L'Amerique, L'Amerique...
Nous en avons parlé sur nos ondes, récemment s'est tenue à New York la journée tchèque. Une occasion pour revenir, dans ces Chapitres de l'Histoire, sur les liens entre la République tchèque et les Etats-Unis, forcément lointains et pourtant féconds. Bien moins connue que la francophilie tchèque, l'américanophilie s'est développée en Bohême durant tout le XXème siècle et son influence ne s'est pas toujours limitée au fast food et au Coca Cola.
Quoiqu'on en dise, l'Amérique continue de fasciner aujourd'hui. Ceci vaut pour l'Europe en général et la République tchèque en particulier et le phénomène n'est pas nouveau. Après la 1ère Guerre mondiale, la 1ère République tchécoslovaque voit Prague accéder au rang de capitale occidentale. Machacek, American dancing hall, Gri-Gri, American bar, dans les années 20, la vogue est aux bars américains et Prague résonne du jazz et du swing d'outre-Atlantique. Une actrice tchèque, Heda Kiesler, fait même carrière à Hollywood sous le nom d'Hedy Lamarr, après avoir connu en 1932 le succès dans "Extase", du réalisateur Machaty.
Dans un article paru dans la collection Autrement, Pierre Wodnik analysait la portée, pas seulement symbolique, du dollar en Pologne. Pendant la 1ère moitié du XXème siècle, l'arrivée de billets verts par la poste était synonyme de mauvaise nouvelle. Il annonçait la mort d'un père ou d'un fils émigré en Amérique. "Les premiers mandats qui arrivaient étaient les dédommagements payés par les employeurs pour les travailleurs polonais morts aux Etats-Unis". Mais surtout, le dollar restera en circulation dans le pays pendant toute la période communiste et à la chute du régime, les Américains seront surpris devant les stocks de dollars détenus par les Polonais.
L'Amérique a beau être loin, elle est bien présente et tisse des liens invisibles avec le destin national tchèque. A commencer par la création de la Tchécoslovaquie, dont l'existence entre tout à fait dans l'état d'esprit du "nouvel ordre international" prôné par le président américain Wilson au lendemain de la 1ère Guerre mondiale. Conçue aux Etats-Unis, la Déclaration de Washington, qui consacre la naissance du nouvel Etat indépendant, est rendue publique à Paris, le 18 octobre 1918.Notons que les Etats-Unis connaîtront, toute proportion gardée, leur petit "Munich". Jusqu'à 1948, ils essaient encore d'empêcher le basculement tchécoslovaque à l'Est. Pourtant, dès la fin de la guerre, les dés sont jetés. En avril 1945, les troupes américaines libèrent Plzen, à l'ouest, mais le général Eisenhower leur donne l'ordre d'arrêter. Les Soviétiques veulent en effet libérer Prague et font pression en ce sens. Un recul tactique qui a, sans doute, beaucoup coûté à la Tchécoslovaquie.
Moins connue que la francophilie, l'américanophilie a été un phénomène plus récent dans l'histoire tchèque et, en filigrane, y a joué un rôle à ne pas sous-estimer. Dans le contexte du régime communiste, son influence culturelle - à commencer par la contre-culture - ne pourra devenir qu'idéologique et par là politique. A la fin des années 50, les chansonniers Jiri Suchy et Jiri Slitr font découvrir aux Pragois le twist et le rock'n'roll et, dans les années 60, ils sont relayés par les groupes de rock qui éclosent partout dans le pays. L'Amérique, qui a su se montrer aussi astucieuse que l'URSS sur le terrain idéologique, offre ses ondes de Radio Free Europe aux pays du bloc soviétique.
Le bouillonnement créatif que connaissent les Etats-Unis pendant les années 60 semble ignorer les frontières du Rideau de Fer. Milan Knizak se prend pour le John Cage tchécoslovaque et on voit Vaclav Havel défiler contre la guerre du Vietnam, dans les rues d'une ville américaine. L'influence de la contre-culture américaine sur le Printemps de Prague est encore à étudier. Une chose est sûr, l'esprit du Printemps lui doit beaucoup plus qu'au mai 68 parisien, que l'on rapproche trop souvent. Les mots d'ordre trotskistes et maoïstes des étudiants de la Sorbonne relèvent d'un autre monde !
Ce retour de l'influence américaine ou occidentale rappelle les heures de gloire de la république masarykienne. Et elle offre le démenti le plus cinglant au régime sclérosé de Novotny.
Enfin, il y aussi ces destins individuels tchèques, appelés à vivre, un temps ou longtemps, aux Etats-Unis. L'un des plus connus est sans doute le musicien Bohuslav Martinu. L'histoire de son exil remonte à l'invasion de Tchécoslovaquie par les troupes de la Wehrmacht. Compromis auprès des autorités occupantes pour son rôle d'attaché culturel auprès du gouvernement tchèque en exil, il est sur la liste noire. Le musicien parvient à partir avec sa famille pour les Etats-Unis en 1941, ou il vivra à New-York et, en été, dans le Vermont ou le Connecticut. Il ne revient pour la 1ère fois en Europe qu'en 1953, mais ne remettra plus les pieds sur sa terre natale.
On doit aussi évoquer le séjour du compositeur Antonin Dvorak en Amérique. C'est là qu'il y compose sa Symphonie du Nouveau Monde. Si tout le monde s'accorde à reconnaître la veine tchèque de l'oeuvre, la polémique reste en revanche vive sur les influences - ou non - de la musique américaine et notamment noire.
Aujourd'hui, à Prague comme partout ailleurs, l'influence américaine se résume surtout aux fast-foods, aux sitcoms et à une conception consumériste de la vie. Autres temps, autres influences...