« Ecrire dans une autre langue vous donne plus de liberté »
Rencontre avec Veronika Valentová, traductrice pour l’Union européenne. Avec plusieurs autres étrangers vivant comme elle à Bruxelles, elle a lancé un projet d’écriture multilingue intitulé Writing Brussels. Veronika Valentová est également l’auteur de deux livres parus en République tchèque, dont l’un est un roman humoristique sur la petite Babel qu’est Bruxelles, cœur de la vie de l’Union européenne.
« Bonjour. »
Vous êtes tchèque, mais vous vivez depuis une vingtaine d’années à Bruxelles…
« Oui, d’abord huit ans en France, puis à Bruxelles, en Belgique. »
Quelles étaient les raisons de votre départ à l’origine ?
« A l’origine, je suis partie en France pour rejoindre mon petit ami qui était français. Et puis en 2004 j’ai trouvé un travail à Bruxelles, soit l’année où la République tchèque est entrée dans l’Union européenne. »
Un grand moment pour le pays…
« Oui, et un grand moment pour moi aussi car enfin j’avais trouvé un travail qui me plaisait et pour lequel j’avais fait mes études, la traduction. Je suis devenue traductrice pour l’Union européenne. »
C’est toujours votre travail aujourd’hui ?
« Oui, toujours. »
Est-ce que vous aimez la vie à Bruxelles ? Comment cela se passe-t-il ?
« C’est une ville très agréable. Elle a presque la même taille que Prague. Mon idéal c’était de trouver une ville pas trop grande et qui en même temps est une capitale avec plein de possibilités de faire des choses intéressantes. Je trouve que les Belges sont très agréables, très tolérants avec les étrangers. Ils n’ont pas cette forte identité qu’ont les Français. Ils acceptent bien les étrangers. Vous pouvez faire ce que vous voulez, penser ce que vous voulez et pour eux, c’est normal, car ils n’ont pas de convictions très fortes quant à leur ‘belgitude’. »
Bruxelles est un vrai melting-pot. Avec les institutions européennes, toute l’Europe se retrouve à Bruxelles !
« Oui, il y a énormément d’étrangers qui vivent là-bas. Donc, j’ai beaucoup d’amis étrangers à Bruxelles. On peut parler jusqu’à quatre langues par jour car on change tout le temps d’interlocuteur. C’est quelque chose que j’aime énormément car je suis traductrice, j’aime les langues. Pour moi c’est la ville parfaite. »Vous avez lancé un projet intéressant qui s’appelle Writing Brussels. C’est un blog et un livre électronique…
« A la base, c’est un groupe d’écriture qui existe depuis quatre ans qui reflète bien le caractère cosmopolite de Bruxelles. Il y a moi qui suis tchèque, il y a une Slovaque, un Espagnol né en Allemagne, maintenant il y aussi deux Belges dont l’une écrit en anglais et l’autre en français. Tout d’abord on se réunissait pour parler des questions d’écriture, de nos inspirations, de nos auteurs préférés, de nos problèmes avec les éditeurs. Petit à petit on a commencé à se dire qu’on pourrait écrire un livre en commun en utilisant toutes nos richesses, toutes nos langues, nos différents points de vue et expériences à Bruxelles. On a tous choisi un personnage d’étranger et notre langue. C’est comme cela que j’ai commencé à écrire en français parce que jusque-là j’écrivais en tchèque. Pour pouvoir me faire comprendre du groupe, j’ai dû changer de langue. On écrivait les histoires petit à petit. C’était toujours autour d’un étranger arrivant à Bruxelles, qui était perdu. Cela pouvait créer des situations comiques ou dramatiques parce que certains sont des étrangers sans papiers, clandestins. On se mettait ensuite d’accord pour voir comment les histoires pouvaient se rejoindre, comment nos personnages pourraient se rencontrer. Nous avons eu l’idée de publier nos textes sur un blog. Une fois les histoires finies, on s’est dit qu’il fallait en faire quelque chose car ça fonctionnait à merveille, malgré les quatre langues différentes, l’anglais, le français, l’allemand et l’espagnol. On a donc publié un livre électronique disponible sur Amazon. Il s’appelle Brussels Umbrellas. Il y a toujours ce mot ‘Brussels’ qui est important pour nous. »
En français, c’est les Parapluies de Bruxelles. Cela ferait presque penser aux Parapluies de Cherbourg…
« Tout-à-fait moi j’y ai tout de suite pensé ! Mais en fait, le parapluie joue un rôle dans ce récit, c’est une sorte de symbole. Il faut dire qu’à Bruxelles il pleut beaucoup, alors le parapluie est un objet fétiche. Je ne sors jamais sans mon parapluie. Même à Prague, j’en ai toujours un sur moi. »
Quels échos avez-vous eus des gens qui ont lu ce livre ?
« Les gens sont toujours intéressés par ce projet parce qu’il est original. On est un groupe d’étrangers qui n’ont pas de langue commune à part l’anglais. Et nous avons réussi à créer ce projet commun en quatre langues. Il y a peu de livres écrits en tant de langues et où les histoires se recoupent. Mais c’est ce qui fait la difficulté du livre : tout le monde ne parle pas toutes ces langues. On était conscients de ce problème, c’est pourquoi toutes les histoires fonctionnent indépendamment aussi. »Par rapport à votre expérience d’écriture, j’aimerais savoir comment vous avez vécu ce passage de l’écriture en tchèque à l’écriture en français ? On sait qu’il y a quelques écrivains qui changent ainsi de langue, Milan Kundera étant un des exemples les plus connus.
« C’est vraiment ce groupe qui a provoqué le déclic. Comme je suis traductrice, je suis très sensible à la maîtrise parfaite de la langue. Je me disais toujours que même si je parle bien le français, je n’écrirai jamais dans cette langue. Déjà écrire dans sa langue maternelle, c’est difficile. Mais avec ce groupe, je n’ai pas eu le choix. Je me suis dit qu’on verrait ce que ça donne. Finalement, ça m’a énormément plu. C’était quelque chose de tout-à-fait différent. Quand j’écris en tchèque, j’ai énormément de possibilités pour dire les choses. En français, il faut parfois que je me dise les phrases à haute voix pour être sûre qu’elles sonnent naturellement. Quelque part, le français s’impose plus à moi et il est moins lié à mon expérience de l’enfance. Ecrire dans une langue qui n’est pas maternelle vous donne plus de liberté. Evidemment, je fais toujours de petites erreurs que je me fais corriger. Au début j’étais sceptique, mais ça m’a beaucoup plu. On explore de nouvelles choses. Ça m’a aussi donné de nouvelles idées. »
Le projet Writing Brussels continue-t-il ?
« Oui, il continue. On a de nouveaux membres, on en a perdu d’autres. On a lancé quelque chose un peu comme une saison 2. On a décidé de se consacrer plutôt à des nouvelles, plutôt qu’à un roman. On s’y intéresse aux légendes urbaines… On verra ce que ça donne, car on n’en est qu’au tout début. »
Vous avez aussi publié un livre en République tchèque qui s’intéresse à Bruxelles, un peu comme la Babel moderne, puisque cela s’appelle Zmatení jazyků, La confusion des langues.« J’ai été inspirée par le stage que j’ai fait à Bruxelles en 2002. J’ai passé cinq mois dans une institution européenne. J’étais une petite stagiaire qui ne comprenait pas grand-chose. Ce livre est un peu satirique, comique, humoristique sur mon expérience. »
En traitant de ces institutions de manière humoristique, ça peut être une façon de familiariser les Tchèques avec ce monde qui fait peur à beaucoup de gens en Europe, qui voient cela comme une grosse machine. Pensez-vous avoir réussi à communiquer de quoi il retournait vraiment ?
« Je l’espère vraiment. Ce qui me plaît, c’est renverser les idoles de leur socle. J’espère avoir pu montrer dans ce livre que dans les couloirs des institutions européennes il y a des fonctionnaires tout-à-fait normaux, mais qui ont aussi leurs manies, leurs obsessions, qui peuvent être drôles et dignes d’être un personnage de roman. »