Crise grecque : la République tchèque dans les pas de l'Allemagne
Dimanche dernier, le référendum grec et la victoire du « non » à la question de l’acceptation des réformes soumises par les créanciers à la Grèce ont sonné comme un coup de tonnerre en Europe. Dans des pays comme la France, ce résultat a été diversement apprécié, certains condamnant l’audace du peuple grec, d’autres au contraire y voyant une opportunité pour changer les règles du jeu au sein de l’Union européenne. En Europe centrale et orientale, politiques et médias ont souvent fait preuve d’une belle unanimité pour condamner le coup politique d’Alexis Tsipras et pour évoquer une porte ouverte vers un « Grexit », quand bien même ce n’était pas la question posée lors du référendum. C’est le cas en République tchèque, un pays qui n’est pas encore membre de l’eurozone, et nous allons tenter de comprendre pourquoi à travers cette rubrique économique.
« Je pense que les Grecs ont choisi la plus mauvaise variante dans ce référendum, ils ont en tout cas choisi la variante qui complique le plus les choses. Pour l’heure, je considère qu’il y a en Europe une forte volonté, une bonne volonté, de la part de la chancelière allemande Angela Merkel et du président français François Hollande. Mais je crains qu’il soit difficile de garder les Grecs dans la zone euro contre leur volonté. »
La « volonté » des Grecs n’est pourtant pas de quitter la zone euro. Une telle éventualité n’est pas prévue par les traités. Ce n’était de toute façon pas la question posée et comprise lors du référendum, ainsi que l’indique l’économiste Aleš Chmelař, qui collabore aux analyses sur l’Union européenne pour le gouvernement tchèque et qui dit avoir été surpris par l’annonce de ce référendum mais pas tant par son résultat :
« Le peuple grec n’a probablement pas pris la question comme celle de l’appartenance à la zone euro, mais l’a vraiment pris comme la question telle qu’elle était écrite dans le référendum, c’est-à-dire sur le programme, sur la structure des réformes que la Grèce doit entretenir dans les années à venir. »L’économiste Ilona Švihlíková a, elle, été surprise par le référendum et surtout par l’ampleur du vote en faveur du « non », qui a rassemblé plus de 60% des suffrages. Elle considère que le programme de Syriza comporte de bonnes mesures d’un point de vue de la rationalité économique et loue par exemple la proposition d’Athènes d’émettre des obligations dont le paiement des intérêts serait indexé sur la croissance. Ilona Švihlíková s’inscrit également en faux contre l’idée, largement diffusée dans certains médias, que les Grecs auraient voté « contre l’euro » et in fine « contre l’Europe » :
« Ce qui m’a déconcerté, c’est la façon dont le référendum a été diversement interprété. La Grèce a clairement dit qu’il s’agissait de voter sur les conditions fixées par les créanciers, si elles sont acceptables telles qu’elles ont été formulées ou non. D’un autre côté, la plupart des représentants de l’eurozone ont complètement modifié la question et ont commencé à dire que les Grecs choisissaient s’ils voulaient rester ou non dans l’eurozone. Il me semble que cette attitude est très injuste, qu’ils ont complètement déformé la question initiale alors même que la majorité des Grecs souhaitent rester dans la zone euro, notamment parce que pour l’heure les conditions d’une autre solution n’ont pas été élaborées. »
L’autre constante cette semaine, c’est de mettre sur le dos de Syriza, au pouvoir depuis seulement six mois, l’entière responsabilité de l’échec des négociations avec les « institutions », la Commission européenne, le Fond monétaire internationale (FMI) et la Banque centrale européenne (BCE), malgré les conséquences tragiques des mesures d’austérité menées jusqu’alors : la réduction des salaires dans le public et des pensions de retraite, les privatisations, le recul de l’âge de départ à la retraite, la hausse de la TVA et des impôts, etc... Depuis cinq ans, la Grèce, où ont été appliqués « deux plans de sauvetage », a vu son PIB chuter de 25% et son énorme dette, à l’origine de la crise, exploser d’environ 100% de son PIB en 2007 à près de 180% aujourd’hui. La situation sociale est catastrophique : le chômage atteint 25% de la population active et même 50% chez les jeunes et plus d’un tiers des Grecs sont sous le seuil de pauvreté. Aleš Chmelař commente :« Je pense qu’il n’y a plus personne dans la zone euro qui ne se rend pas compte que ces réformes n’ont pas été un succès pour l’économie grecque. C’est la raison pour laquelle, peut-être, un accord un peu plus compréhensible et un peu plus acceptable pour les Grecs pourrait être trouvé d’ici la fin de la semaine ou la fin de l’année. »
Cet optimisme n’est pas partagé par tous. Par exemple, le ministre des Finances, le milliardaire Andrej Babiš, qui indique par ailleurs que la Grèce n’aurait de toute façon jamais dû rentrer dans la zone euro, estime qu’Alexis Tsipras et son parti Syriza vont continuer de bloquer la situation, forts de leur succès au référendum :
« Tsipras a juste trouvé une sorte d’alibi pour les négociations et il va s’appuyer sur le référendum. C’est en fait ce qu’il fait depuis le début des rencontres entre ministres des Finances où il s’est même appuyer sur le programme électoral de Syriza. On voit bien où mène la politique de gauche. »La « politique de gauche » du gouvernement Syriza, c’est ce qui effraierait une partie de la classe politique, et particulièrement les sociaux-démocrates, qui ont été parmi les plus sévères avec leurs collègues grecs. C’est l’avis d’Ilona Švihlíková, pour qui le problème n’est aujourd’hui pas tant économique que politique, avec l’apparition de formations politiques nouvelles, telle que Podemos en Espagne, qui veulent bouleverser les règles du jeu européen, depuis longtemps dominé par les formations sociales-démocrates et conservatrices :
« En réalité, au sein du parti social-démocrate, même s’il y a des exceptions, d’autres courants, on craint beaucoup que puisse apparaître un mouvement comme Syriza. C’est aussi pour cela qu’on se serre les coudes dans des partis pourtant très divers. Cela dit, un courant de ce type est récemment né au sein de la social-démocratie. Il s’appelle « Doleva » (A gauche) et dit s’inspirer de Syriza. »
La position des partis politiques tchèques reflète le discours médiatique dominant. Aleš Chmelař regrette que l’information soit bien souvent partielle quand il s’agit de la Grèce. Mladá fronta Dnes, un quotidien d’orientation libérale et propriété d’Andrej Babiš, titrait par exemple le lendemain du référendum, « les Grecs ont refusé l’euro, et maintenant qui le leur dira ? ». Les articles de l’édition internet du journal parlent eux systématiquement « d’opposants à l’Union européenne », pour désigner les partisans du « non ». Aussi Ilona Švihlíková n’est pas tendre avec la presse :
« Pour commencer, je dirais qu’ils (de nombreux journalistes, ndlr) ne comprennent pas ce qu’il se passe. Ici, la couverture médiatique dominante présente généralement la Grèce comme un pays qui mérite son sort, parce que les Grecs seraient feignants, ne voudraient pas travailler et ne paieraient pas leurs dettes. Plutôt que des analyses, on a droit à des stéréotypes chauvinistes. »Et l’économiste enfonce le clou :
« L’espace médiatique est plus ou moins occupé par des opinions semblables. Dans la presse papier, même de journaux dont on attend des opinions différentes, comme Právo, un quotidien dit de gauche, les choses ont été formulées de la même façon. C’est une situation catastrophique et il faut aller sur Internet pour éventuellement trouver une alternative. Il y a ensuite l’influence de la presse allemande. Elle n’est sans doute pas aussi forte qu’il y a quelques années, quand la plupart des médias en Tchéquie étaient détenus par des Allemands, mais elle existe toujours. Il y a ce réflexe : Syriza représente la gauche radicale, ce sont des communistes, ils sont dangereux, nous devons les détruire. »
Ilona Švihlíková, qui insiste beaucoup sur le rôle central de l’Allemagne, et Aleš Chmelař considèrent tous les deux que les positions des différents gouvernements sont largement liées à des considérations de politique intérieure. C’est sans doute le cas en Slovaquie, pays qui a adopté l’euro en 2009 et où la question grecque est sensible, un gouvernement étant tombé en 2011 pour faire adhérer le pays au Fonds européen de stabilité financière. Il est ainsi courant d’opposer les retraités slovaques à leurs homologues grecs en soulignant que les premiers payeraient pour les pensions plus élevées des seconds. La comparaison est parfois faite avec le salaire minimum, comme le 1er juillet dernier dans la bouche du ministre des Finances français Michel Sapin. Mais les deux tiers des retraités grecs vivent sous le seuil de pauvreté et ces propos ne sont pas forcément économiquement pertinents à en croire Aleš Chmelař :
« La Slovaquie et la Grèce aujourd’hui ont un PIB per capita en parité de pouvoir d’achat presque identique. Par contre la Grèce est dans une dynamique récessive très forte et dans une dynamique où l’économie a arrêté de fonctionner. Elle ne produit pas assez d’emplois pour être entretenue et pour avoir un certain potentiel de croissance. Mais la question est politique : il est très difficile pour les politiciens d’accepter un effacement de la dette grecque et en même temps de l’expliquer aux citoyens. »Avec un président, Miloš Zeman, et de nombreux dirigeants politiques très favorables à l’adoption de la monnaie unique européenne, la République tchèque pourrait à terme rejoindre l’eurozone, malgré ses défauts. Aleš Chmelař considère ainsi que cette union monétaire manque d’une structure de redistribution de la croissance. Sa viabilité ne reposerait que sur « l’obligation morale de respecter des règles budgétaires », avec le peu de succès qu’on voit aujourd’hui pour des pays comme la Grèce. Quel est l’impact de cette situation sur la volonté tchèque d’adopter l’euro ? Aleš Chmelař répond :
« La République tchèque est bien sûr préparée à entrer dans la zone euro. Elle veut rentrer dans la zone euro. Il est clair qu’aujourd’hui, les seuls instruments pour la faire fonctionner, c’est de suivre les règles. C’est pour cela que la République tchèque et ses représentants prennent ce parti de juger les règles en fonction de leur respect ou non par la Grèce. Si ce n’est pas le cas, on n’a sans doute un problème car on ne sait pas dans quelle union monétaire nous serions prêts à entrer dans les années à venir. »
Quant à elle, Ilona Švihlíková n’est pas partisante de l’adoption de l’euro et elle considère que les difficultés que traverse la Grèce en lien avec les dysfonctionnements de l’eurozone devraient dissuader Prague de choisir cette voie pour le moment :
« La position officielle de la plupart des partis politiques est qu’ils sont en faveur de l’adoption de l’euro et que cela n’a rien à voir avec la Grèce. Cela me semble être un argument incroyable. Cela confirme malheureusement que la plupart des politiques n’y comprennent rien du tout. En fait, il s’appuie sur un schéma simpliste : les Grecs feignants et facteurs de problème, nous ne le sommes pas, nous sommes proches de l’Allemagne et l’euro fonctionnerait. Je crois qu’ils ne comprennent pas les problèmes de l’eurozone et les problèmes économiques qui y sont liés. Malheureusement en République tchèque, un bon nombre de dirigeants prennent l’adoption de l’euro pour une affaire de prestige. »Quant aux conséquences d’un « Grexit » sur la République tchèque, elles seraient économiquement négligeables selon Aleš Chmelař, qui n’exclue toutefois pas un effet boule de neige vers d’autres pays du sud de l’Europe. Même si les échanges hélleno-tchèque ne sont pas à un niveau très élevé, l'Association des petites et moyennes entreprises (AMSP) a toutefois indiqué récemment que les entreprises grecques avaient une dette d’environ 40 millions d’euros à l’égard de firmes tchèques.