Marie Chatardová : une femme en diplomatie (I)
Marie Chatardová est ambassadeur de République tchèque en France depuis 2010. Parcours sans faute pour cette femme originaire de Moravie, qui s’est retrouvée dans la diplomatie « un peu par hasard » comme elle le remarque, mais a gravi les échelons à partir des années 1990, à une époque où, après la chute du communisme, le monde et l’histoire semblaient à portée de main. Mariée à un Français, elle a trois enfants, tous bilingues. Alors comment gérer une vie de famille épanouie sans renoncer à sa carrière ? Comment gérer sa carrière sans délaisser ses proches ? Quel regard porte-t-elle sur la place des femmes à des hauts postes décisionnels ? Le système tchèque permet-il aux femmes de mener de front vie de famille et avancement professionnel ? Autant de questions abordées dans un long entretien dont nous vous proposons la première partie aujourd’hui. Marie Chatardová a commencé par revenir sur son parcours.
Est-ce le métier que vous souhaitiez faire petite ou aviez-vous d’autres envies ?
« Je crois que je voulais devenir institutrice. C’est vrai que je n’ai jamais rêvé de devenir diplomate. En faisant mes études sous le régime communiste, ce ne pouvait pas être mon rêve. Servir comme diplomate pour un régime totalitaire, c’était exclu pour moi. C’est venu après la révolution, un peu par hasard. Je voulais vraiment faire quelque chose pour mon pays. »
Vous êtes née en Moravie, dans la jolie ville frontalière de Znojmo… Quels souvenirs avez-vous de votre enfance ? Est-ce que vous avez l’occasion d’y retourner ? Est-ce un endroit privilégié où vous voulez pouvez vous ressourcer ou avez-vous d’autres endroits en République tchèque ?
Lorsque l’on essaye de transposer des méthodes d’action, il y a une règle : les systèmes échangent plus facilement leurs défauts que leurs qualités.
« Mes souvenirs d’enfance sont un peu décalés par rapport au monde d’aujourd’hui. Le régime précédent isolait le pays de l’Europe occidentale. Les évolutions étaient limitées dans le mode de vie : d’une certaine façon, dans le petit village près de Znojmo, d’où vient la famille de ma mère, on conservait des traditions anciennes. De ce point de vue, mon enfance ressemble à certaines scènes des films de Bergman. Avec l’horloge qui marque le temps régulièrement, une tante ou une grand-mère qui console et qui sourit, le bois que l’on met très tôt dans le poêle, quantité de chants traditionnels. Et puis il y a aussi le reste, le monde extérieur : mes parents qui m’entraînent au fond de la maison à Znojmo et qui me cachent au fond d’un lit alors que les troupes du Pacte de Varsovie passent dans la rue. Il y a des tirs sur la façade. Nous sommes en août 1968 et j’ai cinq ans. Mes parents ont déménagé à Brno quand j’avais neuf ans. Sinon, quand je suis en République tchèque, j’aime me déplacer et visiter le pays. C’est un très beau pays, très varié avec des montagnes, des lacs, des forêts, des plaines. Et puis la prospérité fait plaisir à voir : la plupart des maisons sont refaites. C’est très facile de se ressourcer en République tchèque. Il y a beaucoup d’endroits dans mon pays que j’aime. Et évidemment, comme je vis à Prague, j’aime Prague. »
Les femmes sont encore sous-représentées aux postes hauts placés, qu’il s’agisse du monde des affaires ou d’autres secteurs. Mais les temps ont beaucoup changé néanmoins. Avez-vous connu des difficultés à vous imposer en tant que femme dans un monde diplomatique qu’on dit souvent encore une chasse gardée masculine ?
« Evidemment, ce n’est pas toujours facile pour les femmes de s’imposer. Mais chaque fois que je ne parviens pas à faire quelque chose, j’essaye de me convaincre que c’est parce que je n’étais pas la meilleure et je considère qu’il n’y a pas de discrimination ou j’essaye de ne pas l’admettre. Je m’efforce de faire mieux encore. Le fait qu’il n’y ait pas beaucoup de femmes ambassadeur, c’est que c’est très difficile de lier la carrière et la vie de famille. Les femmes suivent plus facilement leur mari que l’inverse. Mais il est sûr que la diplomatie n’est pas une chasse gardée des hommes. Lorsque vous gérez une ambassade, le fait d’être un homme ou une femme n’a aucun impact puisque vous êtes jugés sur les résultats. »Avez-vous l’impression, comme certaines femmes le font parfois remarquer, de devoir en faire plus que les hommes pour être prises au sérieux, ou est-ce un phénomène qui s’estompe ?
« Je pense que lorsqu’on travaille sérieusement, je ne sais pas ce que cela veut dire ‘en faire plus’ ! »
Vous avez été en mission diplomatique en Suède où justement, on estime que la parité hommes-femmes, est bien plus respectée qu’en France ou en République tchèque. Est-ce votre expérience personnelle du pays ?
« La question de la parité hommes-femmes est complexe. Surtout si on l’aborde en comparant différents pays. C’est un objectif qui doit être atteint mais les moyens de l’obtenir dépendent des situations de départ. Regardez le droit de vote des femmes : en Suède, il est définitivement acquis en 1919, en France, c’est en 1944, chez nous, c’est après l’indépendance en 1918. Au-delà des statistiques générales, il n’y a que des cas particuliers. Lorsque l’on essaye de transposer des méthodes d’action, il y a une règle : les systèmes échangent plus facilement leurs défauts que leurs qualités. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne s’inspire pas ailleurs. »Retrouvez la deuxième partie de cet entretien dans la prochaine rubrique consacrée aux portraits de Tchèques, dans deux semaines. Marie Chatardová évoquera également sa mission diplomatique et les relations bilatérales franco-tchèques dans Panorama, mardi prochain.