« Au Venezuela, on vit une dictature masquée. »
Cette année, le festival de films documentaires sur les droits de l’Homme, One World, fête ses 20 ans. A l’affiche notamment, le documentaire de la réalisatrice franco-vénézuélienne Margarita Cadenas « Femmes du chaos vénézuélien » qui présente les témoignages poignants de cinq femmes dans la société de ce pays d’Amérique du Sud en proie à de nombreuses difficultés économiques, sociales et humanitaires. Radio Prague a demandé à Margarita Cadenas les origines de ce film.
Pour autant dans le documentaire, vous faites le choix de ne pas expliquer les causes de la situation ?
« Il faut laisser les journalistes et les reporters faire leur travail. Moi, je fais un film intimiste et humaniste. C’est un documentaire, un long-métrage documentaire. »
Comment vous envisagez l’élection présidentielle du 20 mai prochain ? Peut-elle être truquée ?
« Les élections qui viennent s’annoncent très mal. Premièrement, l’opposition appelle à ne pas participer. Deuxièmement, les leaders les plus importants de l’opposition soit ils sont en prison, soit ils sont inhabilités, soit ils sont en exil. Il n’y a qu’un seul candidat qui s’est présenté, un ancien chaviste… Les Vénézuéliens se disent ‘ça suffit, on n’y va pas ». Ils sont plus occupés à survivre qu’à penser à autre chose. Aujourd’hui, le peuple vénézuélien est un peuple déprimé, qui n’en peut plus, qui ne croit plus. En plus de ça, il y a un exode énorme. Ce film, je l’ai fini il y a un peu plus d’un an, il y avait 1,5 millions de Vénézuéliens qui avaient quitté leur pays. Aujourd’hui c’est 4 millions (sur une population totale de 30 millions, ndlr). »Pourquoi avez-vous choisi de ne proposer que des témoignages de femmes ?
« Sans être une féministe, je ne veux pas faire un cinéma sexiste mais j’ai fait ce film avec des femmes parce que les femmes au Venezuela sont des piliers. La société est machiste mais matriarcale. Et donc à travers les femmes, je pouvais toucher les différentes nuances de la vie de tous les jours et tous les problèmes dont la société souffre. Je voulais des femmes d’âges, de races et de classes sociales différents. Chacune devait représenter une problématique. »
Je trouve qu’il y a quelque chose de paradoxal dans votre film. La misère de ses femmes ne se voit pas à l’écran, elle se voit plus dans leur témoignage que dans leurs conditions matérielles. Qu’en pensez-vous ?
« Une fois, une réalisatrice africaine m’a dit ‘c’est un film de bourgeoise’. Le Venezuela c’est le pays qui a les réserves de pétrole les plus importantes du monde. Jusqu’à il n’y a pas longtemps, une vingtaine d’années, c’était un pays progressiste, riche, un des plus riches du continent. Donc au Venezuela on ne va pas trouver des images comme on trouve en Afrique. C’est ça le paradoxe, c’est un pauvre pays riche. Mais il n’y a pas uniquement la misère. Il y a aussi la destruction des institutions et de la sécurité, l’oppression et la répression, le manque de médicaments, de nourriture. Donc c’est un pays en destruction. Le gouvernement continue à nier cette réalité. Ce qui les intéresse, c’est de rester au pouvoir. On vit une dictature masquée au Venezuela. »Comment le tournage s’est-il déroulé ? Au début du film, vous dites qu’il est très difficile d’avoir des images de l’intérieur d’un hôpital. Vous y avez eu accès. Comment avez-vous fait ?« Premièrement, on a utilisé des caméras très petites, très discrètes. Pour le son on a caché des micros dans différents endroits. On a mis des micros avec la complicité de ces femmes. Sans leur complicité, on n’aurait pas pu filmer ni à l’hôpital ni dans les queues pour acheter de la nourriture. A un moment dans le tournage quand on faisait le plan de l’infirmière qui marche le long du couloir, il y a un militaire qui nous a vus et là on a eu très chaud. Mais grâce à l’infirmière, qui est un personnage incroyable, on a pu sauver notre matériel. »