Ivan Klíma se retourne sur les folies de son siècle
« Moje šílené století - Mon siècle fou » – tel est le titre des Mémoires de l’écrivain tchèque Ivan Klíma, livre dont le premier tome a obtenu le prix Magnesia Litera, la distinction littéraire la plus prestigieuse en République tchèque. Par ce livre en deux tomes, paru aux éditions Academia, l’écrivain retrace sa vie et répond entre autres à la question pourquoi il a adhéré dans sa jeunesse au parti communiste.
« Je pourrais citer beaucoup de souvenirs mais je n’aime pas écrire sur Terezín. C’est pourquoi je les ai réduits et je n’ai parlé que des choses essentielles. Quand on en parle beaucoup, j’ai l’impression que c’est un chantage sentimental par rapport au lecteur. J’ai des scrupules. C’était une expérience exceptionnelle. Je n’ai pas de mérite à avoir survécu. Je l’explique d’ailleurs dans le livre. C’était un événement historique d’une dimension et d’une cruauté hors du commun. J’ai eu le malheur et la chance d’avoir traversé cette période, donc je ne voulais pas et ne pouvais pas la passer sous silence mais je ne voulais pas non plus que ce soit un chantage sentimental. »
Après la guerre Ivan Klíma étudie la langue et la littérature tchèques à l’université de Prague et puis devient journaliste. Il adhère au Parti communiste mais il se rend bientôt compte qu’il a fait une erreur monumentale. C’est aussi un des thèmes du premier tome de ses Mémoires :« Le premier tome, comme toujours quand on écrit sur la jeunesse et sa bêtise, est plus agréable à lire, plus intéressant. Le meilleur livre de beaucoup d’auteurs, c’est celui qui puise son inspiration dans leur jeunesse et leur enfance. Et l’intérêt du deuxième tome est plutôt dans l’aspect historique car la population a été repartie en trois couches, celle des collaborateurs, celle des résistants et la majorité qui cherchait à traverser honnêtement cette période. Et j’ai voulu démontrer dans le deuxième tome que cette majorité soi-disant silencieuse n’était pas au fond tout-à-fait silencieuse et que ces gens avaient été en réalité bien actifs. »
Comment se fait-il que des gens honnêtes, des démocrates, des personnalités importantes des arts, des lettres et des sciences aient pu adhérer au parti communiste ? Cette question ne cesse d’intriguer encore aujourd’hui notamment les jeunes qui n’ont pas vécu sous le régime totalitaire. Ivan Klíma a décidé de répondre par un livre :
« Je connais un homme dont je ne vais pas vous dire le nom, mais c’est un fasciste convaincu et je crois qu’il n’en a pas honte. Cet homme attaque tous les anciens communistes et il me déteste particulièrement. Il m’a reproché de n’avoir jamais écrit que j’avais été membre du Parti communiste. Alors je me suis dit : ‘Bon, il a raison. Cela ne s’explique pas en une seule phrase - j’ai été membre du parti ou je ne l’ai pas été. Je vais essayer donc d’expliquer comment c’est possible que moi et tant de gens de ma génération se sont laissés tellement abrutir.’ Et j’ai essayé d’en montrer les principales causes extérieures et intérieures. Dans mon cas c’étaient notamment les impressions de la guerre qui ont contribué à cela. »
La structure du livre n’est pas cependant celle d’une simple autobiographie. Les chapitres retraçant la vie de l’écrivain alternent avec des passages plus généraux qui situent les événements de sa vie dans un contexte plus large :
« J’ai cherché à ne pas me présenter comme plus astucieux que je ne l’étais à cette époque-là. C’est donc un rapport sur mes idées, puis sur mes doutes, mais qui ne sortaient pas encore du cadre du parti. J’ai trouvé cependant que c’était un peu partial comme si je m’excusais ou disais l’avoir compris. J’ai donc inséré dans le texte des essais dans lesquels je réfléchis sur les mêmes problèmes mais avec une distance de 50 ou 40 ans. »
Et puisque c’est déjà en dehors de sa biographie l’auteur ose dire ce qu’il en pense aujourd’hui. Certains lecteurs, pour la plupart très érudits, lui ont confié avoir sauté ces essais parce qu’ils les trouvaient sans intérêt. D’autres lecteurs lui disent que ce sont justement ces essais qui sont les plus intéressants.
Dans les années 1960 Ivan Klíma travaille dans les revues littéraires devenues vecteurs d’idées libérales sur la vie, la politique et la culture. Ces idées jouent un rôle important dans le grand mouvement de libéralisation appelé communément Printemps de Prague qui transformera et rajeunira tout le pays avant d’être écrasé par les chars soviétiques en août 1968. Entre 1969 et 1970, Ivan Klíma vit et travaille aux Etats-Unis et lorsqu’il revient en Tchécoslovaquie, il est interdit de publication et doit gagner sa vie dans des professions ouvrières. Simultanément il poursuit son œuvre littéraire qu’il publie en samizdat et devient un des écrivains tchèques les plus importants de sa génération. Ses romans, ses contes, ses pièces de théâtres et ses essais seront traduits dans 31 langues. Dans le deuxième tome de ses Mémoires, l’écrivain évoque la période de l’occupation de la Tchécoslovaquie, son retour des Etats-Unis, la situation dans le pays occupé et l’influence néfaste de cette situation sur les gens, leurs familles, leurs rapports sentimentaux. Et il n’oublie pas le mouvement de dissidence dont il a été membre actif et qui a abouti à la Charte 77, appel signé par des intellectuels courageux qui allait provoquer la colère des autorités communistes et mobiliser les critiques du régime.
Aujourd’hui Ivan Klíma poursuit infatigablement son œuvre inspirée par sa vie. Il y a deux grands thèmes qui sont typiques pour ses inspirations et qui apparaissent pratiquement dans toutes les étapes de sa création littéraire – la solitude et l’homme face aux mécanismes du pouvoir. La volonté de résister à la manipulation par le pouvoir et le rejet de la passivité face aux défis de la vie sont aussi les thèmes majeurs de ses Mémoires.
Rediffusion du 5/2/2011