Les Tchèques regardent leur avenir avec un scepticisme modéré
Que pensent les Tchèques de l’état actuel de la société ? Une enquête effectuée il y a quelques jours par l’agence STEM a apporté des éléments de réponse et révélé des constatations qui trahissent un certain scepticisme d’une grande partie de la population. L’hebdomadaire Respekt a donné dans une de ses récentes éditions la parole à plusieurs sociologues pour les commenter. Nous avons lu également quelques autres articles publiés dans ce périodique dit « intellectuel » qui se consacrent à quelques nouveaux phénomènes qui se sont imposés dans la société tchèque, au cours des deux dernières décennies écoulées depuis la chute du régime communiste.
Les résultats de l’enquête permettent de dresser la liste des problèmes qui semblent préoccuper le plus les Tchèques. En premier lieu, c’est l’insuffisance de certitudes sociales notamment en ce qui concerne les personnes âgées et les jeunes familles. L’action des partis politiques, la corruption et les pratiques des milieux de l’entreprise sont la deuxième source de mécontentement ou de désillusion de la population. Comparé aux années précédentes, on voit en outre s’accroître le nombre de personnes qui ont le sentiment de ne pouvoir nullement influencer la vie politique dans le pays. Ou encore de faire valoir leurs droits devant la justice.
Pourquoi le scepticisme des gens est-il en hausse alors que la situation matérielle d’une grande partie d’entre eux est nettement supérieure à ce qu’elle était il y a quinze ans ? Les spécialistes l’expliquent en premier lieu par leurs craintes de l’avenir en lien avec les réformes entamées ou en préparation. Il cite la politologue Vladimíra Dvořáková qui explique :
« Dans le passé, les élites prétendaient qu’il fallait se serrer la ceinture pour aller mieux, mais maintenant, elles disent qu’il faut faire des réformes pour que le système ne s’écroule pas complètement. »
Pour la sociologue Jiřina Šiklová, la crainte de l’avenir risque de se traduire par une plus grande ouverture de notre société vers des tendances extrémistes. Pour d’autres, cette crainte serait due plutôt à la disparition du modèle traditionnel de la famille. L’augmentation de l’incertitude et de l’insécurité des individus en serait la conséquence.Dans le sondage effectué par l’agence STEM, les Tchèques déclarent malgré tout leur intérêt pour ce qui se passe sur la scène politique. Ceci dit, ils ne sont prêts qu’exceptionnellement à s’engager eux-mêmes, leur participation active à la vie politique se limitant pour la plupart des cas à leur présence aux urnes.
« Ce sont les institutions et les élites politiques qui devraient, de l’avis général de l’opinion publique, améliorer la situation dans le pays », écrit le journal pour montrer que les gens adressent leurs attentes et leurs espoirs beaucoup plus à l’Etat qu’à eux-mêmes. Et de citer la sociologue Markéta Sedláčková qui constate :« Nous sommes à mi-chemin, donc on ne peut pas s’attendre à des miracles. D’habitude et comme le veut la bible, les transformations sociales et la route vers la terre promise durent quarante ans... Mais si une telle évaluation pessimiste persiste encore dans vingt ans, il faudra se poser de sérieuses questions sur ce que la terre promise vaut effectivement pour nous ».
Qui sont les millionaires tchèques ?, s’interroge une édition de février de l’hebdomadaire Respekt, qui suit les traces de ce qu’il appelle « la deuxième génération des Tchèques riches ».Quelques chiffres d’abord. Tandis qu’en 1990, au lendemain de la chute du régime communiste, il y avait dans le pays (l’ancienne Tchécoslovaquie à l’époque) à peine quelques centaines de millionnaires en dollars (comme tel est désigné celui qui possède plus d’un million de dollars, soit près de 19 millions de couronnes), aujourd’hui on en trouve, à en croire les données de l’institution financière internationale Capgemini, près de 13 000. Au cours des années à venir, ce chiffre aura très probablement tendance à augmenter, en dépit d’un certain ralentissement provoqué par la crise.
Le journal s’interroge sur la façon dont ces millionnaires ou milliardaires sont perçus par la population tchèque. Il écrit :
« En Occident, la richesse apporte respect et prestige. En Tchéquie, en revanche, la situation est plus complexe. Quatre ans après la chute du régime communiste, les enquêtes montraient que la majorité des gens voyaient d’un mauvais œil les grandes fortunes et leurs propriétaires, estimant que celles-ci étaient le fruit de la corruption ou du crime. Ce n’était guère surprenant et c’était assez logique, compte de tenu du fait qu’au cours des premières années de l’édification du capitalisme, une grande partie des entrepreneurs, dont on ne citera que « le pirate de Prague » Viktor Kožený, s’est enrichie grâce aux pratiques douteuses et peu transparentes liées aux milieux politiques. »Ce qui peut en revanche surprendre, c’est que la situation demeure pratiquement la même encore aujourd’hui, au bout de vingt ans d’édification du libéralisme dans le pays. Une récente enquête révèle en effet que quatre personnes interrogées sur cinq considèrent qu’il est impossible de s’enrichir en Tchéquie légalement et honnêtement.
« Mais on ne peut pas voir les riches en Tchéquie d’une manière aussi simple », note l’auteur de l’article car, « à côté des vautours peu transparents du début des années 1990 – une partie d’entre eux figure d’ailleurs toujours parmi le ‘top ten’ des personnes les plus riches – on voit se former un autre groupe. Ce sont les entrepreneurs qui ont aujourd’hui entre trente et quarante-cinq ans, qui parlent couramment au moins une langue étrangère et qui ont basé leur business sur une bonne idée de départ ».
Les chiffres exacts les concernant ne sont pas encore disponibles mais, selon les données de la société Capgemini, cette deuxième génération de millionnaires ne cesse de s’élargir. Il s’agit de gens qui travaillent dans les nouvelles technologies, dans le domaine de l’innovation ou qui négocient en bourse. « De ce fait », souligne l’hebdomadaire, « ils ne dépendent pas des commandes publiques qui risquent d’être liées à la corruption ».
Respekt observe que parmi ces « nouveaux millionaires », on trouve de plus en plus de personnes prêtes à soutenir des projets philanthropiques. S’ils étaient quelques-uns, il y a quelques années encore, il y en a aujourd’hui au moins quelques dizaines. Leur soutien à des activités caritatives est orienté particulièrement vers des projets éducatifs.
Petr Kellner, le plus riche des Tchèques, a fondé pour sa part la Fondation Educa qui distribue toute une série de bourses étrangères et qui gère aussi un prestigieux lycée privé. Récemment, il a mis sur pied un nouveau projet, la Fondation Sirius qui est destinée à soutenir les adolescents et les enfants issus de familles défavorisées.
Un autre membre du ‘top ten’ déjà mentionné, Zdenek Bakala soutient lui aussi toute une série de projets à caractère social. Il dit : « Consacrer la moitié de ses biens à des buts philantrophiques n’est pas un simple geste, mais c’est un véritable acte... Je pense que je vais prendre une décision dans ce sens ».