Il était une fois, une petite fille avec des allumettes...

'Une petite fille avec des allumettes', photo: Paul Prunier, http://ciecanolopez.free.fr

Cela fait maintenant quelque six années que José-Manuel Cano-Lopez fait escale en République tchèque. Ce metteur en scène français d’origine espagnole participe en effet régulièrement au festival Théâtre des régions d’Europe organisé chaque année à Hradec Králové par le Théâtre Klicpera. Un théâtre dont la troupe a joué toute cette année sa pièce Moi, Don Quichotte avec succès. Vendredi José-Manuel Cano-Lopez était de retour en République tchèque, plus précisément à Prague où il a donné deux représentations d’un nouveau spectacle à l’Institut français de Prague.

Ce spectacle, c’est Une petite fille avec des allumettes, une pièce de théâtre à double entrée, comme nous l’explique José Manuel Cano Lopez :

« ‘Une petite fille avec des allumettes’, en effet, car il ne s’agit pas du conte d’Andersen dans toute la vérité d’Andersen, mais d’une réécriture que j’ai faite à la fois de son conte mais aussi d’une nouvelle de Tchékov qui s’appelle La petite fille qui voulait dormir. J’ai mis bout à bout ces deux histoires, d’un côté celle que tout le monde connait de cette petite fille qui un soir de fête de fin d’année se retrouve dans la solitude, dans la neige, en essayant de vendre ses allumettes que personne n’achète. Dans la panique de rentrer chez elle sans en avoir vendu, elle finit par essayer de se réchauffer et des rêves surgissent. Jusqu’au dernier rêve où, malheureusement, et on a tendance à l’oublier, la petite fille meurt de froid à la veille de la nouvelle année. Le dernier rêve et la dernière allumette c’est sa grand-mère qui vient lui tendre les bras et l’aider à passer de l’autre côté. C’est l’affreux conte d’Andersen puisqu’on oublie que c’est un conte d’une tragédie incroyable !

Le texte d’Anton Tchékov est une nouvelle méconnue et met aussi en jeu une petite fille qui elle, souffre aussi, puisqu’elle est chargée de veiller sur un bébé qui pleure toute la nuit. La petite fille s’appelle Anna. Elle n’arrive pas à s’endormir, elle est à bout. Comme la petite fille d’Andersen, dans cet espèce de délire à cause du manque de sommeil, elle fait des rêves et ces rêves sont ses retrouvailles avec son père, la mort de son père... J’ai eu envie pour des raisons intimes de monter ce spetacle-là. C’est à la fois un travail de conteur, avec une comédienne, c’est un travail sur l’envoûtement magique de quelqu’un qui raconte ces deux histoires... J’ai eu envie de retrouver les peurs d’enfants que l’on a quand on lit ces contes. »

Une petite fille avec des allumettes propose une mise en scène assez minimaliste, mais très stylisée. Le jeu de l’éclairage, entre le bleuté d’un crépuscule et la lumière plus franche d’un clair de lune, plonge le spectateur dans le monde de la nuit, dans le monde du rêve, dans ce monde étrange où les formes ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être. D’ailleurs, tout le spectacle est conduit par un fil musical bien choisi : les créations du duo freak folk Coco Rosie accompagnent justement divers moments de la pièce. L’étrange, l’inquiétant, mais aussi la fantaisie et la possibilité de s’échapper, tout cela, c’est l’univers du conte, à mi-chemin entre le rêve et la réalité. José Manuel Cano Lopez :

« Pour moi c’est un vrai rituel. On ne raconte pas ces histoires de manière naturaliste. C’est un personnage qui vient d’ailleurs, c’est pour moi notre propre enfance, notre mémoire d’enfance, qui vient dans une sorte de rituel du souvenir raconter ces histoires évidemment transformées par l’âge qui est passé là-dessus. C’est un travail très stylisée, dans une zone d’ombre et de lumière. Ce qui m’intéresse dans ce type d’aventures théâtrales – puisque je fais beaucoup de spectacles pour le tout public, pas uniquement le jeune public – c’est de faire un spectacle pour les enfants de tout âge mais que les adultes retrouvent leur compte là-dedans. On a beaucoup tourné et on sait que ce spectacle plaît énormément aux mômes. Il renvoie aussi à une certaine frayeur du temps qui passe chez les adultes. Ca peut être très dur pour eux, tout en étant très clair et nécessaire pour les enfants. On est en effet à la lisière entre chien et loup, est-on dans le rêve, le cauchemard ? A-t-on peur pour de vrai ? Pour de faux ? Va-t-on pleurer vraiment ? Ca fait le sel – et même plus, je ne vais pas rappeler les études de Bettelheim sur les contes de fée – ça fait l’épaisseur de ce qui va devenir notre propre humanité. »

Rappeler la fonction primaire éducative du conte pour les enfants, se souvenir que le conte est tout aussi utile pour les adultes... Une petite avec des allumettes est aussi, selon les propres termes de José Manuel Cano Lopez, un spectacle à tiroirs, une pièce de théâtre « gigogne ». Une petite fille avec des allumettes va en outre de paire avec un travail pédagogique avec des écoles.

« A ma connaissance c’est le premier spectacle qui fonctionne de cette manière-là parce que j’ai souhaité associer, dans les lieux où on joue, les jeunes, les futurs spectateurs, à la création du spectacle. On convie les élèves à écrire eux-mêmes un conte qui va devenir l’avant-dernière allumette, soit un des rêves de la petite fille aux allumettes. On convie les jeunes spectacteurs à devenir les auteurs de la pièce. Un élève ou un groupe d’élèves découvrent ensuite leur travail d’écriture mis en scène. C’est à la fois une façon de faire en sorte que des jeunes soient réellement associés à la création contemporaine, c’est changer le statut car du coup, ils se demandent s’ils sont devenus auteurs ou pas. C’est une manière de continuer à dire que le théâtre peut rester vivant, doit être dans un renouvellement permanent et qu’il n’est pas uniquement à usage réservé. Qui pouvait penser qu’environ 80 jeunes pragois allaient se retrouver à écrire une des allumettes de l’histoire d’Andersen ? C’est vraiment joli. J’aime beaucoup. Ca marche très bien, il y a beaucoup de textes. On fera sans doute un petit bouquin avec tous les textes qui ont été écrits depuis la création du spectacle. C’est aussi une manière de dire la diversité des pratiques de l’écriture théâtrale. »

José Manuel Cano Lopez reviendra bientôt en République tchèque et a des projets pleins la besace avec la troupe du théâtre Klicpera... Au mois de juin, il présentera à Hradec Králové sa dernière création, Le Cabaret au bout de la nuit, dans le cadre du festival du Théâtre des régions d’Europe. Autre projet : l’adaptation en tchèque avec les acteur du Théâtre Klicpera de 19 août 36 : mort d’un poète, un texte sur la mort de Federico Garcia Lorca. Enfin, un projet avec le metteur en scène Vladimír Morávek dont José Manuel Cano Lopez aime et admire le travail. Tout cela, c’est donc une aventure franco-tchèque de théâtre à suivre...