90 ans depuis l'attentat contre Alois Rašín
Le 18 février, 90 ans se seront écoulés depuis la mort d'Alois Rašín, l'un des fondateurs de l'Etat tchécoslovaque, ministre des Finances et artisan d'une réforme monétaire dont le but était de se séparer de la couronne austro-hongroise pour mettre en place une nouvelle monnaie nationale. Alois Rašín est décédé de ses blessures après un attentat commis par un anarchiste de gauche.
De retour à Prague, Rašín œuvre activement en faveur de la proclamation d'un Etat indépendant. Dans la nuit du 27 au 28 octobre 1918, il est à l'origine de la première loi tchécoslovaque proclamant l'indépendance à la Maison municipale. En l'absence de Karel Kramář, président du Comité national, Alois Rašín assure l'intérim, en se plaçant à la tête de cet organe politique suprême et en dirigeant le parti démocrate tchèque, observe Jana Čechurová de l'Institut d'histoire de l'Université Charles :
« Pendant les journées décisives d'octobre, Karel Kramář se trouve à Genève, il est donc absent à Prague au moment où le coup d'Etat éclate. Dans cette situation, c'est Alois Rašín qui assume ses fonctions. Il en est de même plus tard, lorsque Kramář part à la conférence de paix à Paris, laissant à Prague un gouvernement et un parti sans chef. Et c'est ainsi que Rašín apprend très vite à prendre des décisions, à s'orienter dans une situation où un leader est nécessaire, et il accepte ce rôle. A certains égards, il éclipse même Karel Kramář. »Hormis sa contribution à la naissance de l'Etat tchécoslovaque, le mérite principal d'Alois Rašín est d'avoir assuré la stabilité économique de la jeune république. Les milliards de couronnes austro-hongroises qui circulent en Tchécoslovaquie après la fin de la guerre menacent le pays d'une grave inflation. Dans ses fonctions de ministre des Finances, Rašín décide d'une séparation financière et de la création d'une monnaie nationale qui s'impose comme un ilot de stabilité en Europe centrale. Il réussit ce tour de force en prenant une mesure d'urgence : entre le 26 février et le 9 mars 1919, on ferme les frontières de la Tchécoslovaquie et on procède à l'estampillage des billets alors en circulation sur le territoire du pays. En même temps, une partie des moyens financiers est saisie sous forme de prêt d'Etat, explique Jana Čechurová :
« Sous sa direction, on a lancé la réforme monétaire au cours de laquelle la couronne tchécoslovaque a été séparée de la monnaie autrichienne. Parallèlement à cela, Rašín a retenu la moitié de la monnaie en circulation, une mesure qui a empêché que l'inflation d'après-guerre ne s'installe. »
La couronne tchécoslovaque bénéficie dès sa naissance, au printemps 1919, d'un cours favorable et l'industrie florissante donne des gages de stabilité économique. Il n'empêche qu'après sa seconde nomination au poste de ministre des Finances, en 1922, Alois Rašín décide d’entreprendre la revalorisation de la couronne, dont il veut faire une monnaie intégralement couverte par l'or. Or cette décision risque d'avoir des conséquences néfastes : le taux de la couronne monte, mais les exportations sont moins compétitives, les entreprises s'endettent et le chômage augmente. La politique d'Alois Rašín tape dur les couches les plus démunies. « En défendant une monnaie forte, il se comporte de manière antisociale et dans une certaine mesure fanatique. La politique monétaire est la priorité absolue et les aspects sociaux sont relégués au second plan, » explique Jana Čechurová :
« L'austérité monétaire et les efforts de Rašín visant à faire un maximum d'économies sont une épine dans le pied de beaucoup d'employés du secteur public au point que cela commence à poser des problèmes au parti national démocrate dont Rašín est membre, car son électorat se recrute justement chez les employés dans ce secteur. L'idée de Rašín est que les enseignants servent d'exemple en acceptant de réduire leurs salaires. Il n'est donc guère étonnant que nombre d’adhérents quittent massivement le parti national démocrate, en signe de protestation contre cette politique. »
L'affermissement du cours de la couronne culmine par une crise bancaire et d'exportation. La politique d'austérité ne trouve pas un écho positif auprès du président de la république Tomáš Garrigue Masaryk. A la fin de 1922, Alois Rašín se retrouve sur le feu des critiques en raison de ses propos sur les légionnaires. Jana Čechurová :
« Rašín s'est exprimé en termes assez malheureux en déclarant qu'ils devaient être plus modestes, que le travail au profit de la patrie est un travail gratuit. Cela a déclenché un débat public et Rašín est devenu l'objet de critique des médias. »
Peu de temps après, le 5 janvier 1923, en sortant de son appartement, rue Žitná, au centre de Prague, Alois Rašín est abattu à coups de fusil dans le dos. L'auteur de l'attentat, un anarchiste de gauche de 19 ans, Josef Šoupal, avait préparé son acte depuis l'automne 1922. Après une première tentative d'attentat manquée avant Noël, il tire à nouveau, blessant sérieusement le ministre. Après son arrestation, il se déclare anarcho-communiste ayant voulu, par son acte, œuvrer pour le prolétariat :
« L'attentat était un acte individuel. Šoupal l'a préparé lui-même sans avoir consulté personne. Au départ, il sympathisait avec les communistes, avant de se déclarer anarchiste et anarcho-communiste. Il a voulu faire quelque chose pour la société en éliminant certains symboles du capitalisme. Rašín a été choisi en premier. D'autres devaient suivre, dont le directeur de la banque Živnobanka, Jaroslav Preiss, et d'autres personnalités. »Arrêté aussitôt après son acte, l'auteur de l'attentat passe aux aveux. Mineur, selon la législation d'alors, il a été condamné à 18 ans de prison : une peine relativement modérée car il n’aurait pas échappé à la peine capitale s'il avait été majeur. Sous le Protectorat de Bohême-Moravie, Šoupal a été remis en liberté et a changé d'identité.
Alois Rašín a succombé à ses blessures le 18 février 1923, à l'âge de 56 ans. Masaryk a regretté sa mort, en déclarant que les violences commises contre le docteur Rašín étaient inhumaines et malhonnêtes... L'attentat a accéléré l'adoption de la loi assurant la protection de la République contre l'extrémisme.Pour l'historienne Jana Čechurová, Alois Rašín était un homme dur et même fanatique à certains égards. En même temps, il avait un sens élevé des responsabilités. L'Etat représentait à ses yeux une valeur suprême à laquelle il était prêt à tout subordonner.
La petite-fille d'Alois Rašín, Jana, partie en exil en Suisse en 1968, se souvient de son grand-père :
« Il était exceptionnellement honnête et franc. Je pense que nous avons été éduqués dans cet esprit. Ceux qui l'ont connu gardent en mémoire l'image d'Alois Rašín, un homme gentil, aimable et érudit, et pas seulement en matière d'économie nationale. »
Avant de conclure, l'historienne Jana Čechurová résume les mérites d'Alois Rašín pour l'Etat tchécoslovaque :
« Ce sont d’abord ses activités au sein de la Maffia, une organisation de résistance clandestine dont Rašín était un des membres les plus actifs. Ensuite, c'est son appartenance aux hommes d'octobre 1918, comme on appelle les cinq membres de la présidence du comité national, organe politique suprême durant la Première Guerre mondiale qui a dirigé le coup d'Etat du 28 octobre 1918. Alois Rašín est l'auteur de la première loi tchécoslovaque. Son plus grand mérite réside dans le fait qu'en tant que ministre des Finances du premier gouvernement tchécoslovaque d'après-guerre, il a réalisé la réforme monétaire consistant en la création d'une monnaie nationale et en la séparation de la monnaie autrichienne. »Depuis 1990, le quai entre le pont Jirásek et la citadelle de Vyšehrad à Prague est baptisé quai Rašín. Le portrait du premier ministre des Finances figure sur la pièce de monnaie de valeur nominale de dix couronnes émise en 1992.