Législatives 2017 : quels enjeux ?
Les différents partis et mouvements politiques tchèques avaient jusqu’à la mi-août pour déposer leurs listes de candidats en vue des élections législatives organisées les 20 et 21 octobre prochain. La campagne est donc officiellement lancée. Le politologue Michel Perottino éclaire ses enjeux pour Radio Prague.
« Absolument, c’est l’enjeu principal. C’est en tout cas le grand problème aujourd’hui, de savoir quel sera le résultat électoral de ANO et plus exactement quelle sera la position d’Andrej Babiš, puisqu’on sait qu’il a quelques problèmes actuellement avec la police. Dans le cas où il remporterait effectivement la victoire, quelle sera sa marge de manœuvre pour former un gouvernement et comment ce gouvernement pourra fonctionner. »
Vous avez mentionné ces affaires qui touchent Andrej Babiš. Il y a notamment celle de la ferme du nid de cigognes, une affaire de détournement présumé de fonds européens. Quelle influence ces affaires peuvent-elles avoir sur l’élection et sur le comportement des électeurs ?
« Depuis assez longtemps, il semble que ce type d’affaires n’a pas d’impact direct sur l’électorat d’Andrej Babiš. On verra à partir du moment où il sera poursuivi de manière plus concrète quel sera l’effet sur son électoral. Mais pour l’instant, il semblerait qu’il soit relativement préservé d’une chute dans l’opinion publique. »
Selon vous, quelles vont être les principales thématiques autour desquelles vont se cristalliser les débats et le choix des électeurs ?
« On va voir comment va se dérouler la campagne dans les semaines à venir. Il semblerait qu’effectivement la question des affaires d’Andrej Babiš et essentiellement celle du nid de cigognes pourrait être le sujet le plus avancé. Sinon, on va sans doute retrouver des sujets un petit peu plus classiques comme, pour la gauche par exemple, le niveau du SMIC, l’influence de l’Etat sur l’économie. Pour la droite, cela sera sans doute plutôt la question de l’impôt. On va retrouver plutôt des thématiques assez classiques. »
A propos d’économie, la situation apparaît plutôt bonne avec un taux de chômage très faible et une croissance relativement élevée. Pourtant, au sein du gouvernement, seul le mouvement ANO semble profiter de cette bonne conjoncture, alors que les sociaux-démocrates, au contraire, n’en profitent pas. Comment expliquez-vous cela ?
« Je pense que c’est surtout un problème de communication, ou de capacité à communiquer ces résultats. Quand on regarde le fonctionnement du gouvernement ces dernières années, on se rend compte que dans beaucoup de cas, c’est souvent la social-démocratie, éventuellement avec les démocrates-chrétiens, qui a réussi à imposer des décisions et ANO jouait plutôt le rôle de frein ou d’opposition interne au gouvernement. Donc, le paradoxe c’est que, si on peut imputer certains bons résultats au gouvernement, ils devraient être imputés plutôt à la social-démocratie ou au groupe social-démocratie/démocratie chrétienne.
Par contre, la capacité de ces deux partis et surtout de la social-démocratie à communiquer sur ces bons résultats, c’est sans doute ce qui fait défaut. Quand on regarde le fonctionnement de ANO et notamment comment ils réussissent à capter la communication, en particulier sur les réseaux sociaux, ils sont extrêmement professionnalisés et ils ont une efficacité que ne parviennent pas à obtenir les autres partis, dans leur ensemble. »
Depuis la crise gouvernementale de la fin du printemps dernier, quand Andrej Babiš a quitté le gouvernement, la social-démocratie a changé de leadership. Ce n’est plus Bohuslav Sobotka qui est à sa tête mais désormais Lubomír Zaorálek. Pensez-vous que la social-démocratie soit en bon ordre de bataille pour affronter ces élections ?« Le changement a consisté à retirer Bohuslav Sobotka de la tête de liste électorale et de la tête du parti. On a donc maintenant un binôme entre Milan Chovanec et Lubomír Zaorálek, celui-ci étant le leader électoral. Il y a toujours des cafouillages. On se rend compte qu’ils n’arrivent pas à remonter la pente comme ils le souhaiteraient. On a vu pendant la crise que l’unité du parti était assez fragile. On va voir aussi durant les semaines à venir quelle sera la force de la social-démocratie. »
Du centre-droit à la droite, il y a plusieurs partis qui tentent de tirer leur épingle du jeu, outre ANO. Il s’agit de TOP 09, l’ODS, les maires et indépendants et les chrétiens-démocrates, la plus petite formation de la coalition gouvernementale, qui tous espèrent envoyer des députés à la Chambre basse du Parlement. Comment voyez-vous cette lutte à droite ?
« C’est là-aussi un peu compliqué. Quand on regarde les dernières semaines, les derniers mois, on voit par exemple que la démocratie chrétienne a essayé de créer une coalition électorale avec les maires et indépendants, qui est finalement tombée à l’eau par frilosité de la démocratie chrétienne, par la peur en fait de ne pas réussir à obtenir les 10% nécessaires à entrer à la Chambre basse.
Pour l’instant, il semblerait que de tous ces partis, ce serait plutôt l’ODS qui réussirait le mieux à tirer son épingle du jeu, c’est-à-dire à remonter un peu dans l’électorat. Par contre, on voit que TOP 09 stagne, et la question sera de voir quel sera le résultat des maires et indépendants, qui, pour la première fois, vont seuls dans une telle élection. »
Vous imaginez que le mouvement ANO puisse faire alliance avec certains de ces partis éventuellement, s’il remportait les législatives ?
« Il faut distinguer la situation électorale ou préélectorale et la situation gouvernementale. Pour l’instant, ce qu’on entend plutôt, ce sont de très fortes critiques, notamment de la part de l’ODS, notamment de TOP 09 par exemple. On verra la situation avec les élections, il est vraisemblable que tout le monde mette un peu d’eau dans son vin. Tout va dépendre évidemment bien sûr du résultat de ANO, du rapport de force entre ANO et ses éventuels partenaires, si ANO remporte les élections. Donc toute une série d’incertitudes qui font qu’aujourd’hui, beaucoup de discours sont extrêmement forts, violents, nets et clairs sur l’idée qu’on ne veut pas fonctionner avec ANO. Mais une fois que les élections seront passées, une fois qu’il faudra constituer un gouvernement, la situation va changer énormément. »
De l’autre côté du spectre politique, il y a les communistes, qui enregistrent de bonnes intentions de vote dans les enquêtes d’opinion. Qu’est-ce qui explique cette longévité qui souvent étonne certains observateurs étrangers ?
« Effectivement, quand on regarde cela sur le long terme, on se souvient qu’au début des années 1990, on s’attendait à voir les communistes disparaître progressivement. Pour l’instant, nous n’avons pas l’explication. Il semble que les communistes parviennent, bon an mal an, toujours à obtenir un soutien, qui est un soutien évidemment contre les autres partis. Il faut se rappeler en fait que les communistes sont le seul parti parlementaire à ne pas avoir participé au gouvernement national. Bien qu’ils puissent éventuellement fonctionner dans des gouvernements régionaux ou dans des mairies, au niveau national ils ont toujours été dans l’opposition. »Avec la question des quotas pour l’accueil des réfugiés, des travailleurs détachés, de ces articles qui font état du désamour que nourrirait une partie des Tchèques à l’égard de l’Union européenne, il y a cette question européenne qui ne semble pas pour l’instant animer les débats. Pensez-vous qu’elle puisse être un enjeu important de ces élections ?
« Je dirais que ce n’est pas forcément un enjeu premier, mais c’est un enjeu qui revient souvent en filigrane. J’écoutais par exemple Chovanec, l’actuel leader de la social-démocratie, qui disait d’un côté : ‘je suis évidemment pro-européen’, et dans la phrase suivante il disait qu’on ne pouvait pas se laisser dicter toute une série de choses par l’UE qui vont contre tels intérêts. Le paradoxe, c’est que, même chez les partis où on pourrait supposer une capacité pro-européenne, on se rend compte que l’adhésion n’est pas forcément aussi massive qu’elle pourrait l’être dans d’autres pays. Donc l’Union européenne est toujours présente, et je pense que, même si on entend beaucoup de critiques contre l’Union européenne en République tchèque, quasiment personne, de manière réaliste, n’envisage une sortie éventuelle du pays de l’UE. »
Dans beaucoup de pays, on assiste à une crise des partis sociaux-démocrates avec la montée en puissance de partis de gauche alternative, que ce soit Podemos en Espagne, les Insoumis en France, la reprise en main du parti travailliste par Jeremy Corbyn… Pourquoi n’assiste-t-on pas à un scénario similaire en République tchèque ?« Tout simplement parce que la société tchèque n’est pas comparable ou n’est pas similaire dans ses ressorts avec ces pays. Déjà, il faut distinguer les travaillistes britanniques de toutes les autres formations. Par exemple Podemos, par exemple les Insoumis, cela monte en quelque sorte de la société civile. Chez les Britanniques, c’est assez différent. Ici, d’une manière très générale, il y a un consensus assez clair sur le libéralisme. En fait, on se rend compte que la social-démocratie est sur une ligne extrêmement néolibérale, finalement, en tout cas comparé à d’autres pays, comparé à d’autres formations sociales-démocrates dans l’Europe occidentale. Il y a ce phénomène qui vient entrer en ligne de compte et puis, d’une manière générale, la société tchèque n’est pas favorable à des manifestations massives contre, par exemple, l’économie de marché. »
De la même façon, beaucoup de partis, ailleurs en Europe, ont intégré à leur logiciel politique l’écologie. Or, cela semble être une question qui reste en retrait sur la scène politique tchèque. Comment expliquer cela ?
« D’une certaine manière, c’est en retrait, notamment quand on regarde les résultats du parti des verts. Mais en même temps, on se rend compte que, peu ou prou, il y a toujours certaines tendances plutôt pro-écologistes dans certains partis, en particulier dans la social-démocratie, qui a essayé de reprendre ce thème ou ces thèmes déjà depuis grosso modo une dizaine d’années. »