Deux organisations rivalisent pour représenter la scène littéraire tchèque
En novembre dernier a été fondée l’Association des écrivains tchèques (Asociace spisovatelů), une organisation qui se propose de représenter les gens de lettres tchèques et de défendre leurs intérêts. A cette occasion, les fondateurs de l’association s’en sont pris à la Communauté des écrivains tchèques (Obec spisovatelů), une organisation créée en 1989 pour protéger les droits et les intérêts des écrivains, et l’ont accusée de passivité, d’inefficacité et de discréditer l’ensemble des gens de lettres tchèques. Quels sont donc les rôles et les positions de ces deux organismes qui coexistent et rivalisent désormais sur la scène littéraire ?
« La Communauté des écrivains réunit des auteurs de toute la République tchèque. La partie la plus importante de ses activités ne se déroule donc pas à Prague mais dans les régions. Pendant trois ans, nous avons cherché à désendetter notre organisation, nous avons été obligés de payer une amende en 2010 pour des subventions mal gérées. Aujourd’hui nous nous efforçons de faire redémarrer les activités de nos membres dans les régions. L’année dernière nous avons pris sous notre égide des dizaines de projets. Notre organisation recommence donc à respirer. Nous aimerions lancer un e-shop avec les œuvres de nos membres. Il est très important de leur donner la possibilité de vendre leurs livres par l’intermédiaire de la Communauté. »
Les membres de la Communauté se recrutent surtout dans les générations intermédiaire et ancienne des gens de lettres tchèques ce qui en fait une organisation plutôt conservatrice. Actuellement, elle admet cependant de nouveaux membres et tente de se rajeunir. Le poète et chansonnier Jan Vodňanský se félicite de cette nouvelle tendance :
« Nous assistons à une espèce de renaissance. De nouveaux jeunes auteurs arrivent et nous entrons en contact avec eux. La Communauté, qui pendant des années manquait de dynamisme, reprend vie d’une certaine manière. Ce qui est important, ce sont les rencontres, et aussi celles entre les générations, les discussions, les polémiques, qui jadis animaient les cafés littéraires. Ce courant dans la Communauté des écrivains pourrait créer une plateforme pour une nouvelle vie. »Les membres de la Communauté ont également l’ambition d’intervenir désormais beaucoup plus dans la vie de la société et de s’imposer comme des partenaires respectés dans les discussions avec les organes de l’Etat. C’est un changement important par rapport au passé où cette organisation restait passive face à l’évolution de la société et ne participait pas au débat politique. Tomáš Magnusek constate qu’il faudra procéder donc à une réforme des statuts de la Communauté :
« Nos statuts nous obligent à être apolitiques et, en fait, à ne pas nous exprimer sur les affaires de société. Nous préparons un tel système qui nous permettrait de nous exprimer à propos de ces affaires, y compris le problème de la TVA qui concerne notre activité. En janvier donc, nous préparerons de nouvelles règles et nous discuterons avec nos membres et aussi avec le ministère de la Culture de nos possibilités d’intervenir dans ces affaires et de présenter nos opinions sur ces sujets. »
Depuis le 21 novembre dernier, la Communauté des écrivains a cependant un rival de taille sur la scène littéraire tchèque. Il s’agit de l’Association des écrivains qui réunit ceux qui n’étaient pas contents du travail de la Communauté et qui estiment que la littérature tchèque doit être défendue d’une autre façon. Parmi les membres de la nouvelle organisation il y a toute une série d’auteurs renommés des générations jeunes et un peu moins jeunes et lauréats de prix littéraires dont Petr Hakl, Petra Hůlová, Jan Němec, Jonáš Hájek et Kateřina Tučková. L’écrivain Adam Borzič, membre du comité de l’Association, explique les principaux motifs de leur initiative :
« Depuis quelque temps parmi les gens de lettres, les écrivains, les poètes, les prosateurs, se faisait cruellement ressentir le manque d’une organisation fonctionnelle qui défendrait les droits des écrivains et qui ne serait pas basée seulement sur le principe d’association, de réunion, ce qui est le cas de la Communauté des écrivains déjà existante et que beaucoup d’entre nous percevaient comme non fonctionnelle. Et c’est la raison pour laquelle nous avons fondé notre organisation. Nous désirons que la littérature soit protégée et défendue au niveau de la société, pour ainsi dire. Il s’agit des droits des gens qui font ce métier, des droits d’auteurs et de la dignité de leur représentation dans le cadre de la société. »Selon le poète et traducteur Ondřej Budeus, il y a des moments où les écrivains ont besoin de s’exprimer collectivement sur un problème actuel de la littérature tchèque ou de la représentation de la culture tchèque à l’étranger. Il cite dans ce contexte la décision de l’Université d’Amsterdam de supprimer malgré le désaccord des étudiants la section de slavistique où sont enseignées les langues tchèque et croate, ce qui nuira aux contacts culturels entre la République tchèque et les Pays-Bas. Les slavisants néerlandais ont lancé une pétition pour protester contre cette décision et, selon Ondřej Budeus, c’est une situation où les organisations culturelles telles que les associations d’écrivains devraient agir et faire entendre leurs protestations. Adam Borzič développe encore les autres objectifs de la nouvelle association :
« Je pense que les écrivains ont besoin d’une organisation parce que la situation sur le marché de livres est souvent très désavantageuse pour eux. Nous manquons d’un système efficace de bourses littéraires comme il en existe par exemple en Europe de l’Ouest, nous n’avons pas une maison de la littérature qui pourrait accueillir les auteurs et où ils pourraient travailler. Souvent, quand nous assistons à des rencontres littéraires à l’étranger, on nous dit que les organisations littéraires n’arrivent pas à trouver de partenaires en Tchéquie. »
L’Association des écrivains a donc l’ambition de devenir une organisation qui protégerait activement les droits des écrivains. Elle se prépare à communiquer avec le public, à réunir les meilleurs auteurs, à entretenir des contacts avec des organisations internationales et avec les institutions d’Etat.Actuellement il y a donc en Tchéquie, outre le Centre tchèque du PEN club international, deux organisations qui se présentent comme des porte-paroles légitimes de la scène littéraire tchèque. Leur animosité et leur rivalité, qui est entre autres aussi un conflit de générations, risque de compliquer encore la situation et de diviser davantage les milieux littéraires. Déjà des voix se lèvent appelant les deux parties à ne pas insister sur leurs différences et à chercher les points communs qui leur permettraient d’unir leurs forces et de collaborer.