Un rêve tchèque : le tour du monde en moto Jawa de 1978
Au mois de juin dernier, le journaliste, motocycliste et enduriste tchèque Pavel Suchý a décidé de réaliser un tour de la planète bleue. Mais pas n’importe quel tour du monde, car il a choisi pour son voyage un transport peu commun : une moto Jawa 350/634 tchécoslovaque fabriquée en 1978. Pavel Suchý est ainsi devenu le premier Tchèque à avoir parcouru en sept mois et demi sur son engin 49 003 kilomètres sur Terre.
« Le modèle avait été précédemment défini, et ce après d’interminables discussions avec mes amis pendant plusieurs années. On discutait, par exemple du moyen de transport par lequel j’allais me rendre à Vladivostok, en Russie : si le moyen choisi avait été la voiture, cela aurait été une Lada, et si ça avait été en moto, alors cela aurait été uniquement une Jawa. Parce que ces deux marques sont considérées là-bas comme deux icônes, en quelque sorte, qui parcourent la route de façon discrète et dont on peut facilement trouver les pièces détachées. Même si le plus difficile est encore de trouver la pièce concrète, celle qui n’est pas « attaquée par le bricoleur ». »
Quand on décide de faire le tour du monde seul en moto, on doit déjà être soi-même un sacré bricoleur, alors que veut dire l’expression de motard « être attaqué par le bricoleur » ? Pavel Suchý précise :« Entre automobilistes aimant les voitures anciennes, cette expression est employée de façon péjorative. Cela signifie que l’engin est déjà passé par une dizaine de mains, et chacun y a laissé sa trace dans l’effort de le moderniser. Mais malheureusement, par rapport aux motos vintages, il vaut mieux les laisser dans leur état initial, plutôt qu’essayer de les « mettre à un niveau plus moderne ». »
Ainsi, Pavel Suchý est parti de Prague pour poursuivre son aventure du tour de la planète. Même si on a toujours tendance à oublier la beauté de notre propre paysage européen, celui-ci s’apparentait en Jawa à un voyage dans des contrées inexplorées. Parallèlement, il a dû prendre en compte les saisons au fur et à mesure de son périple.
« Il y avait certaines dates cruciales à respecter, comme par exemple, arriver à Ushuaïa en Patagonie, pour le mois le plus chaud, où il doit faire à peu près 6°C. Donc je devais faire avec et être conscient du fait que je devais passer par certaines régions tropicales en pleine saison de pluies. Mais je crois qu’il valait mieux des pluies tropicales, que de la neige en Patagonie. Avant de partir, on a réalisé que la dernière date valable de départ était en juillet, car après cela n’avait pas vraiment de sens. Je suis donc parti plus tôt, le 28 juin et cela s’est bien passé. »Ce n’est qu’à son retour que des explorateurs plus chevronnés lui apprennent que le premier départ n’est jamais le bon. Néanmoins, avec une bécane vieille de 36 ans et pesant avec les bagages près de 280 kilogrammes, Pavel Suchý a parcouru les quatre coins du monde. Certains sentiers déserts lui ont demandé beaucoup d’efforts, car provoquant une décomposition littérale des pièces détachées de la moto à certains moments en cours de route. Par hasard, il a croisé sur le chemin de l’Altaï - zone montagneuse comprise entre la Russie, la Chine (province de Xinjiang), la Mongolie et le Kazakhstan - un autre aventurier tchèque, Jan Ždáňský. Celui-ci s’était également lancé dans un tour du monde, en partant de la ville tchèque de Mladá Boleslav pour rejoindre Tokyo et non pas en moto, mais en vélo. Après avoir fait un bout de route ensemble et échangé leurs expériences, Pavel Suchý se retrouve en difficultés en Corée du Sud quant au transport de sa moto. Par miracle, il réussit néanmoins à l’embarquer, et la retrouve un mois plus tard, en octobre 2013, de l’autre côté du Pacifique, sur le sol américain, à Seattle. Et c’est bien là que la Jawa a attiré toute l’attention des premiers riverains. Il explique :
« Je me réjouissais de l’absurdité du moment, où la motocyclette à deux temps entre en contact avec les conditions de vie aux Etats-Unis, où tout est très fantasmagorique. Lorsqu’ils ont débarqué la moto sur le port, elle était sans batterie, car le bouton « on » sur le démarreur y avait été laissé pendant un mois. Les marins me disent alors, qu’il ne reste plus qu’à ramener un certain type de batterie. Je leur dis que ce n’est pas nécessaire, qu’il ne me reste qu’à tirer un fil de fer, et le moteur démarrera après trois essais. Le moteur s’est effectivement mis en marche. Alors ils me regardent les yeux écarquillés, en disant « C’est incroyable et quel son formidable ! ». De nos jours, les Américains ne peuvent admirer des moteurs à deux temps, que sur des bateaux à moteur ou dans des musées. »L’explorateur s’est donné comme objectif de réaliser son périple sans aucune assistance, ni GPS, ni téléphones satellites ou autres équipements technologiques modernes. Si la moto Jawa 350 est bien celle qui a été la plus fatiguée à la fin du voyage, Pavel Suchý admet que sans l’aide des personnes qu’il a croisées sur son chemin, il n’y serait probablement pas arrivé :
« La chance d’avoir rencontré les gens que j’ai rencontrés a joué un grand rôle, et plus spécialement la chance d’avoir rencontré des émigrants tchécoslovaques, et leurs descendants, qui vivent à ces endroits car leurs parents ou grands-parents y ont émigré dans l’entre-deux-guerres, ce qui était le cas par exemple en Argentine. Peut-être que les gens ont été interpellés par ma « tchéquitude », par ma solitude, et par le fait que je sois sur une moto tchèque. Leur aide a été colossale tout au long du voyage. Je ne sais pas très bien comment tout se serait déroulé si je n’avais pas eu leur aide. Cela aurait été possible, mais tout aurait été bien plus compliqué. Les personnes me trouvaient par différents moyens, comme par le biais d’internet en cours de chemin, par exemple. A un moment donné, mon voyage ressemblait à une « tournée » zigzaguant à travers différentes familles tchécoslovaques, qu’elles y soient établies de façon fixe ou de façon temporaire. Et je crois bien qu’ils ont été tous aussi sympathiques les uns que les autres. Je n’ai eu de problème avec personne. Et les personnes rencontrées sur le chemin ont été bien meilleures que ce que j’aurais pu imaginer. » Pour vous donner un aperçu de son itinéraire, Pavel Suchý a tout d’abord traversé la Slovaquie et l’Ukraine, pour gagner la Russie et la Mongolie. De la ville de Vladivostok, il descend en Corée du Sud afin de traverser l’océan Pacifique et rejoindre les Etats-Unis. Après avoir atteint le continent américain, il poursuit sa route à travers le Mexique et les pays d’Amérique centrale, traverse le Panama, la Colombie et continue en Amérique du Sud, à travers l’Equateur, le Pérou et le Chili. Après avoir rejoint Ushuaïa, le port le plus au sud de l’Amérique, sa destination ultime reste Buenos Aires, avant de regagner Francfort en Allemagne. Néanmoins, il a été déçu du Pérou même si c’est bien l’Amérique du Sud qu’il a préférée :« Je crois que tout dépend des attentes que l’on a. Chacun a les siennes, et tout dépend si elles sont comblées, surpassées ou pas du tout. Lorsque j’effectuais la traversée des Caraïbes, du Panama en direction de la Colombie, j’avais l’estomac noué de peur. Car on a tous les yeux écarquillés lorsqu’on évoque la Colombie. Et pourtant, j’ai découvert un pays absolument extraordinaire. Alors que quand je suis arrivé au Pérou, je m’attendais à une sorte de Disneyland indien, mais à part du kitsch et des prix élevés, cela n’avait rien avoir avec un Disneyland. Il y avait des ordures partout, sous toutes leurs formes, des ordures flottantes, gisantes, en feu et volant dans les airs. Paradoxalement, j’ai préféré la Bolivie au Pérou, mais je ne veux pas donner l’impression de ne pas recommander ce pays. Tout est question de préférences touristiques personnelles. »En Equateur, Pavel Suchý rend visite à un ami ayant ouvert un restaurant, et qui a reçu le nom d’Hurvínek, du nom de la marionnette tchèque la plus fétiche, créée par Gustav Nosek en 1926. A ce sujet, le motard dévoile une petite anecdote liée au prénom de la marionnette donné à restaurant en Equateur, distant de plus de 10 000 kilomètres de la République tchèque.
« J’ai demandé à mon ami Ivan « comment en es-tu arrivé à donner ce nom Hurvínek à ton restaurant? N’est-ce pas encore plus compliqué de le prononcer en espagnol ? » Et il m’a répondu : « Tu sais, notre Hurvajs, c’est le seul Tchèque dont on ne pourra jamais avoir honte ». (rires) Et je m’en suis rendu d’avantage compte par la suite, lorsqu’un douanier à la frontière chilienne, m’a rappelé l’embarras international qu’a causé notre ancien président Klaus, en s’appropriant un stylo plume. Cette histoire agite donc toujours le peuple chilien, de même que l’affaire d’un Tchèque qui y avait embrasé un parc national en 2005. Je me suis alors souvenu de mon ami Ivan, en me disant qu’il avait bien raison. »
Rédacteur de revues spécialisées (Supermoto, MotorBIKE et Motorkari.cz), Pavel Suchý a conduit plus de 700 motos et a déjà parcouru au total plus d’un demi-million de kilomètres à travers le monde entier. Même si par le passé, il s’était rendu en Afrique à trois reprises, il a mis le continent africain de côté pour cette fois, en révélant qu’il s’agissait pour les motards d’un continent équivalent au K2 pour les alpinistes. D’autres Tchèques se sont par le passé également lancé dans un tour du monde insolite. Dan Přibáň a réalisé par exemple un tour du monde en voiture Trabant, une voiture très connue des Tchèques et ayant son berceau en Allemagne de l’Est ; cette aventure a même été relaté dans un film sorti sur grands écrans tchèques au mois de mars dernier.Quant à Pavel Suchý, y-a-t-il un endroit où il se verrait bien vivre pour une année ou deux ? L’aventurier évoque étonnamment en premier lieu, Vladivostok, puis Cuenca, ville de motards équatorienne, tout en précisant qu’on ne nous disait peut-être pas tout dans les médias. Pavel Suchý apporte des nuances à son « tour du monde », réalisé sous des contraintes financières et temporelles ; une aventure dont il est revenu il y a un peu plus d’un mois :
« Que le voyage ait été effectué d’une traite, de même que tout ait été effectué de façon continue ont été des facteurs très importants, car d’autres aventuriers ont parcouru le monde entier avec plusieurs centaines de milliers de kilomètres de plus. Il est donc important de faire la différence entre faire le tour de la planète et effectuer un voyage à travers le monde entier. Mon voyage de 50 000 km n’était pas un voyage à travers le monde, mais un voyage autour de la planète. »Pour plus de détails sur cette étonnante aventure, rendez-vous sur le site www.jawakolemsveta.cz.