Une ONG tchèque tente de faire évoluer la perception de l’immigration

Photo illustrative: Pixabay, CC0

Basée à Prague, l’Association pour l’intégration et la migration SIMI s’occupe de l’aide aux migrants, notamment dans le domaine juridique. Plus largement, l’ONG s’efforce également d’améliorer l’image des personnes immigrées dans une société tchèque qui leur est largement hostile. Rencontre avec Eva Valentová, qui dirige les programmes de SIMI, pour essayer de comprendre pourquoi l’immigration est si mal perçue dans le pays.

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« La population tchèque n’a pas d’expérience avec les immigrés, ou très peu. Certaines générations n’ont jamais voyagé, notamment à cause du régime précédent, mais même chez les générations qui voyagent beaucoup, c’est surtout pour les vacances ou pour les études, et les gens ne font pas l’association qu’une partie de notre population se trouve dans la même situation. Pourtant, par le passé, la République tchèque a toujours produit plus d’immigrés qu’elle n’en a accueillis. Mais les gens ne font pas le lien entre les uns et les autres. On est dans l’image des masses : il y aurait une certaine masse anonyme de travailleurs bizarres qui sont là, quelque part près des usines. Pour beaucoup de Tchèques, un immigré, c’est un Alien, un extraterrestre, qui peut être dangereux. »

Les politiques tchèques n’en finissent plus de déclarer leur hostilité aux migrants et de surfer sur la vague de peur engendrée par la crise des réfugiés. Ceux-ci sont pourtant quasi-inexistants en République tchèque, comme le confirme Eva Valentová:

« L’évolution de l’immigration en général n’a pas changé avec la crise des réfugiés : c’est uniquement ce que certains médias ou politiciens tentent de faire croire. Actuellement, la République tchèque compte environ 500 000 immigrés (5 % de la population). La tendance est à la hausse, certes, mais sans augmentation dramatique ces trois dernières années. La République tchèque n’ayant pas de frontières extérieures de l’Union européenne, l’accès au pays est compliqué, d’autant plus que la règlementation Dublin renvoie la responsabilité sur le premier pays d’arrivée, ce qui fait que la Tchéquie accueille très peu de réfugiés. La moyenne sur les trois dernières années est de 1 500 demandes d’asile par an, parmi lesquelles environ 400 sont acceptées. »

Malgré leur médiatisation, les demandeurs d’asile ne représentent donc qu’une infime partie des immigrés.

« Les employeurs veulent engager des travailleurs étrangers »

Le faible niveau de l’immigration pèse sur la situation économique du pays. Avec un taux de chômage de seulement 3,1 % en juillet dernier, la Tchéquie dispose de 300 000 postes à pourvoir. Face à la pénurie de de main-d’œuvre, le gouvernement s’efforce de mettre en place des programmes visant à favoriser une immigration professionnelle, mais essentiellement en provenance de certains pays bien choisis. Eva Valentová :

Photo illustrative: UNDP in Europe and Central Asia via Foter.com / CC BY-NC-SA
« Cette situation ne favorise pas le marché du travail : le taux de chômage est déjà le plus faible de l’Union européenne. Les employeurs veulent embaucher des travailleurs étrangers, mais la politique de migration ne le permet pas vraiment. Il y a très peu de voies légales pour cela. La procédure est très compliquée : elle dure plusieurs semaines voire plusieurs mois. Ce système n’est donc pas très avantageux pour les employeurs. Le gouvernement a toutefois mis sur pied des projets de façon à accélérer les procédures d’embauche de travailleurs de pays comme l’Ukraine, la Serbie, les Philippines ou le Vietnam. »

Justement, le Vietnam est une terre d’immigration traditionnelle vers la République tchèque. Les deux pays avaient des programmes d’échanges bilatéraux sous le régime communiste, et les Tchèques ont ainsi vu quelques milliers de Vietnamiens venir progressivement s’installer dans leur pays. Aujourd’hui, ces Vietnamiens peuvent faire figure de pionniers de l’immigration dans l’histoire moderne de la Tchéquie avec un processus d’intégration somme toute assez classique. Eva Valentová explique que la jeune génération de Tchèques nés de parents vietnamiens a réussi son intégration au point de laisser apparaître un conflit générationnel.

Photo illustrative: ČT
« La deuxième génération est complètement différente de la première. La première, la génération des parents, était constituée de grands travailleurs qui ne parlaient pas tchèque et restaient à l’intérieur de leur communauté avec leurs propres services. Inversement, leurs enfants, la deuxième génération donc, ont souvent eu des nounous tchèques et ils se sont intégrés via le système scolaire en apprenant facilement la langue. Ils ont beaucoup plus de valeurs européennes que leurs parents et, souvent, ils ne parlent d’ailleurs même pas très bien vietnamien. On observe un conflit de générations au sein des familles. C’est intéressant de voir ce qu’il se passe dans la minorité vietnamienne où on ne peut même plus vraiment parler de communauté. »

Cette intégration semble donc plutôt bien se passer, malgré quelques problèmes récents de trafics mafieux qui ont conduit à limiter les visas accordés aux ressortissants vietnamiens.

Un programme de sensibilisation dans les écoles

L’ONG SIMI aide ainsi les immigrés dans différents domaines : elle leur propose un soutien juridique pour faire valoir leurs droits et une assistance pour les besoins de la vie quotidienne, tout en s’efforçant d’améliorer l’image de cette catégorie de la population. Puisque les informations objectives et les chiffres ne sont pas très audibles dans le débat public, l’association a dû trouver d’autres moyens de sensibiliser la majorité de la population tchèque aux problèmes des immigrés. Eva Valentová:

Photo: Archives de Radio Prague
« Nous essayons d’humaniser les immigrés, parce qu’on ne peut pas rester dans l’image des masses ou des objets, sinon l’empathie ne viendra jamais. Ce qui marche très bien, ce sont les programmes dans les écoles : on invite toujours un guide, quelqu’un qui a une expérience personnelle de l’immigration, qui raconte son histoire et pourquoi il est venu en République tchèque, ce qu’il a dû surpasser pendant le voyage ou même ici pendant son processus d’intégration, comment il a appris la langue, ou même des choses plus courantes de la vie ordinaire ici : ressent-il une discrimination par exemple quand il cherche un logement ou quand il va chez le médecin ? Cela contribue à faire réfléchir les enfants et les étudiants et à leur faire comprendre que les migrants ont les mêmes problèmes que chacun parmi nous. »