Karel Zlín : l’Antiquité au cœur
Rencontre avec Karel Zlín (1937), peintre, sculpteur et poète français d'origine tchèque.
Karel Zlín, vous êtes artiste, plasticien, poète, vous êtes d’origine tchèque mais vous vivez en France depuis 1976. On aura l’occasion d’en reparler. A l’origine, vous vous appelez Karel Machálek, vous ne vous appelez pas Karel Zlín. Vous êtes né à Zlín, en Moravie. Je suppose que c’est à cause de cette ville que vous avez adopté ce pseudonyme...
« C’est une histoire assez simple. A l’âge de 11 ans, on a rebaptisé cette ville que j’aimais beaucoup et que j’aime toujours. Au lieu du nom de Zlín, ils ont inventé celui de Gottwaldov après 1948. Cette situation est devenue insupportable. A cette époque j’avais déjà envoyé des textes que j’avais écrits à Host do domu, une revue morave éditée à Brno. Dès cette époque, en 1956 environ, je signais mes textes Karel Zlín. Depuis, je signe toutes mes œuvres Karel Zlín. »
Cette ville vous a marqué alors ?
« D’une certaine façon oui. J’aime beaucoup les choses anciennes, mais paradoxalement cette ville a été bâtie quelques années avant ma naissance. Mon père a essayé de s’établir comme peintre à Prague, mais il a gagné un concours d’affiche pour Baťa. Il a amené toute sa famille à Zlín en 1937, où je suis né. »
Plus tard, vous êtes resté à Zlín ou vous êtes parti à Prague ?
« J’ai réussi l’examen d’entrée aux Beaux Arts à Prague. J’ai donc vécu à Prague à partir de 1956-57. »
C’est là que vous avez également créé, pendant une bonne partie de votre vie. Comment était l’atmosphère dans ces années-là, puisque vous étiez encore à Prague dans les années de bouillonnement artistique et culturel ?
« Les professeurs de l’Ecole des Beaux Arts étaient toujours des gens très cultivés. Nous n’avons pas eu ces problèmes idéologiques comme ceux qui faisaient du droit et de la philosophie. L’Académie des Beaux Arts à cette époque là était tout à fait supportable. »
On ne vous demandait pas des oeuvres dans le style « réalisme socialiste » ?
« Non. Il y avait une grande bibliothèque et tout le monde voulait évidemment savoir ce qui se passait derrière les frontières de la Tchécoslovaquie. Mais les revues intéressantes comme Connaissance des Arts etc, nous étaient tout à fait accessibles. C’est vrai qu’on n’avait pas une liberté absolue. Mais parallèlement, à l’époque, on organisait des manifestations qu’on appelait ‘Confrontations’, avec quelqu’un qui est aujourd’hui célèbre, Vladimír Boudník. C’était aussi mon ami, comme Jirka Valenta, Koblasa qui vit en Allemagne comme Tonda Málek. Les autres sont restés ici, mais je suis toujours très ami avec eux. »
En 1976 vous êtes parti en France. Pourquoi en France ? Aviez-vous des difficultés en Tchécoslovaquie ?
« Ce n’était pas une rupture. J’avais reçu une invitation pour séjourner 6 mois en France. L’Association des artistes tchèques m’a soutenu. Quand je suis allé à la police, rue Bartolomějská, pour demander l’autorisation de partir en France, j’étais presque persuadé qu’on me la refuserait. Finalement j’ai pu partir, j’ai travaillé pendant 6 mois en France et j’ai eu une proposition pour faire une exposition à Lyon dans une petite galerie où jadis exposait Sima. Malheureusement le jour d’ouverture de l’exposition correspondait au jour où je devais rentrer à Prague. Je suis allé à l’ambassade et j’ai expliqué que j’avais une exposition, que je ne pouvais pas partir et j’ai demandé s’ils pouvaient prolonger mon séjour. Je n’ai pas réussi à les convaincre. Donc je suis resté. »
Vous ne regrettez pas d’être resté ?
« Pas du tout. J’ai ma vie là-bas, j’y suis marié, j’expose là-bas. Je n’ai aucun regret. »
Et en plus vous avez eu de beaux projets en France. Pendant le deuxième septennat de François Mitterrand, vous avez réalisé deux oeuvres monumentales pour les jardins du château de Rambouillet. Une de ces œuvres s’appelle la Barque solaire, l’autre Architecture antropomorphe. Pouvez-vous me parler de ces oeuvres et du contexte dans lequel s’est inscrit cette commande ? François Mitterrand est connu pour avoir été un mécène important dans le domaine des arts...
« A l’époque j’avais la chance d’avoir mon atelier rue du Louvre en face des grandes rédactions de journaux comme Le Figaro, Le Nouvel observateur. Mon atelier était fréquenté par les journalistes. Un jour ils ont emmené ce monsieur à mon atelier. Il a collectionné beaucoup d’œuvres il s’est entouré d’artistes, de plasticiens, d’écrivains. J’ai eu plusieurs entretiens avec lui. Il a acheté quelques oeuvres à mon atelier, des tableaux. Après, indépendamment de François Mitterrand, j’ai réussi à avoir une commande du ministère de la Culture : un grand bronze qui pèse trois tonnes et demi et qui mesure 7,50 m de longueur et 3,80 m de hauteur. C’était ma première pièce qui est placée dans le quinconce du parc du château de Rambouillet. »
Vos œuvres s’inspirent beaucoup de l’Antiquité, de pays comme l’Egypte, des pays mythiques... D’où vous vient ce goût pour l’Antiquité, qu’est-ce qui vous fascine dans cette histoire antique ?
« Dans le domaine des arts, je ne veux pas proclamer quoi que ce soit, car si vous parlez de savoirs anciens et des canons anciens, vous êtes considéré comme rétrogade. Mais je pense qu’il faut mentionner quelque chose d’important : la mémoire universelle est quelque chose qui peut être négligé par certains artistes plasticiens, mais qui peut être aussi évoquée par d’autres. J’appartiens à ces autres... »
Ce goût de l’Antiquité, de l’Orient, on le retrouve également dans votre oeuvre poétique. Vous avez un recueil de poèmes qui s’appelle Vers l’Orient, qui a été publié en France dans une maison d’édition qui s’appelle Le dormeur du val. Pourriez-vous me parler de ce recueil qui est en fait un voyage sur les traces de Gérard de Nerval ?
« Depuis tout petit, j’ai toujours été attiré par la mystérieuse création de Gérard de Nerval, auteur des Chimères, et qui a été envoûté par les choses secrètes qu’il espérait trouver en Egypte. J’ai d’abord traduit les Chimères en tchèque. Puis j’ai eu la possibilité de voyager en Egypte, pas comme un touriste, mais avec un ami qui vit au Caire. J’ai voulu refaire le même voyage que Gérard de Nerval. Pendant mon voyage et à mon retour, j’ai écrit ces petits textes qui sont réunis dans Vers l’Orient et qui sont un hommage à Gérard de Nerval. »
Votre activité poétique et votre activité plastique sont-elles complémentaires ?
« Elles sont complémentaires. J’ai toujours su que mon choix dans la vie serait les arts plastiques, mais j’ai toujours été intéressé par la littérature en parallèle. Je ne suis pas capable de dire, quand je me réveille, ce que je vais faire pendant la journée. La journée se déroule. On réagit en fonction de sa sensibilité et de ce qui excite votre curiosité. Votre journée se détermine d’après cela : vous faites un dessin, une peinture ou un texte... »