Deux auteurs tchèques dans le catalogue de la maison Mirobole Editions
« Toutes les couleurs du noir » : tel est le slogan de Mirobole Editions. L’équipe de cette jeune maison basée à Bordeaux se propose de cultiver la curiosité, l’exigence, l’ouverture du cœur et de l’esprit et la capacité d’admiration. Dans son catalogue, on trouve presqu’exclusivement des auteurs étrangers parmi lesquels deux Tchèques – Michal Ajvaz et Jaroslav Rudiš. Plus de détails sur Mirobole Editions et sa production avec sa directrice Sophie de Lamarlière.
En quête d’une littérature mirobolante
Pourquoi Mirobole éditions ? D’où vient le titre de votre maison ?
« Le titre de la maison d’édition vient bien entendu de l’adjectif ‘mirobolant’ qui nous semblait correspondre assez bien à ce que nous voulions faire avec cette nouvelle maison, de publier des ouvrages qui détonnaient et surtout suivre une ligne éditoriale qui n’avait pas déjà été exploitée en France. Nous cherchions des titres d’auteurs assez novateurs qui suscitaient ou pouvaient susciter une forme d’admiration et de regards étonnés.»Votre maison est relativement jeune. Avec quelles intentions avez-vous créé en 2012 Mirobole Editions ?
« Justement, c’est pour rebondir sur votre première question, c’était pour proposer des livres un petit peu novateurs par rapport à ce qui se faisait. Nous avons commencé avec deux collections, dont l’une dans le genre policier et l’autre un peu plus dans le genre de l’imaginaire. Il nous semblait que dans ces deux genres-là il manquait beaucoup d’originalité, que les ouvrages publiés dans ces genres étaient très calibrés pour correspondre à une demande. On voulait quitter le domaine de la demande pour passer au domaine de l’offre, c’est-à-dire proposer des choses qui nous avaient passionnés, tout simplement. »
Des livres pour un lecteur curieux
La littérature policière et les littératures de l’étrange, telles sont donc les principales zones d’intérêt de votre maison. Que pouvez-vous dire du caractère et des spécificités de ces collections ?
« Eh bien, justement dans ces deux collections nous avons, j’espère, fait bouger les frontières. Nous sommes les premiers à avoir proposé des polars polonais avec un auteur qui a eu énormément de succès en France, qui a été très remarqué et s’est très bien vendu. Voilà, cela a été une belle réussite aussi sur le plan commercial, l’auteur a vraiment rencontré ses lecteurs et nous avons eu raison de parier sur la curiosité des lecteurs et le fait qu’ils en avaient probablement un peu assez de lire uniquement des auteurs suédois et américains, pour rentrer évidement un petit peu dans la caricature. C’est quand même ça dans les rayons policiers, quand on s’y promène, ce sont souvent les mêmes territoires qui sont représentés, les mêmes styles d’intrigue et de personnages. Cela manque beaucoup de diversité. Nous avons aussi publié un auteur moldave qui a suscité beaucoup d’étonnement de la part de journalistes, de libraires et de lecteurs et a été très remarqué. C’est pour vous donner deux exemples d’auteurs que nous avons voulu proposer aux lecteurs français, qui sont originaux et qui ont eu un succès, au moins d’estime, pour cette raison. »Que savez-vous donc de vos lecteurs ? Pour quel genre de lecteur publiez-vous surtout vos ouvrages ?
« Nous n’avons pas en tête de lecteur précis puisque nous ne fonctionnons pas avec les critères, tels que les cibles, on ne fonctionne pas vraiment avec des critères commerciaux comme celui-ci. Je pense que le lecteur de Mirobole est en général un lecteur cultivé, un lecteur curieux. Ce n’est pas quelqu’un qui va acheter notre ouvrage par total hasard pour attraper son train, le seul livre qu’il va lire au cours de l’année. En général ce n’est pas trop ce genre de lecteurs que nous parvenons à toucher mais cela dit nous ne nous interdisons pas cela parce que moi, je souhaite toucher tous les types de lecteurs. Donc, on n’a pas spécialement de critères… »
La force hypnotique du roman « L’autre ville » de Michal Ajvaz
Dans votre catalogue figurent déjà les auteurs tchèques Michal Ajvaz et Jaroslav Rudiš. Quelles ont été les raisons qui vous ont amené à publier le roman « L’autre ville » de Michal Ajvaz ?
« Alors, ça va être difficile pour moi de faire court parce que c’est un texte, un des livres de Mirobole qui m’a le plus apporté et qui continue encore de me toucher tout simplement parce que je trouve que c’est un texte admirable, un des plus beaux livres que j’ai jamais lus. C’est un bijou, c’est une réflexion magnifique sur la littérature. Comment on peut se perdre et se retrouver, mais surtout se perdre, dans la littérature. Le caractère dangereux des illusions. Voilà, il y a beaucoup beaucoup de choses qui m’ont vraiment transporté dans ce texte, une écriture absolument incroyable, vraiment proche du surréalisme, une grande force d’évocation poétique, une espèce de mélancolie … Je suis extrêmement touchée par ce texte. Cela a tout de suite été un immense coup de foudre. »Certains critiques trouvent qu’il s’agit d’un livre hypnotique et onirique. Peut-on dire que Michal Ajvaz ressuscite dans ce livre les procédés de la littérature surréaliste ?
« Je pense qu’il a peut-être le désir et la volonté d’être plus lisible que la littérature surréaliste qui cherchait avant tout à opérer une rupture. Je pense que Michal Ajvaz n’est pas dans cette volonté première d’opérer une rupture. Il cherche quand même à ce que le lecteur puisse entrer dans son texte. Et ce qui est remarquable, c’est qu’il a, à la fois, une originalité folle, un côté extrêmement exigeant dans l’écriture qu’on n’a jamais vu nulle part ailleurs et, à la fois, je trouve, une empathie, une force qui se dégage de ce livre et qui fait que le lecteur entre dans ce texte. C’est à la fois quelque chose de très intellectuel et de très charnel, ce qui n’est pas la littérature surréaliste, du moins à mon avis très subjectif. »Plonger dans la tête d’un homme
Vous avez publié tout récemment le roman « Avenue nationale » de Jaroslav Rudiš. Pourquoi cette œuvre et pourquoi cet auteur ?
« C’est un auteur que j’avais repéré lorsqu’il avait été publié en France par la maison Books Editions, une très bonne maison d’ailleurs. Le livre m’a beaucoup plu et ensuite j’avais entendu parler de cet auteur par une traductrice qui m’avait soumis un texte que je trouvais très très bon mais je n’avais pas l’impression que c’était bon pour les débuts de Mirobole. Et puis, chemin faisant, j’ai épluché davantage sa bibliographie et on est tombé avec la traductrice sur ce roman, qui n’en est pas vraiment un, ‘Avenue nationale’, et voilà, cela a été à la fois un vrai choc de lecture et la conviction qu’on pouvait porter à Mirobole ce livre. C’est encore tout frais, donc j’espère qu’on va arriver à le défendre. »« Avenue nationale » est une sonde originale dans la vie et la pensée d’un « dur » de banlieue de Prague. Qu’est-ce que l’histoire de ce bagarreur et visionnaire de bistrot peut apporter au lecteur français ?
« Eh bien je me méfie de toute idéologie et de tout parallèle abusif entre la réalité tchèque et une éventuelle réalité française. J’ai pris ces précautions oratoires puisqu’il faut laisser à la littérature sa vocation ; la politique et l’idéologie c’est autre chose, d’ailleurs très noble, mais ce n’est pas ce que je fais. Voilà. En revanche il est certain que plonger dans la tête de cet homme, Vandam, c’est apprendre à rencontrer de l’intérieur l’esprit d’un homme qui se trouve perdu en quête de repères, en quête d’identité, et cela a un écho assez évident avec ce qu’on peut voir en France. Le personnage de Vandam en République tchèque a connu le communisme, le communisme a fini, on lui a promis la démocratie, on lui a promis monts et merveilles, mais il ne voit rien venir et il est perdu. En France, c’est différent. On nous a promis une démocratie parfaite, un modèle de liberté, un modèle de valeurs et ce n’est pas tout à fait ce qu’on obtient. Le lecteur français peut effectivement trouver des échos assez importants. On est dans une période de transition, les démocraties occidentales cherchent un peu notre avenir. J’espère que ce livre pourra porter une petite pierre à l’édifice, qu’on puisse réfléchir à la façon dont les démocraties peuvent évoluer. »
Quels sont les projets d’avenir de Mirobole Editions ? Quels auteurs et quels ouvrages enrichiront prochainement votre catalogue ?
« Bien, on pense justement à un prochain ouvrage de Jaroslav Rudiš. Sa bibliographie n’est pas abondante mais il a écrit d’autres romans sur lesquels nous sommes en train de nous pencher, notamment ‘Le grand hôtel’ et ‘Le ciel au-dessous de Berlin’ qui sont deux ouvrages que j’aimerais beaucoup publier. Donc c’est en cours de considération. Michal Ajvaz, c’est aussi un auteur que je souhaite continuer à suivre. Dès l’année prochaine, je crois en août ou en septembre 2017, nous publierons le livre de Michal Ajvaz qui s’appelle ‘L’Âge d’or’ et qui est un livre absolument formidable, une vraie rencontre avec un style bouleversant et des constructions remarquables. Voilà, encore une fois on n’est pas déçu par un auteur qui est vraiment remarquable mais j’ai aussi un auteur de polar portugais, une auteure suédoise, j’ai un recueil de nouvelles horrifiques. A Mirobole nous cherchons à publier des textes vraiment très divers, très variés, en essayant de créer des ponts entre les différents genres littéraires pour ne pas nous cloisonner. »