« Depuis toujours les électeurs ont voté selon leurs émotions »
Alors que la campagne électorale de la présidentielle tchèque a été parasitée par l’apparition de « fake news » (http://radio.cz/fr/rubrique/faits/presidentielle-la-desinformation-au-coeur-de-la-campagne), l’Institut français de Prague organisait, mercredi dernier, une conférence sur le thème : « Fake news : les sciences humaines à l’ère post-factuelle ». Retour sur cette conférence avec le philosophe Ondřej Švec, co-organisateur de l’événement, en partenariat avec l’Ecole normale supérieure de Paris et l’Université Charles de Prague.
« Il s’agit de savoir comment obtenir un consensus d’une large partie de la population autour des questions de la justice sociale, de l’égalité des droits, de l’homme et de la femme, des minorités mais aussi autour de la question de la santé. Là, bien sûr il n’y a pas de vérité factuelle qui décide mais ce sont des croyances partagées autour de nos valeurs et des conceptions pratiques de nos sociétés »
En politique donc, les faits ne sont pas au cœur de la création du consensus. Le choix politique d’un électeur ne se développe pas grâce à une approche factuelle mais se construit de manière plus romantique, rappelle le philosophe.
« Mais il faut dire que les décisions prises par les électeurs n’étaient jamais établies seulement selon leur connaissance des faits, selon la vérité établie au niveau scientifique. Les électeurs ont voté depuis toujours selon leurs émotions, selon les valeurs qu’ils défendent. »
Une logique arrivée à son paroxysme aujourd’hui. Cela conduit certains, dont Ondřej Švec, à prendre l’élection de Donald Trump comme le point de départ d’une nouvelle ère qu’ils qualifient de « post-vérité » :
« Le plus souvent par le concept de post-vérité, on entend la nouvelle ère dans laquelle nous serions entrés avec l’élection de Donald Trump et le Brexit où certaines fausses informations étaient utilisées contre Hilary Clinton, contre les défenseurs de l’Union européenne et qui ont probablement eu un certain impact. C’est une ère dans laquelle on fait moins confiance à une connaissance experte. On accorde trop de confiance à l’expérience partagée surtout à travers les nouveaux médias comme Facebook et Twitter qui filtrent certaines informations et enferment les gens dans certaines bulles sociales où la vérité contre factuelle n’arrive pas jusqu’à eux. »La multiplication des « fake news » est donc à mettre au crédit des médias sociaux, peu enclins à nous exposer à des opinions différentes des nôtres. Au point de dédouaner les acteurs politiques ? Loin s’en faut. Certains, peu soucieux de la qualité du débat démocratique, montent de toutes pièces des fausses nouvelles qui ont pour but d’aider leurs desseins électoralistes. Preuve s’il en est, de la très récente campagne présidentielle tchèque, poursuit le philosophe :
« L’autre raison c’est qu’il y a des acteurs qui, pour des raisons idéologiques et pour leur intérêts, veulent incriminer, jeter de la boue sur leur adversaire ou sur celui qu’ils veulent présenter comme l’ennemi du peuple comme dans l’élection présidentielle tchèque où il y a eu cette fausse nouvelle selon laquelle Jiří Drahoš serait un candidat qui voulait laisser envahir la République tchèque par les immigrés. Il y a vraiment des groupes organisés qui fabriquent ce genre de fausses nouvelles. »
Difficile donc, en 2018, de construire un débat démocratique serein. Entre la désinformation sciemment développée par les candidats à la présidentielle et le spectre déformant des réseaux sociaux, l’exercice démocratique est pris en otage. Le salut viendra-t-il de la télévision ? Pour Ondřej Švec, la réponse est non. Le petit écran, pour des raisons d’audience, aurait intégré la recette miracle des réseaux sociaux dans sa façon d’organiser les débats: questions minoritaires mais clivantes et recherche du buzz :
« Nous avons vu que le premier débat de l’entre-deux-tours était basé sur des questions insignifiantes pour l’orientation de la République tchèque dans les années à venir. Les seules questions que l’on a posées aux candidats étaient des questions complétement minoritaires comme ‘Est-ce que vous êtes d’accord pour qu’on fume dans les restaurants ?’ ou ‘Êtes-vous d’accord pour la venue d’immigrés ? Sinon comment allez-vous faire pour les empêcher de venir’, ‘Est-ce que vous êtes pour le port des armes et le droit de posséder des armes à feu ?’. Ce ne sont pas des questions qui relèvent de la compétence d’un président mais par contre ce sont précisément les questions sur lesquelles la population se divise entre les défenseurs de l’un et de l’autre candidat et qui ont beaucoup d’échos sur les réseaux sociaux. Pour moi, c’est la preuve que la télévision essaye de copier le mode d’emploi qui est utilisé à la fois par le parajournalisme et les réseaux sociaux pour attirer plus de public, ce qu’ils ont réussi à faire mais le débat présidentiel en a souffert en qualité. »