Ces francophones qui parlent tchèque (n° 5) : « Je ne disais pas à ma copine que je ne la comprenais pas »
Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague ! Suite de notre série consacrée aux francophones qui parlent, ne serait-ce qu’un tant soit peu, ou font l’effort d’apprendre le tchèque. Après Chantal la comédienne, Stéphane l’écrivain et showman, Martine la prof, épouse et maman, et Aude la traductrice, c’est cette fois Cyril l’architecte qui va nous parler de son apprentissage du tchèque et de sa relation avec une langue réputée pour être particulièrement difficile. Cyril P. est un jeune architecte français qui est employé depuis peu dans une agence pragoise. Et il a d’abord répondu à la question obligatoire : mais pourquoi donc s’est-il mis au tchèque ?
Qu’est-ce qui vous a plu à Prague ?
« L’état d’esprit des Tchèques. J’avais d’abord rencontré des Tchèques dans un workshop en Italie, j’ai passé un mois avec eux et j’ai beaucoup apprécié leur liberté d’esprit. Et une fois à Prague, j’ai aimé la ville. C’est une capitale, mais on ne se rend pas compte de l’échelle de la ville. Y vivre est agréable. »
Cette découverte vous a donc donné envie d’y vivre, et à partir de là, vous vous êtes lancé dans l’apprentissage du tchèque, cette étape vous semblant indispensable pour votre installation. C’est bien ça ?
« On peut dire les choses comme ça. La langue, c’est hyper important. Même quand on commence à connaître les gens, avec l’anglais il y a toujours une espèce de barrière. Ça ne permet pas de mieux connaître les gens. De manière générale, plus on maîtrise une langue, plus on se sent à l’aise dans la vie de tous les jours. Quand on fait des courses, on comprend ce qui s’y passe, on peut parler avec les gens… C’est quand même nettement plus agréable que de forcer les gens à parler anglais ou d’être toujours à devoir leur demander s’ils parlent anglais. Ce n’est pas évident, il faut y aller doucement. Mais ça marche ! »
Et comment se sont passé vos premiers pas en tchèque ?
« Il y a différentes étapes. Les mots de base rentrent assez facilement. Mais rien que l’alphabet est déjà un peu délicat. Le tchèque a des lettres que n’a pas le français. Lire n’est donc pas évident. Disons qu’on progresse tout doucement. Il ne faut pas forcer les choses et se dire qu’on parlera tchèque en un mois. Non, ça ne marche pas comme ça… »Quelle méthode d’apprentissage avez-vous d’abord choisie ?
« J’avais récupéré une vieille méthode Assimil d’un ami qui avait vécu à Prague il y a trente ans de ça. J’avais donc ma petite leçon quotidienne avec les enregistrements. Chaque jour, j’essayais de m’y immerger l’espace d’une demi-heure ou trois-quarts d’heure. Tout ça en France, puisqu’il s’est passé un an entre ma première expérience de cinq mois à Prague et maintenant. Et puis je n’oublie pas ma copine. C’est aussi beaucoup grâce à elle que j’ai réussi à développer mes facultés orales et de compréhension. »
Une copine tchèque avec laquelle vous parlez donc tchèque depuis le début…
« Non, au début on communiquait en anglais, et aussi en français puisqu’elle étudiait à Bruxelles. Mais elle a été l’élément déclencheur. J’étais curieux de la langue, mais à partir du moment où j’ai fait la connaissance de ma copine à Prague, tout s’est enchaîné et l’apprentissage a été plus rapide. »
« Après, je me suis aussi forcé. Mon idée était d’être prêt pour pouvoir venir travailler ici en République tchèque. Mais pour avoir une chance de m’en sortir et d’être opérationnel en tchèque, je savais qu’il fallait que j’aie de bonnes bases. Donc, à partir de là, j’ai commencé à me faire un planning avec une 1h30 de tchèque chaque jour, toujours avec ma méthode Assimil et une autre méthode qui s’appelle ‘Krok za krokem’ (‘Pas à pas’). Tout ça sans compter les heures passées sur Skype avec ma copine... »
Avez-vous également cherché à rencontrer des Tchèques qui vivaient en France ?
« A Nantes, où j’étudiais, il y a une association franco-tchèque et il y avait des filles qui étaient en Erasmus et donnaient des cours de tchèque. Dès que j’ai eu mon diplôme d’architecte, je me suis mis à fréquenter régulièrement ces cours, qui étaient aussi un bon moyen de découvrir la culture et l’histoire tchèques. C’est aussi ce qui est très intéressant dans l’apprentissage d’une langue. »
« Mon niveau de tchèque me permet de décrire le noir et le blanc, mais pas toutes les nuances de gris »
Vous avez ensuite fait le grand saut et êtes venu vous installer à Prague avec l’idée d’y travailler. Mais qui dit emploi, dit entretiens d’embauche. Comment s’est donc passée cette étape-là ?« La phase de recherche a été un peu difficile, car on perd confiance. On envoie beaucoup de candidatures, mais on reçoit aussi beaucoup de réponses négatives. Mais je ne peux pas me plaindre, car j’ai eu de la chance. Je n’ai eu qu’un entretien, et le premier a été le bon ! »
Comment se passe le travail en tchèque ?
« Ce n’est pas évident… Je ne vais pas mentir, même si l’avantage de mon métier, c’est qu’il est très technique. Certes, il y a encore beaucoup de vocabulaire que je n’ai pas en tchèque, mais je peux communiquer par le dessin. C’est un peu une communication graphique. L’essentiel du temps, on fait passer nos idées par des schémas et des dessins. »
Et au bureau avec vos collègues tchèques ?
« On parle en tchèque… Uniquement en tchèque. »
Et avec les clients ?
« J’ai rencontré pour la première fois un client après un mois de travail. Mais le métier d’architecte est un métier de médiation. On sert de médiateur entre le client et les entreprises, qui ont des langages différents. En français déjà, c’était parfois compliqué de trouver les mots justes avec chaque personne. Alors là, en tchèque, la difficulté est multipliée. Parfois, c’est frustrant, notamment dans le processus de projet et de création. Il faut partager les idées, mais c’est délicat. Avec mon niveau actuel de tchèque, j’arrive à décrire ce qui est noir et blanc, mais pas encore tous les dégradés de gris qui existent entre les deux et qui sont importants dans l’architecture. Ce que je dis est une image. En fait, tout ce que l’on fait est très subtil, et ça, je n’arrive pas encore à le comprendre et l’exprimer. »
« J’ai découvert le tchèque aussi grâce à la musique de Karel Kryl »
Le tchèque est-il une langue qui te plaît ?
« Oui, c’est une langue très mélodique. Je parle italien et espagnol, mais cela n’a rien à voir. Mais le tchèque est une langue structurée. Une fois que l’on en a compris la logique, ça va tout seul, que ce soit pour la prononciation ou toutes les règles de déclinaisons, qui peuvent paraître un peu compliquées… C’est surtout la mélodie qui me plaît. C’est d’ailleurs par la musique que j’ai aussi découvert le tchèque. Un ami m’a fait écouter du Karel Kryl et cela m’a beaucoup plu. »Pourtant les paroles ne sont pas évidentes…
« Non, car ce sont des paroles qui ont un double sens. Ce sont des chansons qu’il a écrites pendant la période communiste, et c’est vrai que je ne comprenais pas au début. Mais c’est très beau. »
Quelle chanson de Karel Kryl apprécies-tu plus qu’une autre ?
« Disons ‘Anděl’ (L’Ange). Je pense que tout le monde la connaît, mais c’est la première musique tchèque qui m’a vraiment plu. Je l’écoutais en boucle. »
« J’ai forcé ma copine à ne me parler qu’en tchèque »
« Les Tchèques sont des gens patients et ouverts. Le plus souvent, ils sont très surpris de m’entendre parler tchèque. Avec mon accent, ils savent très bien que je ne suis pas tchèque, mais ils sont curieux de savoir comment un étranger en vient à parler tchèque. »
N’ont-ils pas tendance à essayer de vouloir parler avec toi plutôt en anglais ?
« C’est vrai que les Tchèques sont très bons en langues. Par exemple, dans l’appartement où nous vivons avec ma copine, nous sommes en collocation avec un autre couple tchèque et un Tchèque. Les premiers jours, malgré le fait que je leur parlais en tchèque, ils me répondaient en anglais. C’est tout bête, mais même pour un simple bonjour, ils me disaient ‘hello’. Maintenant, ils savent que je comprends suffisamment pour pouvoir me parler tchèque. Le seul problème est qu’ils parlent de plus en plus vite au fil des jours, alors qu’au début ils faisaient l’effort pour parler clairement et distinctement. C’est donc un entraînement supplémentaire. »Et avec ta copine, comment cela se passe ?
« Bien. Nous parlons en tchèque. Les premiers mois, on parlait en anglais, mais à force nous sommes passés au tchèque. Je lui ai demandé de ne me parler qu’en tchèque. Bon, je ne comprenais pas grand-chose, mais je ne lui disais pas… Bah non, je ne voulais pas qu’elle repasse à l’anglais. C’était d’ailleurs un peu comique parfois, surtout quand elle me posait une question et que je ne comprenais même pas que c’en était une… »
« Je cherche des filles… Pardon, des baguettes »
Question un peu obligatoire dans cette rubrique : quel est pour toi le mot typiquement tchèque ? Un mot qui en quelque sorte définit ce que sont les Tchèques ?
« … (Il réfléchit vainement) »
Ou une expression que tu trouves amusante ?
« Je ne suis pas sûr de bien la dire, mais celle avec le doigt qui traverse le cou… »
Strč prst skrz krk (littéralement ‘Enfonce un doigt dans la gorge’) ?
« Je l’ai dit des milliards de fois, mais là je suis incapable de la prononcer… (il rèpète) Strč… prst… skrz… krk… Il n’y a pas la moindre voyelle dans aucun des mots. Il n’y a qu’en tchèque que j’ai vu ça. »Vous est-il arrivé que votre maîtrise encore imparfaite du tchèque vous place dans des situations disons cocasses ?
« Il y a un an de cela, j’étais dans un supermarché et je voulais acheter des baguettes, car je préparais des sushis avec mes colocataires. J’avais tout ce qu’il fallait, sauf donc les baguettes, qui se disent ‘hůlky’. Le problème est que j’ai employé le mot ‘holky’ (filles) à la place. Quand j’ai donc dit à la vendeuse ‘hledám holky’ (ce qui signifie ‘je cherche des filles’), elle m’a regardé très bizarrement… »