Les fruits voyageurs (1ère partie)
Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague – Ahoj vám všem, milovníkům češtiny Radia Praha ! En République tchèque, comme en France ou dans toutes sortes de pays, on aime manger des fruits - ovoce, des fruits qui poussent ici ou des fruits qui poussent ailleurs… Et dont l’appellation rappelle souvent les voyages. Petit tour d’horizon.
Il y a ces fruits qui viennent de loin et dont les noms nous sont familiers. Ainsi, la banane s’appelle en tchèque …. banán, mot d’origine arabe qui signifierait au départ « doigt », rappelant de loin la forme du fruit... Le citron s’appelle en tchèque… citron, croisement entre le « citrus » latin et le « limah, limon » arabe – le « limon » n’est d’ailleurs pas complètement absent de la langue tchèque, il y est entré, devinez comment, par le français « limonade » - limonáda. Et le kiwi s’appelle en tchèque… kivi (paraît-il qu’on parle de « groseille à maquereau chinoise » !) – le fruit aurait voyagé de Chine en Nouvelle-Zélande en 1906 et s’y serait établi et multiplié. Le mot « kiwi » désignait alors des autruches néo-zélandaises, puis, par extension, les Néo-zélandais eux-mêmes ! Quand le fruit a voyagé de nouveau, pour être commercialisé aux Etats-Unis, un spécialiste du marketing s’est emparé du mot charmant, qui, depuis lors, partout en Occident, n’évoque ni une autruche ni un Néo-zélandais, mais la chaire verte d’un fruit délicieux.
Myrtilles, groseilles, cassis, framboises… Ces fruits des bois sont très répandus dans cette région d’Europe, aussi ont-il été l’objet d’appellations slaves. A commencer par la myrtille - borůvka, que les Tchèques aiment à ramasser dans les forêts pendant tout l’été – fastidieuse démarche, mais c’est tellement bon ! Borůvka est un mot slave de l’Ouest, il décrit l’endroit ou poussent ces baies délicieuses – borový les, qui désigne, en vieux slave, ce que le tchèque d’aujourd’hui appelle jehličnatý les - la forêt de conifères. L’airelle – brusinka– est un autre fruit très répandu en République tchèque, qui sert d’accompagnement à un plat de viande national, la svíčková na smetaně, un morceau de bœuf avec une sauce aux carottes et autres légumes, légèrement sucrée, décoré d’une noisette de crème chantilly et d’airelles, justement… Un plat servi dans la plupart des restaurants tous les midis pour une bouchée de pain, et qui doit en grande partie son goût aux brusinky - les airelles, dont l’appellation tchèque vient du verbe vieux slave « brusiti » qui signifie affiler, repasser, tailler, récurer… rappelant le ramassage laborieux de la baie. Paraît-il que certains Tchèques appellent aussi la myrtille brusinka au lieu de borůvka– la confusion est crédible, puisque les deux appellations, étant donné la signification de leur origine, pourraient presque s’interchanger. Myrtilles comme airelles se ramassent en effet au peigne fin dans les forêts de conifères d’Europe centrale et d’ailleurs.
Interchanger les myrtilles et les airelles n’est pas la seule confusion possible quand on évoque les fruits des bois aux noms slaves : penchons-nous un instant sur le cas de la fraise - jahoda. Le mot vient du vieux slave « agoda », qui signifiait baie, désignant tous les fruits baccifères. Et cette baie des temps anciens a voyagé différemment dans les pays slaves. Ainsi les Polonais ont-ils préféré l’utiliser pour désigner non pas la fraise – en polonais « truskawka » – mais la myrtille, qui, en polonais donc, n’a rien à voir avec la borůvka, puisqu’elle s’appelle jagoda…
Et c’est sur cette confusion fruitière que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue », consacré à ce que l’on pourrait appeler les fruits voyageurs. Gardez des forces, puisque le voyage continue dans une prochaine émission : amis des pêches, poires, pommes et autres raisins, restez donc avec nous ! Nous ne vous en disons pas plus pour l’instant, en attendant portez-vous du mieux possible – mějte se co nelíp !, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !