Jean-Gabriel Périot : « Présenter des gens comme des rêveurs » (1ère partie)

'Le jour a vaincu la nuit', photo: Film Servis Festival Karlovy Vary

Les détenus de la maison d’arrêt d’Orléans ont et font des rêves. Le réalisateur Jean-Gabriel Périot leur a demandé de les raconter face à la caméra. En compagnie de Xavier Thibault, qui signe la musique de ce moyen-métrage, Jean-Gabriel Périot était présent au Festival international du film de Karlovy Vary pour montrer son œuvre au public. Radio Prague a rencontré l'auteur d’un documentaire qui rompt avec les clichés véhiculés sur l'univers carcéral. Jean-Gabriel Périot raconte tout d'abord la genèse de ce projet, un projet qui fait suite à une autre expérience cinématographique dans la même maison d'arrêt.

Jean-Gabriel Périot,  photo: Film Servis Festival Karlovy Vary
« J'avais été invité à la maison d'arrêt d'Orléans pour venir présenter mon film à des détenus dans le cadre d'un atelier de programmation. Ils avaient choisi mon film. On m'avait demandé de venir le présenter et cela s'était assez mal passé pour moi, parce que je m’étais rendu compte que quand on va en prison, en fait il faut y rester. Moi, j’étais venu une heure, les questions étaient tellement loin de ce que... Voilà, je n'avais pas le temps de répondre, le temps de travailler avec eux d'une certaine manière, et je m'étais dit que je reviendrais un jour en prison, mais en prenant le temps de le faire. »

« Ensuite, j'ai été invité par une association d’Orléans pour faire une installation dans l’espace public et je leur ai proposé de travailler sur quelque chose que l’on pouvait faire depuis cette prison, pour l'extérieur. J’ai fait ce concert où les détenus reprenaient des chansons de variété et le public venait derrière. Cela a fait un film (‘Nos jours, absolument, doivent être illuminés’, ndlr). La fille qui s’occupait de la culture dans la prison m’a dit que c’était un peu bizarre, que j’étais cinéaste, j’étais venu, j’avais fait un concert et elle m’a demandé si je ne voulais pas revenir faire une comédie musicale. Et c’est tellement dur de venir faire des films en prison que quand quelqu’un demande si on ne veut pas venir le faire... J'ai dit oui tout de suite. »

Sans savoir encore quelle forme concrète cela allait prendre...

« Avec le musicien, nous avons tout de même écrit un scénario de comédie musicale ! On l’a très vite laissé tomber, car cela n'avait strictement aucun sens. Mais j'ai gardé l'idée de la musique comme support et j'ai cherché quelque chose que l’on pouvait transmettre, c’est-à-dire quelque chose que l'on a tous et qui fait que quand on voit ces gens-là, on ne se dit pas ‘Ce sont des prisonniers’. Il s'agissait de présenter des gens comme des rêveurs et, normalement, c'est juste à la fin du film que l'on sait qu'ils sont en prison. Mais rien ne... C'est juste qu’ils sont un peu étranges, leur manière de parler est étrange mais je voulais faire un film avant tout sur ‘Comment on les regarde ?’. »

Vous leur demandez de raconter leurs rêves. Vous les filmez aussi sur de longs plans où ils sont silencieux. C'est aussi des moments où on oublie qu'ils sont prisonniers. C'est ce que vous vouliez faire ?

'Le jour a vaincu la nuit',  photo: Film Servis Festival Karlovy Vary
« Oui, parce que les gens que l’on met en prison, c'est toujours une manière de les cacher, de les rendre invisibles, de se donner plutôt bonne conscience en se disant que ‘les méchants et les méchantes’, on les met en prison et nous, nous sommes en sécurité, sans se rendre compte que derrière les méchants, derrière les taulards... ce sont surtout des gens qui ont failli, qui ont fait des erreurs... mais ce sont avant tout des êtres humains. Et j’avais besoin de ramener cela, de ramener des visages, de ramener des gens. Je viens d’une famille plutôt populaire : cela pourrait être mes cousines, mes oncles. On se demande pourquoi ils sont là, qu’est ce qu’ils ont fait, qu’est-ce qui mérite qu'on aille en prison. »

J’ai lu des propos à vous dans lesquels vous disiez que les films sur la prison étaient assez stéréotypés et que vous vouliez justement ne pas reproduire ce schéma. Quels sont selon vous ces films stéréotypés ? Quelle image renvoient-ils de la prison ? Et inversement, qu'avez-vous voulu montrer ?

« En général, pour commencer, il y a ce truc, le fait que les gens n’ont pas de tête. Ils sont flous. C'est souvent des films, on va dire, d'une facture assez télévisuelle. Il y a des vraies exceptions, il y a des vrais grands films de prison. Mais, globalement, ce sont toujours des films qui répondent au cliché de la prison. Elle est sale, ce n’est pas agréable d’y être, etc. Mais c'est ce qu’on sait sans avoir vu le film : on n’a pas besoin de films qui nous décrivent des réalités qu’on connaît, mais plutôt de films qui essaient de travailler le beau... enfin, le beau malgré tout. La possibilité d’échange, la possibilité de plaisir malgré cette situation. Et ramener la relation à une relation pas forcément positive, mais qui touche quand même à l’émotion. »

'Le jour a vaincu la nuit',  photo: Film Servis Festival Karlovy Vary
Comment s'est passé le travail d'écriture avec les prisonniers ? Comment ont-ils été sélectionnés et comment avez-vous travaillé avec eux ? On voit dans le film que la façon dont ils expriment est assez littéraire...

« En fait, on n’a pas vraiment fait de sélection. On a présenté le projet, un certain nombre de détenus sont venus, certains sont partis très vite parce que cela ne les intéressait pas. Après, comme c'était une maison d'arrêt où les prisonniers bougent très vite, on en a perdus au fur et à mesure parce qu’ils étaient libérés, parce qu’ils changeaient de prison et, au dernier moment, le juge a refusé certains des prisonniers. On s’est retrouvé avec un nombre qui était plutôt celui que je voulais au début. Je n’aurais pas pu sélectionner si j’avais eu à le faire. Cela aurait été trop violent. »

Comment cela s'est passé au niveau de l'articulation entre le fait que « rêve » pour certains, cela se rapporte aux rêves la nuit et pour d'autres cela renvoie à des désirs, à des envies... On voit bien dans le film que certains ont réagi différemment...

« Ce sont eux qui l’ont amené, parce que, moi, j'étais sur les rêves de la nuit et je n’avais pas pensé aux rêves que l’on fait la journée, les choses qui relèvent de l’espoir... Ce sont eux qui l’ont amené et j’ai trouvé ça plutôt bien : cela a ouvert la thématique. Après, nous avons beaucoup discuté. Ce sont eux qui parlaient des rêves qu’ils faisaient ou de leurs envies. Parfois, il y avait plusieurs choix et nous avons choisi ensemble quel rêve pour chacun. »

Il y a une autre articulation, celle entre la musique qu’il y a parfois, qui accompagne des prisonniers qui vont chanter ou « rapper » leur rêve, qui est parfois une musique d'ambiance, et les bruits de fond...

Xavier Thibault,  photo: Film Servis Festival Karlovy Vary
« En fait, il y a plusieurs volontés en multipliant ces options. Pour avoir fait le concert l'année dernière, je savais que certains sont très malhabiles avec la langue. S'adresser à une caméra et parler est quelque chose de difficile. Le transformer en musique pouvait les désinhiber au niveau du rapport à la langue. La musique a aussi le pouvoir d’ouvrir totalement l’espace du film. C'est toujours des moments où on respire. Cela crée un espace de liberté, d’ouverture, que je voulais transcrire. »

« Le style, les styles de musique, on les a décidés avec les détenus. Les trois gars chantent de la variété parce qu’ils le voulaient. C'était leur référence. Un autre faisait du rap à l’extérieur et voulait ‘rapper’ son texte. On est quand même parti de leurs désirs de musique. Ensuite, Xavier Thibault est intervenu pour créer la musique, mais d’une certaine manière, elles étaient déjà rythmées et les intentions étaient déjà posées. »

Les sons de fond dans la dernière séquence nous confirment que l'on est bien en prison. Il y a le son de la prison. C'était aussi une de vos volontés ?

« Oui, c'était l'idée qu'à un moment, à la fin, il fallait ramener le caractère physique de la prison, et aussi par le son. Les sons, c'est très étonnant en prison. C'est très agressif. Et je voulais utiliser comme ça une matière naturelle mais qui soit musicalisée, qui devienne organique et qui trouve une sorte de force musicale. »

Comment avez-vous trouvé les questions des spectateurs ? Il y en a eu de nombreuses autour de votre film. Certaines personnes avaient l'air assez surprises du point de vue adopté.

« Je ne sais pas trop, parce qu’il y a cette vraie inconnue sur laquelle j’ai pu répondre : je ne sais pas quelles sont les lois en République tchèque. Je sais qu’en France, comme on n’a pas le droit de montrer les visages des détenus, quand on fait un film où on montre les visages de ces détenus, la question du politique revient assez vite. Tout à coup, on fait quelque chose, alors que cela fait dix ans qu’on n’a pas vu de films avec des visages de détenus. Ils sont toujours ‘floutés’. Il y a alors une certaine lecture et je ne sais pas quelle est cette lecture ici en République tchèque."

Suite de cet entretien dans une prochaine rubrique culturelle.