Marie Blaise : « J’ai souvent eu l’impression d’être née une seconde fois en France »

Marie Blaise

Cette semaine, portrait de Marie Blaise, traductrice assermentée du tchèque en France, qui nous raconte son parcours depuis son départ de la Tchécoslovaquie par amour jusqu’à l’éducation de ses filles, où la langue tchèque n’a pas manqué dans leur quotidien. Rencontre.

Marie Blaise
Marie Blaise, bonjour. Vous êtes traductrice assermentée du tchèque pour le tribunal de Colmar, vous êtes de formation ingénieure en matériaux. Mais le plus intéressant, c’est le récit de votre vie. A l’origine vous êtes de Tchécoslovaquie, un pays qui n’existe plus aujourd’hui, puisque c’est la République tchèque. Vous êtes originaire de Plzeň…

« Oui, de Plzeň. Je suis née dans la bière. Pas dans le vin, mais dans la bière… »

Et aujourd’hui vous vivez à Rouffach, en Alsace, qui est aussi un pays de bière…

« C’est vrai… »

Racontez-nous comment on atterri en Alsace, cet autre pays de la bière…

« Par amour. Pas par amour de la bière, mais par amour tout court. J’ai rencontré un Français à Prague, on s’est marié et je suis venue en France. »

A quand tout cela remonte-t-il ?

« Pendant mes études à Prague, j’ai rencontré un Français. A l’époque, on ne pouvait pas vivre ensemble simplement. Si on voulait rester ensemble, on était obligés de se marier pour pouvoir ensuite partir en France. »

Quel âge aviez-vous à l’époque ?

« Dans les 23, 24 ans… »

Comment ont réagi vos parents à l’époque, quand vous avez décidé de partir, un peu du jour au lendemain ?

« Bizarrement, ils n’ont pas réagi mal. Ils ne m’ont pas posé de questions, ils étaient juste contents que je parte. A l’époque je trouvais cela normal. Aujourd’hui, comme j’ai des enfants, j’ai du mal à imaginer que mes filles partent comme cela quelque part. En plus à l’époque, c’était un départ sans retour, même si cela avait été fait légalement. »

En quelle année êtes-vous revenue pour la première fois en Tchécoslovaquie ?

Lyon
« J’ai pu revenir un an plus tard, mais il fallait demander un visa. On ne pouvait pas revenir sur un coup de tête. Il fallait un visa pour l’Allemagne et un autre pour la Tchécoslovaquie. »

Quels ont été vos débuts en France ? Vous y êtes arrivée en ne parlant pas un mot de français et en ne sachant pas du tout ce que vous alliez y faire. Vous aviez une formation d’ingénieure, certes, mais c’était la grande inconnue…

« J’ai dû apprendre le français d’abord. J’ai fait quatre mois de cours, mais au bout de quatre mois on ne peut pas prétendre connaître une langue. Après, grâce à une voisine française, j’ai pu entrer à l’université à Lyon, j’y ai fait ma cinquième année. J’ai eu mon diplôme et ainsi, j’ai pu trouver un travail. »

Vous souvenez-vous de vos premières impressions de la France à votre arrivée ?

« La chose qui m’a surprise, c’est que les gens s’embrassaient et se disaient bonjour individuellement. C’était très personnel, alors qu’en Tchécoslovaquie c’était beaucoup plus impersonnel : on entrait quelque part, on disait salut à tout le monde et à personne. Pour moi, c’était très nouveau de devoir dire bonjour à chacun personnellement. Dans les bus, je voyais des gens qui se rencontraient et qui se faisaient la bise. C’était très neuf pour moi. »

Est-ce que vous aviez une nostalgie de la Tchécoslovaquie ou des personnes que vous aviez laissées derrière ?

« Je ne sais pas, cela fait quand même 25 ans. Probablement, car les débuts étaient très difficiles quand on ne connaît pas la langue. Je pense que je devais avoir un peu de nostalgie, mais je n’ai pas de mauvais souvenirs de cette époque. »

Vous avez aussi des enfants, deux filles. Parlent-elles tchèque ?

« Elles parlent assez bien tchèque. Elles ont 12 et 15 ans. Elles parlent tchèque avec mes parents. C’est assez drôle parce qu’elles ont un vocabulaire très enfantin, elles parlent parfois comme des petits enfants. Elle était ici, en République tchèque, à l’école, et quand on lui demandait son nom, elle disait ‘Sárinka’. Tout le monde a ri, parce que ‘Sárinka’, à 15 ans, cela ne se dit plus ! »

Elles aiment venir ici ?

Lyon
« Oui, elles adorent. Et adorent manger de la ‘svíčková’ (filet de bœuf en sauce, ndlr). »

Comment avez-vous fait pour entretenir le tchèque avec elles en France ?

« Quand elles étaient petites, j’ai essayé de leur lire des histoires en tchèque, de leur parler en tchèque ou de leur chanter des comptines. Elles regardaient les histoires de la Petite taupe à la télévision. Et puis, c’était aussi surtout grâce à mes parents. »

Vous vivez en Alsace, et j’ai toujours trouvé que l’Alsace et la Bohême avaient beaucoup de points communs au niveau culturel. Est-ce aussi votre impression ?

« Tout-à-fait. Quand je suis arrivée en France, j’ai d’abord vécu à Lyon. Et quand il a fallu aller en Alsace, cela ne m’a pas plu du tout. Je trouvais que je revenais en Tchéquie. J’avais l’impression d’un retour en arrière. Après, je me suis rendue compte qu’il y avait beaucoup plus de similitudes entre l’Alsace et la Tchéquie qu’entre l’Alsace et Lyon. Finalement, je me suis très bien intégrée et aujourd’hui j’adore. Il y a énormément de ressemblances, par exemple, la façon de fêter Noël, la Saint-Nicolas. La cuisine alsacienne, la vraie, ressemble beaucoup à la cuisine tchèque. Il y aussi au niveau du caractère : les gens en Alsace sont peut-être moins ouverts au départ, mais après avoir fait mieux connaissance, une confiance s’installe. A Lyon, les personnes sont plus extraverties et vivent plus dans la rue. En Alsace, on vit plus en famille, chacun pour soi, comme en République tchèque. Et le plus drôle, c’est qu’il y a des expressions tchèques qui, quand on les traduit mot à mot, existent en alsacien et non pas en français ! »

Quand vous regardez en arrière sur ces années de vie en Tchécoslovaquie et ensuite en France, comment voyez-vous ce parcours ? Vous avez eu deux vies en quelque sorte…

« J’ai souvent eu l’impression d’être née une seconde fois en France. C’est un peu deux vies : l’une qui s’est arrêtée, l’autre qui a commencé. Après, je me suis petit à petit faite à la France. Aujourd’hui, je me sens plus française que tchèque. Quoique, quand je reviens en Tchéquie, je me sens aussi tchèque ! Parfois, je suis un peu déchirée entre les deux. En France, évidemment, j’ai un accent, tout le monde le remarque immédiatement. En République tchèque, je n’ai pas d’accent mais je me sens moins chez moi qu’en France. »