Samuel Fritz, l'apôtre de l'Amazone
Qui es-tu Samuel Fritz ? S’il le pouvait, ce jésuite né en 1654 à Trutnov au nord-est de la Bohême répondrait qu’il est tout simplement le premier à avoir réalisé une carte détaillée de l’Amazone, fleuve d’Amérique du Sud qui cumule les records et se dispute avec le Nil le titre de plus long cours d’eau du monde. C’est le destin de ce missionnaire-explorateur que cette rubrique historique de Radio Prague vous propose de découvrir.
Depuis cette époque, il semblait établi que la source de l’Amazone se situait en amont de la rivière Marañón, tel que l’avait notamment décrit Samuel Fritz, suite à une seconde expédition en pirogue sur le fleuve qui l’avait conduit jusqu’à la lagune de Lauricocha. La vérité est pourtant toute autre et c’est le groupe mené par Bohumír Janský qui a permis en 1999 de la faire triompher. Le géographe n’en démord pas depuis lors : c’est l’Amazone qui est le plus long cours d’eau du monde, puisqu’il dépasserait le Nil d’une courte tête, à peine trente kilomètres. Tout en apportant un cinglant désaveu aux écrits de Samuel Fritz, Bohumír Janský estime avoir rendu l’hommage que le jésuite méritait :
« Nous nous sommes inclinés devant l’œuvre immense de Samuel Fritz et de son équipe, qui ont laissé là-bas une empreinte significative. Il y a quelques années personne ne savait en Tchéquie qu’une rue et une place à Quito, la capitale de l’Equateur, portent le nom de ce jésuite tchèque, qu’il est connu au Pérou dans certains villages où il a travaillé, qu’il a fondé plusieurs villages dans cette région de l’Amazonie et qu’il est très estimé. « Padre Fritz » est un concept important là-bas. Donc, d’une certaine façon nous avons lavé l’honneur de son nom et nous nous sommes intéressés à sa vie. »Cette vie qui débute en 1654 au nord-est de la Bohême et qui ne semblait pas destinée à croiser la route des Omaguas, des Ibanomas, et autres Ticunas, autant de peuples indigènes de l’ouest de l’Amazonie avec lesquels il aura travaillé à propager la parole des Saintes Écritures. Samuel Fritz étudie d’abord la philosophie à l’Université Charles, alors appelée Université Charles-Ferdinand, puis rejoint la Compagnie de Jésus à Brno avant de parfaire ses connaissances théologiques à Olomouc. C’est là qu’il devient ami avec un certain Jindřich Václav Richter, lequel est entré dans les ordres contre sa volonté. Les deux hommes partagent le même goût de la géographie et demandent à partir en mission en Amérique du Sud. Fin 1783, Samuel Fritz, alors âgé de 29 ans, quitte définitivement les pays tchèques de son enfance et ne rejoint le Nouveau monde qu’après un an de voyage, après des étapes à Gênes, Séville et Cadix.
Le journal personnel qu’il tient de 1686 à 1723, deux ans avant l’année de sa mort au Pérou, est un document ethnographique important. Il y relate notamment son travail avec les Omagas, qui vivent sur un territoire situé à l’ouest de l’actuel Brésil. Durant trois ans, cet homme, qui impressionne par sa grande taille, visite chacun des 38 villages que compte ce peuple, baptisant les enfants à tour de bras, renommant ces bourgades selon les noms de saints patrons et construisant des chapelles rudimentaires. Souffrant d’une maladie tropicale, probablement le paludisme, il entreprend après cette mission un premier périple sur l’Amazone afin de rejoindre la ville de Belém, à l’embouchure du fleuve, où il espère être soigné.Quelques années plus tard, quand il revient parmi les Omagas, il s’aperçoit qu’un véritable culte s’est construit autour de sa personne ; il est différent des autres Européens et on croit qu’il est immortel. C’est une époque où il est également la victime bien involontaire des rivalités frontalières entre Espagnols et Portugais, qui continuent de se disputer le partage du monde, deux siècles après le traité de Tordesillas. Immortel, Samuel Fritz, et ses quelque quarante missions auprès des peuples amérindiens d’Amérique du Sud, l’est presque devenu à travers la carte qu’il réalise, pourtant avec très peu de moyens. Une carte, seulement publiée en 1707, qui représente le continent depuis le Pacifique jusqu’à l’Atlantique et qui a fasciné Bohumír Janský :
« Cette carte a un destin très intéressant. Elle mériterait un travail d’étude plus approfondi car elle a progressivement évolué. Ce n’est pas l’œuvre du seul Samuel Fritz. Plusieurs contributions ont permis sa réalisation. Son ami Václav Richter est le coauteur de la carte. Il est mort sans gloire, tué par un indigène, sans doute près de la rivière Ucayali. Quoi qu’il en soit, la carte, après avoir été plusieurs fois perdue, a par chance été retrouvée et elle se trouve aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de France. » C’est à un Français que l’on doit la redécouverte de cette carte, et pas des moindres, puisqu’il s’agit de La Condamine, un botaniste reconnu en particulier pour ses travaux dans le bassin amazonien et connu pour avoir conduit une expédition ayant pour but de confirmer la forme ellipsoïde de la Terre. Le scientifique français tombe en 1743 sur le précieux document dont il loue la précision, surtout au regard des faibles ressources dont disposaient le père jésuite. A l’aide de cette carte, et au moyen du journal laissé par Samuel Fritz, Bohumír Janský, après avoir découvert les sources du fleuve Amazone, n’aurait pour sa part plus qu’un objectif à accomplir :« J’ai toujours en tête qu’après la découverte des sources de l’Amazone, nous devrions faire encore une chose : mener une expédition sur les traces de ces jésuites. Si nous trouvions les financements, je crois qu’avec des caméras de télévision, cela serait quelque chose de magnifique. Nous partirions de l’Espagne en bateau vers les Caraïbes, vers l’île de la Martinique, pour atteindre ensuite Carthagène en Colombie. Ensuite il faudrait remonter dans des canoës d’Indiens tout le fleuve Magdalena à contre-courant. Puis nous rejoindrions Quito à pied via les hauts plateaux. Après on traverserait les montagnes en suivant des cours d’eau sauvages vers l’Amazonie, dans un endroit où les jésuites avaient fondé un village. Ce serait quelque chose de merveilleux. Il est difficile d’imaginer aujourd’hui comment ils ont pu tenir le coup dans les conditions qui existaient il y a trois siècles. »