Ivan Matoušek, un officier tchécoslovaque dans les Forces françaises libres
Y’en a pas un sur cent et pourtant ils existent, ces hommes, qui, comme Ivan Matoušek, décidèrent en 1939 de fuir la Tchécoslovaquie occupée par les Allemands pour continuer la lutte armée contre l’Allemagne nazie. Une décision qui a conduit Ivan Matoušek à rejoindre les Forces françaises libres du général de Gaulle et à combattre sur différents fronts, en Afrique comme en Europe. « Ce qui est juste fermente et devient force… » est le nom d’un ouvrage récemment paru aux éditions Triáda, qui permet, à travers des documents d’archives et des écrits personnels, de retracer le destin de ce soldat qui perdit la vie en septembre 1944 sur les berges de la Meurthe en tentant de venir en aide à des camarades. A l’occasion d’une conférence à Prague à propos de ce livre, Marie Stránská, qui a collaboré à sa réalisation, est revenue sur l’histoire de cet homme pour Radio Prague.
Les archives recueillies dans cet ouvrage permettent de mettre en lumière trois moments de la vie d’Ivan Matoušek, le moment où il fuit la Tchécoslovaquie qui est occupée par les forces allemandes, la libération de Paris à laquelle il prend part sous l’uniforme français et sa mort en septembre 1944. Pouvez-vous pour commencer évoquer sa fuite de la Tchécoslovaquie en 1939 ?
« Il part d’abord en Pologne, parce qu’en Pologne, il y a une unité tchécoslovaque qui se forme. Malheureusement, il est trop tard car Hitler a également envahi la Pologne. Les Tchécoslovaques sont donc obligés de fuir plus vers l’est. Ivan se retrouve dans un détachement qui réussit à échapper aussi bien à l’attaque allemande qu’aux Soviétiques qui avancent depuis l’est. Et il réussit à rejoindre la Roumanie. De la Roumanie, les Tchécoslovaques partent vers la France, où ils se retrouvent. En 1940, ils prennent aussi part aux combats en France mais de nouveau ils sont obligés de continuer la route. Ils réussissent à rejoindre Londres et là ils attendent. Certains sont impatients de combattre et ils demandent à intégrer les armées d’autres pays. Puisque le général de Gaulle manque cruellement d’officiers, il est demandeur. Aussi, le gouvernement tchécoslovaque en exil met à disposition des Forces françaises libres certains officiers et Ivan Matoušek se retrouvent parmi eux. »Ivan Matoušek va prendre part à plusieurs combats sur différents fronts, en Afrique notamment. Comment vit-il son expérience dans l’armée française, ces combats ? Parle-t-il français ?
« Oui il parle français. C’est l’une des conditions pour être admis dans l’armée française. Il passe des examens, c’est obligatoire. Dans leurs mémoires, les gens disent qu’il a gardé un fort accent… A part cela, il parle très correctement. »Pendant la conférence, on a pu entendre qu’il avait un caractère bien trempé. Comment cela se manifeste dans sa vie de soldat ?
« Ce sont des détails qu’on ne connaît pas. Ce sont surtout ses hommes qui disent qu’il leur faisait faire beaucoup d’exercices. Mais ce n’était pas pour le plaisir, c’était vraiment vital et cela s’est montré plus tard dans les combats, quand tous les détails comptaient. Il faut dire aussi que les Français libres, c’était des soldats assez spéciaux. Car c’était des gens qui voulaient se battre et souvent aussi des caractères bien trempés. Mais apparemment, il était dur ; c’est ce qu’ils disent. Le général Oddo et le colonel Willing, dans leur livre sur les spahis marocains, disent que Matoušek était dur et que c’était apparemment le fruit de sa formation prussienne. Ce qui est un peu amusant puisqu’on sait que ce sont les officiers français qui ont formé l’armée tchécoslovaque pendant la guerre. Mais c’est pour l’anecdote. »
Un autre moment auquel il prend part et qu’on peut vivre à travers différentes archives dans le livre, c’est la libération de Paris où il accompagne le général de Gaulle les 25 et 26 août 1944. Pouvez-vous nous parler de ce moment ?
« C’est un des moments qui a laissé beaucoup de traces. C’est aussi grâce à cela qu’on a appris beaucoup de choses sur Ivan parce que cette entrée du général de Gaulle à Paris, par exemple, a été accompagnée par les journalistes, notamment par des journalistes américains du journal Life avec Robert Capa. Il y a donc des photos de Robert Capa qui sont d’ailleurs publiées dans le petit livre. L’unité d’Ivan, le 1er peloton du 5e escadron du 1er régiment des spahis marocains a été choisi parce qu’elle était l’héritière de la première unité qui s’est jointe au général de Gaulle après l’invasion de la France. C’était donc très symbolique, une tâche honorifique et cela a dû être un moment fort. De cela, on a un récit qui est contemporain et qui est paru dans un petit journal à tirage très limité par les vétérans de cette unité. Et il y aussi des photos. »Il ne restait alors qu’à peine un mois à vivre à Ivan Matoušek. On connaît les circonstances de sa mort…
« Il est mort en allant sauver des blessés qui ont été abandonnés par leur unité. Il faut savoir que c’était pendant des combats en Lorraine et que les combats étaient très durs et que les armées passaient et repassaient. Militairement, c’était une entreprise désespérée parce que les blessés se trouvaient sur un pont et il y avait des tireurs allemands de l’autre côté de la rivière. Mais on peut comprendre aussi que dans une guerre comme ça, et surtout quand on se sent responsable des jeunes, quand on a dix ans de plus qu’eux, on peut tenter des choses désespérées. Ivan Matoušek est allé les sauver seul au lieu d’envoyer un de ses hommes. Il est allé prendre le risque lui-même, il n’a pas réussi à sauver les blessés et il y a laissé sa vie. Même si militairement, cela n’avait pas de sens, humainement cela avait un grand sens et c’est pour cela qu’on se souvient de lui encore aujourd’hui. Dans les archives, j’ai trouvé que les deux blessés ont survécu finalement. Ils ont été ramenés après mais ils ont survécu. »Sur ce livre, vous avez notamment travaillé à rechercher des archives. Et vous avez été surprise d’en trouver autant…
« En fait, on s’attendait à en trouver aucune. Après, le hasard a fait qu’Ivan a accompagné l’entrée du général de Gaulle dans Paris. Donc cela a laissé beaucoup de traces. Un autre hasard, c’est que les soldats de son unité ont été très débrouillards. Ils ont édité un petit journal juste après la guerre, qui est archivé à la Bibliothèque nationale, qui est en très mauvais état mais qui a été numérisé. Là, il y a des témoignages de première main et écrits pratiquement un an après sa mort, donc très vite. Pour ces raisons, il y a des traces. Il y a aussi le fait qu’en France, la mémoire est très entretenue et c’est très touchant. C’est une excellente chose qui porte ses fruits. »Elle est entretenue par exemple avec ce cimetière des volontaires tchécoslovaques et des soldats tchécoslovaques au nord de la France. Pouvez-vous nous parler de cet endroit ?
« Il y a le cimetière des volontaires tchécoslovaques des deux guerres à La Targette. C’est justement l’Association des anciens volontaires tchécoslovaques en France qui s’en est occupée, qui s’est occupée de transférer les dépouilles de pratiquement tous les Tchécoslovaques de tout le territoire français sur cet unique endroit. Les Tchèco-slovaques s’y réunissent une fois par an pour honorer la mémoire de ces soldats tombés pour la liberté des deux pays. Pour moi, c’est un endroit européen. »
Vos recherches vous ont conduit à rencontrer des anciens soldats qui ont côtoyé ou qui ont connu même brièvement Ivan Matoušek. Là, vous avez rencontré, dites-vous, des personnalités fortes…« Les rencontres avec les anciens Français libres étaient très touchante et très riches. Je pense que c’est vraiment une chance de côtoyer ou de rencontrer même brièvement des gens qui, à 90 ans, vivent une vie pleine, avec force, en portant sur eux les destins de leurs collègues tombés, entretenant leur mémoire, et en même temps vivant une vie normale, parfois avec beaucoup de succès. Ce sont vraiment de belles personnes. »