La dame de Petrkov
C’est la ferme de Petrkov, sur le Plateau tchéco-morave, qui est devenue le théâtre de la vie de la poétesse française Suzanne Renaud après son mariage avec Bohuslav Reynek. La seconde moitié de sa vie a été étroitement liée à cette vieille maison plantée au milieu d’un paysage à la beauté austère que Suzanne a appris à aimer. L’importance que cette bâtisse a eue pour elle se reflète d’ailleurs dans le titre de sa biographie que lui a consacré Lucie Tučková et que celle-ci a intitulé « Suzanne Renaud/Petrkov 13 ». Voici la seconde partie de l’entretien avec Lucie Tučková, qui a présenté son livre au micro de Radio Prague.
Un cercle d’amis et d’admirateurs
Comment Suzanne Renaud a réagi au milieu tchèque. Etait-elle capable de le considérer comme sa deuxième patrie ? Etait-elle capable de l’aimer ?« C’est une question un peu difficile. Elle était capable d’aimer, d’admirer même le milieu tchèque, mais il est difficile de dire si c’était sa deuxième patrie. Elle n’en avait qu’une seule. C’était la France. Mais elle aimait beaucoup certains lieux en Tchécoslovaquie, elle est devenue très amie avec les éditeurs Vlastimil Vokolek et Zdeněk Řezníček ou bien avec la famille de l’éditeur Josef Florian. Pendant la guerre les Reynek ont passé toute une année chez la famille Florian. Et c’est ici, en Tchécoslovaquie, dans le milieu tchèque, que paraissaient ses poèmes. Seul son premier recueil a été publié en France, mais ensuite Suzanne Renaud n’était connue qu’en Tchécoslovaquie. Aujourd’hui on pourrait se dire peut-être que la Tchécoslovaquie était sa deuxième patrie par rapport à son œuvre et parce qu’elle a vécu si longtemps dans notre pays, mais pour elle-même, sa patrie c’était la France. »
Progressivement, vous avez déjà fait une allusion à cela, Suzanne Renaud a créé autour d’elle à Petrkov un cercle d’amis tchèques qui la respectaient et l’admiraient, avec lesquels elle pouvait parler français et qui l’aidaient à supporter son sort. Quels amis tchèques ont joué un rôle important dans sa vie ?
« J’ai déjà mentionné Vlastimil Vokolek, éditeur et ami très fidèle, qui venait voir les Reynek dès 1926 à Petrkov. Donc c’était quelqu’un qui était toujours présent. A partir de la moitié des années trente, c’était Zdeněk Řezníček, ami et également éditeur de la ville de Znojmo, chez qui Suzanne venait parfois passer quelques jours. Elle est devenue également marraine de Jeanne d’Arc, fille de Zdeněk Řezníček. C’était donc un lien très important. Chez les Florian, elle s’est liée d’amitié avec Eva Florianová, fille de l’éditeur. Si nous revenons dans les années trente, c’était par exemple l’écrivain Jan Čep qui venait assez régulièrement à Petrkov, bien que pas très souvent. Même si c’était deux fois par an, Suzanne attendait sa visite avec impatience. Il venait avec Jan Franc, ami de Bohuslav Reynek, qui admirait Suzanne Renaud et son œuvre et comprenait tout à fait bien son sort même s’il était beaucoup plus proche de son mari. Parmi les amis tchèques, il ne faut pas oublier le docteur Pojer qui venait voir les Reynek déjà en France et les aidait même au début des années cinquante quand les fils faisaient leur service militaire. C’est le professeur Pojer qui a réussi à sortir Daniel Reynek de l’armée puisqu’il manquait absolument à la maison et devait aider ses parents. Il y avait beaucoup d’amis, mais c’étaient des amis qui venaient quand il faisait plutôt beau ou quand il n’y avait pas trop de neige. Mais il y avait des semaines et des mois, où on était abandonné à Petrkov et où la famille devait vivre d’elle-même. »Une auteure française connue grâce à ses poésies traduites en tchèque
Suzanne Renaud a-t-elle essayé de publier ses vers en France et avec quel résultat ?
« Le premier recueil a été publié en France, donc en français. Après les recueils ont été publiés d’abord en français en Tchécoslovaquie et puis envoyé ou amené en France. Jusqu’en 1936, les Reynek se rendaient régulièrement en France pour y passer la moitié de l’année. Les amis français étaient ravis d’avoir de nouveaux poèmes de Suzanne Renaud. Après c’était des traductions tchèques des œuvres de Suzanne, qui ont été beaucoup plus connue en Tchécoslovaquie. Au début des années cinquante et après, jusqu’à la fin de sa vie, elle a écrit des poèmes très importants qu’elle aurait voulu publier en France. Mais c’était déjà difficile de trouver un éditeur et elle les envoyait donc à des amis français. Elle avait un projet de faire un petit recueil de poèmes accompagnés de gravures de son mari, mais ce projet n’a pas abouti de son vivant. »Vous démontrez dans votre livre que plusieurs fois les sources d’inspiration de Suzanne Renaud se sont taries et qu’elle a cessé d’écrire. Quelles ont été les impulsions qui lui ont permis de retrouver ses forces et son énergie créatrice ?
« Certainement, c’était une chose d’une importance que l’on ne peut pas comprendre de nos jours. Derrière la cuisine à Petrkov, il y avait une toute petite chambre qui n’était pas utilisée. Et une fois Suzanne s’est mise avec ses fils à mettre de l’ordre dans cette chambre. Elle l’a peinte, ils y ont mis un petit canapé et c’est grâce à cette petite chambre au premier étage de la maison où elle avait la possibilité de regarder la lune le soir et d’observer les arbres, qu’elle s’est remise à écrire. Elle avait un coin à elle où elle pouvait se retirer avec ses lectures, avec son café, et où elle s’est remise à écrire. Elle a accroché au mur une gravure de son mari, ‘Hirondelle’, qu’elle aimait beaucoup. Elle était donc là avec cette gravure et avec cette vue sur le jardin, sur les arbres et le soir sur la lune. Elle appelait ça ‘ma petite chambre à la van Gogh’. »Un projet d’émigration avorté
Parfois nous avons l’impression que Suzanne Renaud était une victime passive des événements et de la situation politique de son époque. Votre livre montre cependant que ce n’était pas toujours le cas. Dans quelle mesure elle a eu la possibilité de choisir et de devenir elle-même responsable de sa vie. Etait-elle vraiment une victime ou a-t-elle elle-même choisi de vivre sa vie difficile ?
« Je dirais que c’était elle-même qui a choisi, et c’était grâce à sa force intérieure. Comme je l’ai déjà mentionné, elle a dit ‘oui’ au début à Bohuslav Reynek, c’était son choix, et elle a répété son ‘oui’ à plusieurs reprises au cours de sa vie. Déjà en 1947, consciente de la situation qui devenait très difficile en Tchécoslovaquie, elle a fait une tentative de reprendre son passeport et elle a refait sa carte d’identité en France. Elle réfléchissait à la possibilité d’émigrer, de partir avec sa famille en France. Mais elle se disait : ‘Que vont devenir les enfants.’ Ce n’est pas seulement qu’elle se sentait déjà assez vieille pour recommencer sa vie en France, mais elle se demandait ce qu’allaient devenir le domaine de Petrkov et les enfants en France sans héritage. Elle se posait donc la question s’il fallait partir ou non et ce n’était pas du tout passif. (…) Bien sûr ce choix l’écrasait énormément, on ne peut pas l’imaginer. Elle n’a jamais revue sa famille en France. Elle s’est rendue pour la dernière fois en France à l’automne 1947, et jusqu’à sa mort en janvier 1964, elle n’a plus revue sa famille française. (…) Ce n’était pas son choix et c’était écrasant pour elle. Mais pourtant elle a su faire face à tout cela grâce à sa force intérieure, à la Foi et à sa famille, à ses proches qu’elle aimait beaucoup. »