une école. »
Chicago, la ville tchèque
La ville de Chicago peut être considérée comme le centre de la vie tchèque aux Etats-Unis. Les immigrés de Bohême, de Moravie et de Silésie apportent dans leur nouvelle patrie leur savoir-faire, leurs connaissances, leurs coutumes et leur culture. En 1870, la communauté tchèque de Chicago compte déjà quelque 10 000 habitants réunis dans un quartier appelé Pilsen - Plzeň. Cependant leur existence n’est pas sans problèmes. Les ouvriers tchèques travaillent dur et souvent dans des conditions insupportables ce qui les poussent parfois à protester. En 1877, leurs protestations sont brutalement réprimées par l’armée. Le résultat de cet affrontement est tragique : 30 morts et 200 blessées.
Mais Chicago ne cesse pour autant d’attirer les émigrés tchèques. Les bénédictins tchèques y fondent l’abbaye Saint-Prokop, les Juifs tchèques forment dans la ville une communauté importante. La Journée tchèque fait partie du programme de l’exposition universelle de Chicago en 1893 et les membres du mouvement gymnique Sokol organisent à cette occasion un défilé de 20 000 personnes.Au XXe siècle la présence tchèque à Chicago se renforce encore davantage. Lorsque le futur président tchécoslovaque Tomáš Garrigue Masaryk arrive dans la ville en 1918, il est salué par des dizaines de milliers de ses compatriotes. En 1933, 7 % des habitants de la ville, soit 236 000 personnes, sont originaires de Bohême, de Moravie et de Slovaquie.
Une sélection de Tchéco-américains célèbres
La liste des personnalités aux racines tchèques qui se sont imposées dans la vie des Etats-Unis est longue et Renáta Fučíková constate qu’elles sont trop nombreuses pour figurer dans un seul livre :« J’ai été obligée de réduire radicalement la liste des émigrés tchèques du XXe siècle ayant fui le régime totalitaire. Le critère de ma sélection a été donc dans ce cas l’importance ou le caractère exceptionnel des activités par lesquelles ces gens-là ont contribué à la prospérité et au progrès des Etats-Unis et même de l’humanité entière. »
Les noms cités par Renáta Fučíková sont parfois surprenants. Dans la catégorie des sports il y a donc non seulement les joueurs de tennis Ivan Lendl et Martina Navrátilová ou le hockeyeur Dominik Hašek mais aussi la championne de natation Katie Ledecky. Dans la catégorie de la musique, il y a non seulement les compositeurs Antonín Dvořák, Bohuslav Martinů et Karel Husa mais aussi le jazzman Jan Hammer, le rocker Ivan Král et la cantatrice Renée Fleming. Et parmi les personnalités politiques présentées dans le livre on trouve à côté du président tchécoslovaque Tomáš Garrigue Masaryk, l’ancienne secrétaire d’Etat américaine, Madeleine Albright. L’auteure s’explique :
« J’ai choisi surtout des gens venus de Bohême et de Moravie qui ont apporté aux Etats-Unis leurs talents et leurs capacités extraordinaires et ont réussi à les développer encore davantage, des champions, des personnalités de la culture, des écrivains, des journalistes et j’ai réservé la fin de mon livre aux héros indubitables que sont les voyageurs et les astronautes dont les performances ne peuvent être mises en doute par personne. »C’est donc un trio d’astronautes américains aux racines tchèques James Lovell, Eugen Cernan et John Blaha qui est présenté à la fin du livre L’Histoire des Tchèques aux Etats-Unis. Mais la dernière page est réservée au président Václav Havel. Et l’auteur cite en conclusion un long passage du discours mémorable prononcé en 1990 par le président tchécoslovaque devant le Congrès américain. Dans ce discours, Václav Havel a remercié les Etats-Unis pour leur contribution à la liberté en Europe et a exprimé entre autres l’espoir que désormais les Américains ne seraient plus obligés, comme dans le passé, de sauver l’Europe parce qu’elle serait capable de sauver sa liberté par ses propres moyens.