Sécheresse et pénurie d’eau : deux préoccupations très justifiées des Tchèques
Au cours de la décennie écoulée, bien plus que par le passé, il a souvent été question de sécheresse en République tchèque. Malgré une année 2020 « plus normale » et un dernier hiver abondant en neige, la pénurie d’eau est d’ores et déjà devenue un important problème.
Le printemps 2021 a beau être marqué jusqu’à présent essentiellement par un temps « pourri », humide et plutôt froid, il ne faut pas s’y tromper : ces dernières années, il a souvent fait chaud, et même trop chaud pour la saison en République tchèque, et plus généralement dans l’ensemble de la région. Avec des hivers particulièrement doux, avec peu ou pas de neige même en altitude, suivis de printemps et d’étés très secs accompagnés de records de températures et de fréquents orages plus dévastateurs que bienfaiteurs, 2014-2019 a été la période la plus chaude de l’histoire du pays. La « faute à l’Ouest », bien évidemment, comme diraient si bien certains politiques tchèques, puisque les fronts humides en provenance de l’Atlantique ont été moins nombreux et ont cessé d’arroser comme auparavant une Europe centrale où règne un climat en quelque sorte désormais trop continental.
Les météorologues se félicitent donc d’un certain retour à la normale en ce printemps, rappelant que deux des traits caractéristiques de la météo en Europe centrale sont précisément sa variabilité et son instabilité. Le temps serait capricieux ? Eh bien, tant mieux !, nous disent-ils en quelque sorte. Toujours selon eux, il fut une époque pas si éloignée où la seule prévision sérieuse possible était que soleil et pluie se relayaient tous les cinq à sept jours. Or, ces dernières années, les périodes chaudes et sèches ont prédominé.
Conséquence de quoi, selon l’enquête commandée par la Radio tchèque, 84% des Tchèques considèrent la sécheresse comme un problème très grave ou grave. L’état des réserves d’eau préoccupe beaucoup également 81% d’entre eux. A leurs yeux, il s’agit même là des deux menaces les plus concrètes que font peser sur l’avenir les changements climatiques. Géographe et hydrologue à la Faculté des sciences naturelles de l’Université Charles à Prague, Bohumír Janský confirme que les craintes des Tchèques sont justifiées, et ce malgré donc ce printemps pluvieux, capricieux certes mais bienvenu :
« On voit bien autour de nous que pour ce qui est de l’humidité des sols et du niveau des nappes phréatiques, la situation est actuellement très bonne. Il aura suffi pour cela d’une année 2020 somme toute normale en termes de précipitations, et surtout d’un dernier hiver durant lequel la neige a été abondante par rapport aux années précédentes. Sur les sommets de certains massifs, il en reste d’ailleurs encore un peu, elle n’a pas fini de fondre. Je dirais que c’est une situation idéale aux yeux des hydrologues et des ingénieurs des eaux, même si cela ne doit pas nous faire oublier que la tendance marquante de ces dernières années est que la pénurie de neige est de plus en plus importante et que les hivers enneigés sont de moins en moins fréquents. »
Si l’état de ces réservoirs de faible profondeur, qui en République tchèque constituent la principale source d’eau potable, s’est donc amélioré, il n’en est rien en revanche des nappes souterraines plus profondes, comme l’explique toujours Bohumír Janský :
« Si l’on observe que les nappes phréatiques réagissent au volume des précipitations, c’est-à-dire que leur niveau remonte assez vite lorsqu’il pleut abondamment comme lors de ces derniers mois, en revanche on constate qu’il n’en va de même pour les nappes plus profondes. Non seulement leur niveau reste inférieur à ce qu’il a longtemps été, mais il continue même de baisser dans plusieurs régions. »
La Bohême du Sud et la Moravie, mais aussi dans une moindre mesure la Bohême centrale, sont les régions en République tchèque les plus menacées par la sécheresse des sols. Mais les réserves d’eau ailleurs dans le pays ne sont guère plus abondantes, bien au contraire selon l’hydrologue :
« 2018 a été l’année la plus sèche depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, mais la période de cinq années consécutives entre 2015 et 2019 nous montre clairement que la situation en République tchèque, au cœur du continent européen, n’est pas bonne et qu’il convient de réagir. Si l’on considère un facteur primordial comme les ressources en eau renouvelables (eaux souterraines + eaux de surface), autrement dit la quantité d’eau que nous, Tchèques, disposons par habitant, on s’aperçoit que nous sommes parmi les moins bien lotis en Europe. Concrètement, il s’agit d’un volume d’environ 1 500 m3 par habitant, puisque le total des ressources internes est de quelque 15 km3. Or, nous présentons un indice d’exploitation, c’est-à-dire la part d’eau prélevée, très élevé puisqu’il se situe entre 25 et 30%. Tous ces chiffres nous confirment qu’il y a urgence à agir pour augmenter les réserves d’eau sur notre territoire. »
Pour se faire une idée plus concrète de l’avertissement lancé par Bohumír Janský et ses collègues, l’Organisation mondiale de la santé considère qu’il existe un « stress hydrique » si un être humain dispose de moins de 1 700 m3 d’eau par an et parle de « pénurie » lorsque ce volume est inférieur à 1 000 m3 par an. Et si l’indice d’exploitation grimpe jusqu’à plus de 100% dans certains pays de régions très chaudes, comme l’Arabie saoudite ou la Libye, en France il se situe autour de 20%, soit dans la moyenne des pays industrialisés. En Europe, les valeurs supérieures à 20% sont d’ailleurs généralement considérées comme une indication de la rareté de l’eau, tandis que les valeurs égales ou supérieures à 40% indiquent des situations de grave pénurie. En matière de protection et de renouvellement de ses ressources, c’est donc clair comme de l’eau de roche : la République tchèque se doit de cesser de nager entre deux eaux et désormais agir elle aussi urgemment.