La musicienne Eva Cendors et l’écrivaine Anne Lorient s’associent pour parler de la condition des femmes
Eva Cendors est une musicienne et actrice tchèque installée depuis plusieurs années en France. Elle est actuellement en République tchèque pour une tournée de Noël qui s’achèvera le 22 décembre prochain à Kladruby u Stříbra. Pour en parler plus en détails, nous avons eu le plaisir d’accueillir Eva Cendors dans les studios de Radio Prague International.
Comment avez-vous conçu cette tournée, qu’allez-vous présenter au public tchèque et peut-être aussi étranger ?
« D’habitude, je viens pour des concerts de chanson française. Etant une Tchèque vivant en France, je fais une sorte de pont entre les deux cultures : ici, en Tchéquie, je présente souvent des chansons françaises, des reprises, ainsi que mes propres chansons. Pour cette tournée de Noël, j’ai préparé un mélange de mes chansons écrites pour l’occasion. Elles seront complétées par quelques chants sacrés français, car le public tchèque apprécie énormément la langue française, surtout quand elle est chantée. »
Une des nouvelles chansons que vous venez d’enregistrer dans un studio pragois et que vous jouez dans le cadre de cette tournée de Noël s’intitule La Vierge Marie. Avant qu’on ne l’écoute, pourriez-vous en dire plus ?
« C’est une chanson un peu particulière. Je l’ai intitulée ‘Panna Marie’, même pour le public français, j’ai conservé uniquement le titre tchèque. Marie, telle qu’elle apparaît dans la Bible, me paraissait toujours trop soumise, obéissante. Je voulais lui donner un visage plus humain. Quand je chante : ‘La pénombre de la cathédrale voile une silhouette presque transparente…’, j’exprime les doutes que chaque future maman peut ressentir. On a juste un souhait : que l’enfant se porte bien et qu’il soit heureux dans la vie. »
Les femmes sont une de vos principales sources d’inspiration. Vous avez dans votre répertoire une autre chanson intitulée « Femme sans visage », vous l’avez composée en collaboration avec l’écrivaine Anne Lorient que nous avons jointe par téléphone à Paris.
Une rescapée de la rue
Anne, pourriez-vous vous présenter ?
« Je m’appelle Anne Lorient, je suis une ancienne SDF. J’ai passé 17 ans dans la rue avec mon fils aîné. J’ai été prise en charge par une association du XVIe arrondissement de Paris quand j’étais enceinte de mon deuxième fils. Depuis, j’ai un appartement. Je travaille avec différentes associations à Paris pour sensibiliser le public au sujet des SDF, je suis invitée dans des écoles… Les gens ont plein de questions au sujet des sans-abris. Je trouve important d’en informer les enfants, de les former, cas se sont de futurs aidants. »
Vous êtes auteure notamment du livre « Mes années barbares » qui est le récit autobiographique de votre parcours.
A.L. : « Dans ce livre, je raconte comment je suis devenue SDF, après avoir fui un inceste dans ma famille. J’ai alors quitté le nord de la France pour Paris et j’ai vécu dans la rue jusqu’à mes 35 ans. Dans mon deuxième livre qui s’appelle ‘Humains dans la rue’ j’essaie de faire tomber les préjugés sur les SDF. C’est un mode d’emploi pour les gens qui veulent aider les sans-abris. »Comment avez-vous rencontré Eva Cendors ? Comment avez- vous créé ensemble la chanson « Femme sans visage » ?
A.L. : « Un jour de février 2018, Eva m’a envoyé un e-mail. Franchement, je ne connaissais pas Eva, ni même la République tchèque… Elle s’est adressée à moi parce qu’elle voulait ‘écrire une chanson sur le bonheur des SDF’… »
Ce qui est plutôt surprenant…
A.L. : « Oui (rires), ça m’a surprise ! » (rires)
E.C. : « Cela m’intriguait : les SDF, vivent-ils des moments de bonheur ?
A.L. : « Ce mail m’a en effet un peu choquée. Mais j’étais curieuse de rencontrer Eva. Nous avons commencé à échanger, elle m’a expliqué son projet. Le bonheur, tout le monde en parle, mais Eva estimait qu’il y avait des choses à dire sur le bonheur des gens très pauvres, en situation de précarité. Elle m’a demandé d’écrire un morceau de texte. Cela m’a pris un soir et comme j’adore écrire, ça m’a énormément plu. Finalement, j’ai écrit toute la chanson. Et nous sommes devenues amies. »
« J’ai très envie de venir à Prague au printemps prochain. Je lutte aussi contre les violences faites aux femmes et s’il existe des associations tchèques actives dans ce domaine, nous pourrions peut-être travailler ensemble. »
Une grande manifestation contre les violences conjugales s’est déroulée à Paris le 23 novembre dernier. Avez-vous participé à ce rassemblement ?
A.L. : « Il y avait environ 150 000 manifestants dans toute la France, dont 100 000 à Paris. J’étais au premier rang, derrière les banderoles des prostituées, car moi-aussi, j’ai un passé de prostituée. L’ambiance était très gaie, nous avons beaucoup chanté et beaucoup marché. La manifestation était bien organisée, nous nous sentions en sécurité. »« Cette marche était une réponse au manque d’informations que nous avions suite à la manifestation politique du Grenelle. Le gouvernement français envisage des mesures pour lutter contre les violences conjugales, or nous estimons que les démarches de Marlène Schiappa, la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, ne correspondent pas du tout au vécu des femmes victimes de violences. Elles sont nombreuses, les chiffres sont hallucinants : une femme sur trois est concernée… »
En Tchéquie, le phénomène de violences faites aux femmes existe évidemment aussi, mais ici, les femmes ne manifestent pas… Eva, vous vivez entre la République tchèque et la France, avez-vous un commentaire à ce sujet ?E.C. : « Je trouve que la France a cet avantage qu’on en parle : on organise des manifestations, des grèves… Parler en public d’un problème, c’est déjà un premier pas pour faire évoluer la situation. J’ai l’impression qu’en Tchéquie, le problème est quelque peu étouffé. Nous avons quelque chose à apprendre de la France : il ne faut peut-être pas descendre dans la rue, mais il faut ouvrir un débat public à ce sujet. »
Eva Cendors est en tournée à travers toute la République tchèque jusqu’à Noël. Deux dates sont à retenir : elle se produit ce dimanche 8 décembre à l’église de Prague-Vinoř et le samedi 14 décembre au parc Šabachov, à Prague-Dejvice.