25 ans après, les dissidents tchèques se souviennent de la naissance de Solidarité
La Pologne célèbre, ces jours-ci, le 25e anniversaire de la signature des accords de Gdansk qui, suite aux grèves des ouvriers du chantier naval, marquaient la naissance, le 31 août 1980, de Solidarnoscz, premier syndicat libre dans un pays du bloc communiste. Le jubilé de l'événement, qui, bien avant la chute du Mur de Berlin, a contribué à l'effondrement des régimes totalitaires en Europe de l'Est ne fait pourtant l'objet que d'une attention très relative en République tchèque.
Comme le rappelle le quotidien Mlada fronta Dnes dans son édition de mardi, Solidarité a vu le jour suite à la hausse du prix de l'escalope panée dans une cantine d'usine de construction d'hélicoptères et d'avions du sud-est de la Pologne. Samedi déjà, un commentateur du journal « sérieux » le plus vendu dans le pays, Karel Steigerwald, faisait remarquer que là où les casseroles dans les familles tchécoslovaques étaient pleines à l'époque, en Pologne, en revanche, elles sonnaient désespérément le creux.
Après les insurrections à Berlin-Est en 1953, à Budapest en 1956 et les événements de 1968 en Tchécoslovaquie, telle a donc été la genèse du dernier mouvement de protestation et de révolte de taille avant le démantèlement du rideau de fer près de dix ans plus tard.
De tout cela, l'ancien président Vaclav Havel en est, aujourd'hui encore, bien conscient. A la différence de son successeur, Vaclav Klaus, il ne manque donc pas à l'appel parmi la vingtaine de chefs d'Etat et de gouvernement présents pour les cérémonies organisées en grandes pompes sur les bords de la mer Baltique. Pour l'un des anciens leaders de la dissidence tchèque alors emprisonné, qui possédait de nombreux amis parmi les opposants au régime en Pologne, il était important que « Solidarité n'avait aucun ancrage politique, mais qu'il s'agissait d'un appel anti-totalitaire ouvert et sans compromis réclamant libertés civiques, dignité humaine et ouverture du système ». Avec le recul, Vaclav Havel considère également comme primordial qu'un syndicat bénéficiant d'un tel soutien de masse de la population ait été crée justement en Pologne, « un pays grand et influent situé entre des pays satellites de l'Union soviétique, un pays avec une tradition d'héroïsme national et capable de se sacrifier ».
Cette faculté de se sacrifier et de se battre, les Polonais l'ont manifestée tout au long de leur histoire, à chaque fois qu'ils ont senti que leur présent et leur avenir étaient en jeu. Mais, selon Petruska Sustrova, elle-même ancienne dissidente tchèque, les raisons du soulèvement polonais étaient plus complexes :
« Je pense qu'à l'époque, la situation en Tchécoslovaquie ou en Hongrie était très différente de celle existante en Pologne. En Tchécoslovaquie et en Hongrie régnait alors un système qu'on appelait « socialisme du goulasch ». Les gouvernements qui avaient besoin de « normaliser » la situation en Hongrie, après 1956 et en Tchécoslovaquie, après 1968 disposaient de certains moyens qu'ils pouvaient offrir à la société. A l'inverse, en Pologne régnait une grande misère, l'endettement de l'Etat augmentait constamment, ce qui compliquait encore plus la situation économique du pays. Le simple citoyen polonais n'avait donc plus rien à perdre. Et puis il ne faut pas oublier qu'il y avait quatre millions de personnes qui travaillaient dans le secteur privé en Pologne, en premier lieu des agriculteurs, mais pas seulement. A la différence de la Tchécoslovaquie, quelqu'un qui perdait son emploi dans la sphère étatique pouvait donc toujours en retrouver un autre dans le privé. Mais le plus important restait que le niveau de vie était plus élevé en Tchécoslovaquie qu'en Pologne. Du coup, les Tchécoslovaques ne protestaient pas. Ils savaient que s'ils se taisaient, ils pourraient vivre plus ou moins tranquillement, alors que la situation était intenable en Pologne. »