Max Brod, homme au carrefour des cultures
Une simple plaque de métal émaillé rappelle désormais aux passants que c’est au 25, rue Haštalská dans la Vieille-Ville de Prague qu’est né, le 27 mai 1884, Max Brod. C’est grâce à l’Association Franz Kafka et à la Chambre de commerce tchéco-israélienne que Prague a ajouté un nouveau point d’attrait sur sa carte culturelle, un lieu qui attirera les lecteurs et les connaisseurs de Max Brod et de son ami Franz Kafka venus chercher dans la capitale tchèque la trace de ces écrivains.
Lors de la cérémonie d’inauguration de la plaque commémorative sur la maison natale de l’écrivain, l’historien de la littérature Josef Čermák a évoqué l’importance des activités de Max Brod dans les milieux culturels pragois :
« C’était la figure de proue de la culture et de la littérature judéo-allemandes de Prague et en même temps probablement le médiateur le plus important entre les deux nationalités et les trois ethnies qui coexistaient dans notre pays au tournant du siècle et au cours des vingt années de l’existence de la République tchécoslovaque. »
Max Brod est né à Prague, en 1884, dans une famille de juifs allemands. Son père était directeur de banque. En 1902, le jeune Brod s'inscrit à l'Université allemande de Prague où il étudie le droit. La même année, il fait la rencontre sans doute la plus importante de toute sa vie - il se lie d'amitié avec Franz Kafka. Journaliste prolifique, témoin attentif de la vie culturelle pragoise de son époque, Brod ne se limite pas au cercle restreint de la culture allemande. Il s'intéresse à tout ce qu'il juge important, sans préjugés de race ni de nationalité. Prague, ville tchèque, allemande et juive, est pour lui un lieu privilégié, un carrefour des cultures. Il refuse de rester dans le ghetto juif, il sort aussi du ghetto allemand et, en tant que journaliste, s'intéresse à tout ce qu'il juge digne d'attention. Lui-même écrivain et compositeur, il a un flair infaillible pour les œuvres et les artistes de qualité. Josef Čermák a rappelé aussi cette dimension de la personnalité et du talent de Max Brod :« Dans les milieux culturels judéo-allemands de Prague, il était sans doute à son époque le plus grand et le plus actif connaisseur du monde tchèque et de sa culture. Il présentait cette culture avec dévouement et succès à l’étranger. C’est lui qui a fait connaître au monde l’œuvre de Leoš Janáček qui, depuis, est de plus en plus appréciée. Il a écrit une monographie de Leoš Janáček, il a traduit des livrets de ses opéras et a publié sa correspondance avec lui. Il a aussi lancé sur le plan international Le Brave Soldat Chvéïk de Jaroslav Hašek et a contribué à la renommé mondiale de cet écrivain. »La postérité a confirmé les choix et les prédilections de Max Brod dans la majorité des cas, mais son nom est aujourd’hui cité avant tout avec celui de son ami Franz. C’est aussi ce qu’a constaté l’historien de littérature et le co-fondateur de l’Association Franz Kafka, Josef Čermák :
« Ce sont probablement ses efforts pour lancer et faire connaître l’œuvre de Franz Kafka qui ont suscité le plus grand retentissement. Il était lié avec Kafka d’une amitié désintéressée. Il était convaincu du génie de Kafka et osait le dire déjà à l’époque où pratiquement aucune de ses œuvres n’était publiée. Et surtout grâce à sa désobéissance clairvoyante le noyau de l’œuvre de Kafka a été conservé. »
La confiance que vouait Franz Kafka à son ami Max devait être immense, comme en témoigne le fait qu'il lui ait confié une grande partie de ses écrits en lui ordonnant de les brûler après sa mort. Max Brod a promis mais n'a pas tenu sa promesse. Il a trahi son ami, publié ses œuvres et fait d'un petit employé de banque, d'un juif inconnu de Prague, mort de tuberculose, un des plus grands écrivains du XXe siècle.
Parmi les personnalités des milieux culturels et diplomatiques ayant assisté, mercredi dernier, à l’inauguration de la plaque commémorative, figurait également le ministre Karel Schwarzenberg, qui a amusé l’assistance en racontant une anecdote liée à la maison natale de Max. Une anecdote qui illustre ses rapports avec son ami Franz :
« Cette belle histoire s’est passée justement dans cette maison. Kafka rendait souvent visite à son ami Brod. La chambre de Max Brod était au fond de l’appartement. Pour y accéder il fallait traverser une pièce où il y avait un canapé. Et c’est sur ce canapé que le père de Max faisait habituellement un petit somme après le déjeuner. Il était très mécontent quand on le réveillait, et ce petit somme de l’après-midi était sacré pour lui. Kafka le savait et ouvrait la porte avec une extrême prudence. Il a ouvert et refermé très doucement la première porte et s’approchait sur la pointe des pieds vers la porte de la chambre de Max. Mais la deuxième porte a grincé, le père Brod s’est dressé sur le canapé et Kafka s’est retourné en lui disant d’un ton rassurant : ‘Prenez-moi pour un rêve.’ »
L’œuvre littéraire de Max Brod comprend surtout trois romans, Le Chemin de Tycho Brahé (1916), Rubeni prince des Juifs (1925) et Galilée en captivité (1948), réunis sous le titre Le combat pour la vérité. Il écrit aussi beaucoup d'œuvres mineures, plusieurs biographies, dont celles de Kafka, de Mahler, de Heine. Il consacre, également, une étude biographique à l'écrivain tchèque Karel Sabina, auteur du livret de l'opéra de Smetana La Fiancée vendue et personnage controversé et très discuté dans le milieu culturel tchèque. Pendant toute sa vie Brod s'adonne à la musique. Il met en valeur ses talents musicaux dans ses écrits et ses critiques. Il composera, aussi, un certain nombre d'œuvres musicales qui n'atteindront pas la notoriété de ses œuvres littéraires, mais n'en seront pas moins intéressantes. Lié étroitement à Prague et à la Bohême, il est pourtant obligé de quitter son pays, en 1939, pour fuir le danger nazi. Il saute dans le dernier train, accompagné de sa femme, et réussit à échapper aux bourreaux hitlériens. Son frère Otto n'aura pas cette chance et mourra, en 1944, dans le camp d'Auschwitz.
Réfugié en Palestine, Max Brod cherche le salut dans le travail. Il devient directeur de la troupe théâtrale "Habimah" de Tel Aviv. Sa vie, pleine de travail et de combat, s'achèvera en 1968. Les grands moments, les péripéties et les avatars de son existence sont décrits avec une grande richesse de détails dans une autobiographie intitulée "Une vie combative", traduite entre autres aussi en français.