En Tchéquie, le « succès » des boîtes à bébé
Depuis l’installation de la première de ces « boîtes à bébé » il y a près de quinze ans, 200 enfants abandonnés par leurs parents ont été recueillis dans ce qui est officiellement appelé les babybox. Le dernier en date, le 200e, un petit Jan déposé le 4 janvier dernier à Blansko, dans les environs de Brno, a déjà été placé dans une famille d'accueil. Dans un reportage diffusé mardi, une journaliste de la Radio tchèque a retrouvé la trace d’une petite fille elle aussi déposée dans une babybox il y a aujourd’hui dix ans.
« J’ai dix ans et je suis en cinquième à l’école (l’équivalent du CM2 en France). J’aime bien danser, faire de la peinture, et quand je serai grande, je voudrais être comédienne. »
Appelons-la Anežka, comme dans le reportage diffusé par la Radio tchèque, même s'il ne s’agit pas du nom qu’elle porte dans « la vrai vie ». Anežka Česká, qui est la désignation en tchèque d’Agnès de Bohême, la sainte patronne de Bohême canonisée par Jean-Paul II en novembre 1989, est le « nom de travail » qui avait été donné au nouveau-né déposé dans une babybox de Kladno, en 2010.
Deux mois après son abandon par sa mère biologique, Anežka a été adoptée par des parents qui, dans le reportage, ont préféré témoigner sous anonymat. Toutefois, comme l’explique la mère adoptive, elle et son mari ont très vite expliqué son histoire et sa situation à leur fille. D’abord sous la forme d’un conte pour mieux l’aider à comprendre :
« On lui racontait l’histoire du magicien Hess qui faisait sortir de son chapeau une petite boîte dans laquelle se trouvait parfois un bébé. Et quand il y avait un bébé, la petite boîte sonnait pour avertir des fées qui apparaissaient alors pour emmener l’enfant dans un château où d’autres fées s’occupaient de lui. Et finalement, un papa et une maman qui souhaitaient très fort avoir un bébé venaient le chercher pour l’élever à leur maison. »
Dix ans plus tard, Anežka a bien grandi. Et si elle veut bien encore croire à l’histoire du magicien et des fées, il a toutefois fallu adapter son déroulement au fil des années :
« C’est bien comme ça que je me souviens qu’on me l’a racontée. Mais plus tard, ils ont commencé à ajouter que les fées n’étaient pas vraiment des fées et à préciser que c’étaient plutôt de gentilles infirmières. »
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Et à l’école, assure-t-elle, être « un enfant-babybox » n’est ni une tare, ni une honte :
« Mes copines n’ont pas de problème avec ça. Quelquefois, il y a quand même des enfants qui ont des parents qui ne s’occupent pas d'eux, qui ne sont pas avec eux le soir à la maison ou qui sont divorcés, qui se moquent en me disant que moi, de toute façon, je n’ai pas de parents. Mais je ne fais pas attention. Il faut être bête pour dire des choses pareilles. »
En République tchèque, la première babybox a été installée à Prague en juin 2005. Près de quinze ans plus tard, il existe un réseau de soixante-seize de ces « boîtes à bébé » réparties un peu partout dans le pays. Leur fondateur, Ludvík Hess, un homme de 71 ans dont la maman d’Anežka a donné le nom au magicien de son histoire, explique qu’il finance leur installation essentiellement grâce à des dons privés. Mais ce n’est pas simple partout à l’en croire :
« Žďár nad Sázavou, Louny et Tachov sont trois villes où je voudrais installer une babybox depuis plusieurs années déjà. Mais je n’y arrive pas. Ce sont trois villes de taille moyenne où il n’y a pas d’hôpital. Toutes les institutions que j’ai sollicitées ont refusé. Je ne perds pas espoir, mais nous en sommes arrivés à un point tellement absurde qu’à Tachov, je suis en train de négocier avec un hôtelier. »
Une babybox peut donc très bien ne pas être installée dans ou à proximité d’un hôpital. A l'intérieur de ce qui ressemble effectivement à une boîte, l'équipement fonctionne comme une couveuse. Dès qu’un enfant y est déposé, chauffage et ventilation se mettent en marche tandis que l’alarme est lancée pour alerter un personnel médical. Par ailleurs, aucune caméra n’est braquée sur aucune babybox de façon à ce que le dépôt d’un nourrisson reste toujours anonyme.Généralement, ce sont des nouveau-nés de quelques heures qui sont abandonnés. Parmi les deux cents enfants déposés en l’espace de quinze ans, le plus âgé avait encore moins de deux ans. Après les premiers soins, l'enfant est pris en charge par une institution appelée Organe chargé de la protection sociale et juridique de l’enfant (OSPOD).
Bien que pratiques, les babybox ne font pas l’unanimité, loin s'en faut même, et ont leurs critiques, parmi lesquels Jiří Biolek, ancien vice-président de la Société pédiatrique tchèque. Lui regrette par exemple que dans la très grande majorité des cas, les enfants sont déposés sans que leurs mères laissent de quelconques documents :
« Selon moi, le plus simple aujourd’hui pour une femme en détresse qui pense pouvoir résoudre sa situation en renonçant à élever son enfant, est d’accoucher dans n’importe quel hôpital dans le pays, là où elle pense que personne ne la connaît, et de faire savoir ensuite qu’elle confie le nouveau-né à l’adoption. Un processus très rodé et stéréotypé se met alors en marche avec l’organisation qui prend l’enfant à sa charge. Cela ne demande que deux ou trois jours. »Toujours selon Jiří Biolek, les babybox ne respectent pas non plus certains droits de l’enfant, comme ceux de posséder un nom ou de connaître ses parents biologiques. En 2011, la République tchèque avait d’ailleurs été critiquée par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU.