Il y a 400 ans, la bataille de la Montagne blanche bouleversait l'Europe centrale
Le 8 novembre 1620, soit il y a 400 ans de cela, se déroulait à côté de Prague la célèbre bataille de la Montagne blanche, qui voyait l'écrasement des armées des Etats protestants de Bohême par les troupes catholiques de Ferdinand à la tête du Saint-Empire. Pour les Tchèques, ceux du XIXe siècle notamment, cette défaite est le symbole du début de ce qu'ils considèrent comme un asservissement de la nation au pouvoir catholique des Habsbourg. Mais comme souvent, l'histoire est un peu plus compliquée que cela. Pour en parler, tout comme de l'événement militaire en lui-même, Radio Prague Int. a interrogé l'historien français Olivier Chaline, professeur à la Sorbonne et auteur d'un ouvrage de référence sur l’événement.
Olivier Chaline, bonjour. Il y a en - et dans - l’histoire des événements qui font date, littéralement. Ce sont d’ailleurs ces fameuses dates que l’on apprend à l’école, et dont parfois on se souvient toute sa vie. Une chose est sûre, la date du 8 novembre 1620 fait partie de celles qu’apprennent les enfants tchèques à l’école, cette date c’est celle de la bataille de la Montagne blanche. Evoquée en quelques lignes dans les manuels français comme marquant le début de la Guerre de Trente ans, elle occupe en revanche une place de choix dans l’historiographie tchèque. On reviendra dessus plus tard. Avant de rentrer dans le vif du sujet et de parler des interprétations de cet événement, peut-être serait-il utile de rappeler dans quel contexte elle s’inscrit…
« La date nous éclaire déjà beaucoup. Le début du mois de novembre, pour livrer une bataille dont on attend la décision, c'est très tard. L'année d'une campagne militaire normale commence en avril, plutôt en mai et au mois d'octobre, il faut trouver des quartiers d'hiver pour se mettre à l'abri. Cela veut dire qu'on n'a toujours pas réussi à livrer une bataille, à décider du sort de la campagne. On ne peut pas comprendre la Montagne blanche sans penser à cette date très tardive, à cette guerre de Bohême qui s'élargit depuis mai 1618, sans que personne ne prenne vraiment l'avantage. Même lorsque durant l'été 1620 interviennent des alliés de l'empereur, à savoir la Ligue catholique, avec en particulier le duc de Bavière, cela ne suffit pas à en décider. Les armées qu'on va appeler catholiques, s'avancent dans le royaume de Bohême. Ses adversaires se replient de plus en plus près de Prague. Et il ne se passe toujours rien ! C'est décevant pour tout le monde. »
Il ne se passe toujours rien, mais ces armées vont se rencontrer sur ce lieu devenu mythique qu'est la Montagne blanche, à Prague. A l'époque, évidemment, la ville n'allait pas aussi loin. Pourquoi ce lieu spécifique ? Pourquoi est-il choisi ? En quoi est-ce un bon choix stratégique – ou non – et en quoi est-ce une erreur pour les forces protestantes ?
« La Montagne blanche se situe à l'ouest de Prague et à l'époque on est complètement en-dehors des murs. La porte la plus proche est celle de Pohořelec, près du Château de Prague. C'est à l'ouest de Prague parce que les armées arrivent depuis la région de Plzeň. Les deux armées : celle qui retraite, l'autre qui avance. Le choix de la position est excellent. Le prince d'Anhalt qui commande les protestants a tout-à-fait raison de s'installer sur une hauteur, qui est un croisement de routes – celle qui arrive de Plzeň, l'autre qui vient de Beroun. C'est un très bon endroit : Prague est derrière lui, mais à distance, il a une très bonne vue sur toute la région. Après, la Montagne blanche, tout dépendra si on peut en défendre les approches qui sont en contrebas. Le prince d'Anhalt va finalement rester sur le sommet et ce sera peut-être son erreur. Il ne va pas chercher à défendre les petits ponts sur les ruisseaux en contrebas, comme le Litovický potok. Il y a mis des troupes, comme des Hongrois, mais qui sont surprises par les troupes impériales dans le brouillard de la nuit précédente, et qui abandonnent leurs positions. C'est donc une très bonne position, mais l'état de l'armée des Etats de Bohême, n'a pas permis de tenir efficacement, car Anhalt ne pouvait pas compter sur une obéissance de la part de troupes suffisamment fiables. »
Une bataille qui défie toutes les règles et l'expérience militaire
C’est une bataille qui se déroule en deux heures de combat seulement, c’est très court quand on y pense pour déterminer le cours de l’Histoire. S’y affrontent les armées confédérées protestantes et les armées impériales catholiques, 21 000 contre 29 000 hommes. Le résultat est une victoire écrasante pour les armées catholiques. Dans quel état d’esprit sont les troupes qui se rencontrent sur ce lieu de bataille – et en particulier l'armée protestante ?
« Les troupes des armées protestantes sont un peu moins nombreuses, mais ont l'avantage du terrain, en hauteur. Les autres doivent gravir la Montagne blanche et c'est quand même quelque chose d'un peu inquiétant. Le bon sens ne recommande pas d'attaquer un adversaire retranché sur une position supérieure. L'autre difficulté, c'est que ces troupes, qui sont constituées de mercenaires comme toutes les armées de l'époque, ne sont pas très obéissantes. Les mercenaires sont des soldats professionnels de la guerre, qui savent très bien faire leur métier – tant qu'on les paye. L'énorme problème qui est celui des Etats de Bohême, et du roi Frédéric depuis un an avant, c'est de réussir à payer leurs soldats. C'est une inquiétude permanente : il y a des mutineries et quand les soldats ne sont pas payés, ils 'vivent sur le pays', c'est-à-dire qu'ils vont chercher leur nourriture et leur argent sur les paysans dans la campagne. C'est un gros problème : on a une armée qui n'est pas fiable, à la dérive. Le prince d'Anhalt, après la bataille, a donné une description qui n'est pas exagérée à mon sens, de l'état de l'armée, en disant que cette armée rêvait, non pas de livrer bataille, mais de se payer sur Prague. Puisque le roi et les Etats ne les payaient pas, ils allaient se payer eux-mêmes en mettant à sac la ville de Prague. »
Ce qui n'est pas très bon pour les forces protestantes qui, ainsi, s'annihilent une partie de la population...
« Oui, ce qui est quand même le problème de cette armée, c'est que si nous raisonnons comme le faisaient nos prédécesseurs au XIXe siècle, c'est-à-dire en termes nationaux pour interpréter ces événements, nous passons à côté. Ils ont construit une sorte d'édifice politique, historiographique, qui est intéressant en comme objet historique, mais qui ne nous aide pas pour comprendre la réalité de 1620. Il faut bien voir qu'en novembre 1620, tout le monde en a assez : les soldats protestants, les soldats catholiques. Il faut qu'on en finisse car l'année 1620 s'est déroulée, rien n'a été décidé militairement sur le terrain. L'hiver approche et tout le monde veut en sortir d'une manière ou d'une autre. On peut en sortir en livrant une bataille et essayer de la gagner, ou en se mutinant en se payant sur le pays de l'employeur qui ne vous paye pas. »
En 2000, vous avez rédigé un ouvrage de référence consacré à cet événement. Vous avez choisi de remettre à l’honneur un domaine historique qui avait fini par être un peu négligé, l’histoire-bataille. Avec force détails, vous décrivez les différentes phases de l’affrontement, les mouvements des troupes, les tirs, vous parvenez à restituer l’atmosphère de violence extrême des combats qui font entre 4 000 et 5 000 morts côté protestant et à peine 700 du côté des forces impériales. Rappelez-nous-en le déroulement…
« Oui, comme les protestants sont en fuite, il y a immédiatement des pertes considérables. C'est une bataille qui défie toutes les règles et l'expérience militaire. Quand vous arrivez de l'ouest, vous avez un dénivelé de 60 mètres, avec des gens armés qui vous attendent au sommet. Ce n'est pas une très bonne idée d'aller attaquer des gens en haut, surtout que vous devez vous mettre en position de combat ce qui va sur un terrain plat mais pas pour gravir une pente. Il y a donc eu de très grandes discussions entre les chefs des armées catholiques, le comte de Buquoy qui dirige l'armée impériale et le duc de Bavière ainsi que son général, le comte de Tilly, pour savoir s'il fallait livrer bataille ou pas. Finalement, il y a eu ce conseil de guerre et la décision était oui.
A ce moment-là, il a fallu trouver une formation qui permette de rassurer les troupes. C'est pour cette raison que les Bavarois ont fait en sorte que ce soient les impériaux qui attaquent en premier. Ce qui en dit long sur les relations entre alliés ! Les impériaux ce sont des troupes très expérimentées, en particulier les troupes wallonnes qui sont parmi les meilleures de l'époque. Elles se forment dans d'énormes carrés de piquiers : quand vous formez une sorte de porc-épic avec plusieurs centaines ou milliers d'hommes, vous sentez moins la peur. Il faut imaginer une forêt de pics qui se met en marche qui, lentement, va gravir la pente là où elle est la moins forte. Elle finit par arriver sans être dérangée à part quelques coups de canons du côté des protestants. Elle arrive à peu près en haut de la Montagne blanche et à ce moment-là, les pics s'abaissent – ce qui est redoutable – et une partie de la première ligne de l'armée des Etats s'en va. Est-ce la peur ? Ce n'est pas à négliger – une formation de piquiers qui s'avance lentement mais inexorablement, c'est redoutable. Mais c'est aussi la mutinerie : on ne va pas risquer sa peau pour un employeur qui ne vous paye pas. »
« Dans un premier temps, donc, avantage à l'armée impériale. Mais de la deuxième ligne de l'armée des Etats surgit un des héros du jour, le jeune prince d'Anhalt, fils du général, qui a laissé une relation exceptionnelle de la façon dont, avec ses cavaliers, il attaque un des cinq carrés impériaux et le met en ruines. A ce moment-là, on peut croire du côté des Etats que la victoire est possible. C'est à ce moment que le jeune Anhalt est blessé, qu'arrive le gros des armées impériales, puis bavaroises. Le rapport de forces change. Une fois que les impériaux et les bavarois arrivent au sommet de la montagne, on n'est plus dans le même état d'esprit. La peur laisse place à un sentiment de puissance, une fois arrivés en haut. Toute l'armée impériale, cavalerie et infanterie, va se retrouver en haut de la Montagne blanche face à un adversaire diminué, incertain. Certaines unités combattent très vaillamment, d'autres s'en vont complètement comme les cavaliers hongrois de l'armée des Etats. Cela va se terminer suite au massacre des unités encore là, ou qui essayent de se rendre mais que l'on n'écoute pas, avec cet épisode que retiendra la mémoire nationale tchèque au XIXe siècle : c'est un peu l'équivalent de la fin de Waterloo pour les Tchèques, avec le dernier carré que sont les fameux Moraves, le long du mur du parc du Château de l'Etoile (Hvezda, ndlr). Deux heures de bataille, c'est extrêmement court, cela a frappé aussi les contemporains. Richelieu, dans ses Mémoires, note : une bataille aussi décisive remportée en deux heures. »
Une interprétation nationale de l'événement
A l’eschatologie protestante répond un mysticisme catholique qui s’incarne dans un personnage oublié de l’historiographie tchèque. Ce personnage que vous mettez au cœur de votre ouvrage est un carme déchaux Dominique de Jésus-Marie, légat du pape auprès du chef de la Ligue catholique. Qui est-il ? Et quel est son rôle au cœur de cette bataille ?
« Ce chantier a démarré de manière un peu inattendue : j'avais des cours à préparer sur la Guerre de Trente ans et j'avais lu des choses sur la révolte de Bohême, et ce qui me frappait, c'était la manière très nationale dont l'interprétation de l'événement était énoncée, que ce soit du côté tchèque ou allemand d'ailleurs. Je me disais que c'était très curieux, qu'on nous présentait ces événements comme s'ils avaient eu lieu au XIXe siècle ! Il y avait quelque chose qui ne sonnait pas juste. De manière inattendue, un jour, à Rome, je vais revoir à Santa-Maria-della-Vittoria le fameux groupe sculpté du Bernin, la Transverbération de sainte Thérèse, et je découvre dans la sacristie quatre immenses tableaux. Je savais que la 'vittoria', c'était la Montagne blanche. Mais là, c'était le choc : ces tableaux sont immenses, inspirés de gravures, avec des couleurs, de la foule. Et je vois deux petits personnages, deux carmes – c'est là que le père Dominique a commencé à apparaître dans mes préoccupations. Je me suis rendu compte que c'était une sorte de pierre d'achoppement pour les historiens, avec un problème de sources, d'interprétation... La meilleure étude sur la Montagne blanche est écrite au XIXe siècle par un historien prussien qui nous explique que cet événement est la catastrophe protestante allemande – il n'est jamais question des Tchèques ! Quelques décennies plus tard, des historiens tchèques vont vous expliquer que c'est la catastrophe nationale tchèque. Il y aura toutes les projections sur la Montagne blanche. »
« Il est évident que pour les hommes du XIXe siècle, a fortiori du XXe siècle, l'idée qu'un religieux puisse être présent lors d'un conseil de guerre, puisse intervenir d'une manière ou d'une autre dans les décisions, puisse avoir un rôle auprès des soldats, ce ne peut être qu'une légende catholique baroque – et la cause est entendue. Sauf que la Montagne blanche a été livrée en 1620, pas en 1820 ou en 1920. A ce moment-là, j'ai essayé de repartir de deux choses : et notamment des sources. Vous avez un moment un conseil de guerre : qui est là ? Qui dit quoi ? Qui nous raconte l'événement ? Ce sont des questions toutes simples. Il suffit d'aller vers les sources et le factuel. Puis, il y avait cette préoccupation acquise auprès des Amis de Péronne, qui est d'essayer de restituer le vécu des soldats. Là, je me suis rendu compte que les sources ne permettaient pas d'évacuer d'un revers de la main ce conseil de guerre.
Il n'y a pas des quantités de gens dans ce conseil : les généraux, le duc de Bavière, quelques officiers supérieurs, tous se disputent, ne sont pas d'accord, alors qu'ils sont au pied de la montagne. Doit-on livrer bataille ? Le général impérial, le comte de Buquoy, ne veut pas : il est assez bien informé de ce qui se passe à Prague et sait qu'il suffit d'attendre quelques jours et que ça va se désagréger. Il raisonne en militaire : il a de très bonnes troupes, mais s'il les perd, il ne peut pas les remplacer. Il s'agit de ne pas se faire battre devant Prague : les résultats politiques et militaires seraient désastreux. Le Bavarois voit les choses différemment : il s'est allié avec l'empereur Ferdinand moyennant la condition secrète que s'il y a une victoire militaire, le duc de Bavière qui rêve de devenir grand-électeur recevra de l'empereur la dignité du Palatin, celle du grand-électeur protestant, le roi de Bohême. Donc il lui faut une bataille, une victoire ! »
« D'après les sources les autres témoins sont des jésuites bavarois de l'entourage de Maximilien de Bavière. Sans vouloir créer des querelles entre ordres religieux, des jésuites n'ont aucune raison de survaloriser le rôle d'un carme. Ce qu'ils nous disent est d'autant plus intéressant. On aura quelques témoignages des gens qui ont participé au conseil de guerre. Ce qui est sûr, c'est qu'à un moment donné, le père Dominique a été présent et qu'il a dit des choses. Deux scénarios sont possibles que les sources ne permettent pas de trancher : soit à un moment donné, la dispute est telle que le duc de Bavière va chercher le père Dominique qui l'accompagne depuis Munich et lui dit de parler, soit Dominique arrive et la décision est déjà plus ou moins prise, mais c'est lui qui va la formaliser, l'énoncer. Deux options sont possibles. Ce que les sources ne permettent pas de remettre en cause, c'est sa présence. Ce qui est sûr, c'est qu'il a joué un rôle, plus ou moins grand selon les sources. Voilà ce que peut dire l'historien. En tout cas, il est midi, et la bataille est décidée. »
La reconstitution de la bataille de la Montagne blanche en septembre 2020
La Montagne blanche : une défaite tchèque ?
Longtemps en pays tchèques, on a parlé de la période dite « des ténèbres », ou « temno » en tchèque, pour la période suivant la bataille de la Montagne Blanche. Le pouvoir habsbourgeois, catholique, reprenait la haute main sur la Bohême rebelle, hérétique, étouffant dans l’œuf toute velléité de dissidence. C’est en tout cas l’interprétation qui en a été faite à partir du réveil des nationalités au XIXe siècle. Les communistes eux-mêmes, plus tard, se sont identifiés aux Hussites et se les sont appropriés. Votre ouvrage essaye de faire le tri entre la version germanique et tchèque qui est très clivée. Peut-être fallait-il pour cela un historien qui ne soit ni tchèque ni allemand...
« C'est toujours délicat quand vous êtes étranger et que vous allez votre point de vue sur un sujet qui n'est pas neutre, qui est au cœur du mythe national et que ce que vous allez dire est un peu déstabilisant. Ce n'est pas toujours facile d'être audible. On peut dire d'énormes erreurs, comme apporter des choses. Je vois du côté français, sur des périodes délicates comme l'Occupation, ce que des historiens étrangers ont pu apporter – pas toujours au grand plaisir des Français, mais bon. On a une position qui est déjà inconfortable, mais de l'extérieur on voit d'autres choses. »
« J'ai d'abord été surpris en constatant évidemment tout ce que les historiens tchèques avaient pu dire depuis le début du XIXe siècle, ce que la littérature tchèque a pu dire aussi. Les Allemands ont aussi dit leur part. Mais il y avait un camp qu'on n'entendait absolument pas : ça aurait pu être une histoire universitaire officielle autrichienne. Et là, rien. L'objet 'Montagne blanche' est un révélateur de toutes les tensions politiques, intellectuelles, historiographiques du XIXe siècle. Et puis il y a ici, en pays tchèques, la constitution ici d'une identité nationale dans laquelle la Montagne blanche devient un des éléments essentiels. C'est cette deuxième vie de la Montagne blanche, avec des pèlerinages de déploration, des gens qui montent sur le site pour pleurer sur le champ de bataille, en s'identifiant à ces soldats de cette armée vaincue en qui ils voyaient une armée nationale tchèque. Ce qui est totalement anachronique. »
Il y a en réalité très peu de Tchèques dans ces troupes protestantes...
« Il y en avait bien, des bohêmes qui pouvaient être tchécophones ou germanophones... L'armée des Etats de Bohême était constituée de mercenaires comme toutes les armées de l'époque. Si vous vous trouvez sur la Montagne blanche au XVIIe siècle, vous allez trouver des choses qui étonnent les hommes du XIXe siècle, mais sont normales pour l'époque. Certains ont donc fait de la Montagne blanche un épisode tragique qui ouvre sur le 'temno', avec une nation à laquelle on aurait arraché son identité, son cœur. L'école publique reprend cela et tout le monde connaît cela – même s'il peut y avoir des mémoires tchèques différentes, comme par exemple dans le clergé catholique tchèque par exemple. Pour moi, la Montagne blanche est un événement du XVIIe siècle que j'essaye de replacer dans les contours du faisable et du pensable en 1620. »
Aujourd'hui, un site historique silencieux et discret
Parlons peut-être du lieu très concrètement pour finir. Pour vos recherches, vous êtes allé directement sur le terrain, vous avez observé le dénivellement...
« Et je me suis intéressé aux armes, j'ai même tiré au mousquet ! C'est une expérience ! »
J’y suis allée récemment. En tant que Pragois on connaît la Montagne blanche comme nom de rue, terminus d’arrêt de tramway, et le site se trouve donc à quelques mètres. On se retrouve en effet en surplomb de Prague, avec vue au loin sur le pavillon en étoile qui date de la Renaissance. Mais c’est un site relativement vide et morne, entouré de champs et des habitations du quartier. Hormis un monument aux morts relativement discret, rien ne semble indiquer que s’est déroulée là une bataille aussi fameuse…
« Il y a énormément de non-dits. Ce qui est frappant c'est que depuis le XIXe siècle, l'urbanisation a pas mal respecté le site. Cela reste très lisible. Il y a des champs de bataille où vous ne retrouvez aucun point de repère. Mais là, vous regardez les gravures, et la vue sur le Château de l'Etoile, c'est comme au XVIIe siècle. Vous reconnaissez bien le terrain. Cela m'a beaucoup frappé quand j'y suis allé. Et quand je repartais de Prague, il y avait toujours ce petit supplément inattendu offert par les compagnies aériennes, de voir le champ de bataille comme on ne le voit pas souvent ! Sur le terrain, il y a en effet une grande discrétion. Dans les années qui ont suivi, il y a eu des processions etc. Mais ça n'a jamais vraiment pris. Allait-on faire cela sur le lieu ? Chez les carmes, dans l'église Sainte-Marie-de-la-Victoire à Malá Strana. Chez les carmes il y a eu très vite la concurrence de l'Enfant Jésus de Prague qui a fait oublier la bataille. La célébration catholique de la bataille est une histoire intermittente avec beaucoup de faux départs, jusqu'au début du XVIIIe siècle quand une petite confrérie d'artistes, pragois et bavarois (ce qui n'est pas anodin) va pousser à la construction de l'église de pèlerinage baroque que l'on peut encore voir aujourd'hui. Après, ça marque la mémoire mais on n'en fait pas plus que cela. Ce qui est intéressant, c'est que du côté des Habsbourg on n'a pas forcé, ce n'est pas une affaire de propagande.
Ensuite, d'un autre côté, du temps de la Première République tchécoslovaque, il aurait pu y avoir quelque chose : il y a eu des projets de grand monument, mais qui n'ont pas débouché. Comme si le lieu avait imposé à tout le monde, à tous les partis, une salutaire discrétion. Il y a en effet ce petit monument, très touchant, mais dont on a plus l'impression qu'il est le résultat d'une initiative locale, des Sokols du quartier. Ce petit tas de pierres avec une inscription est touchant, discret, comme si l'endroit irradiait quelque chose, par-delà les années, qui imposait pas mal de silence, en tout cas beaucoup de retenue. »