La buse variable, Oiseau de l’année 2021 en République tchèque
Bien que désignée en tchèque sous le nom de « káně lesní », soit comme « buse forestière », c’est pourtant bien la buse variable (Buteo buteo) qui a été désignée « Oiseau de l’année 2021 » en République tchèque par la Société tchèque d’ornithologie (ČSO). Ce rapace très répandu dans les campagnes d’Europe centrale succède à l’hirondelle de fenêtre, autre oiseau relativement commun dans nos paysages. A la différence toutefois de celle-ci, la buse variable ne figure pas sur la liste rouge des espaces menacées de disparition. Elle se porte même plutôt bien, comme l’a expliqué à Radio Prague International François Turrian, vice-directeur de l’Association suisse pour la protection des oiseaux, membre comme la ČSO de l’ONG internationale BirdLife :
François Turrian, si la buse est un oiseau que tout le monde connaît plutôt bien, en revanche la buse variable, peut-être en raison de son nom, est plus méconnue. A quoi doit-elle donc son qualificatif de « variable » ?
« L’adjectif ‘variable’ désigne le fait que, chez cet oiseau, le plumage est assez différent d’un individu à un autre. Il ne s’agit donc pas d’une variation de couleur en fonction de la saison, comme on le rencontre chez certains oiseaux comme le lagopède qui devient tout blanc en hiver, ou même le lièvre variable. Dans le cas de la buse variable, la variation est individuelle. Certaines sont très blanches, d’autres sont pratiquement noires, avec tous les gradients de couleur entre ces deux formes. La plupart des buses sont brunes, avec une bavette, un croissant clair sur la poitrine. »
« Mais il y a des variations de couleur assez importantes qui s’expliquent parce que c’est un oiseau de proie qui a une répartition assez large : elle habite le nord de l’Europe, la Russie, mais aussi les pays méridionaux. Au fil de l’évolution, il y a plusieurs sous-espèces qui se sont créées. Ces sous-espèces présentent aussi quelques particularités de coloration. C’est donc vraiment la variabilité de cette coloration individuelle qui a donné son nom français à cet oiseau. »
Que dire plus en détail de cet oiseau de proie qui est le plus répandu dans notre environnement ? C’est même celui qui est le plus proche de l’homme.
« C’est vrai que c’est, parmi les rapaces diurnes, l’espèce la plus fréquente en Europe. On la rencontre vraiment partout à l’exception du nord de la Scandinavie, dans les zones plus froides, où elle laisse place à sa cousine, la buse pattue, qui est plus adaptée au froid. Autrement, elle est vraiment présente partout, elle n’a pas d’exigences très spécifiques. Il lui faut quelques arbres pour sa reproduction, suffisamment de nourriture, et voilà... »
« Elle se rapproche du bord des routes notamment en hiver, quand le temps est froid, le bord des routes davantage déneigé lui offre des possibilités pour chasser les petits rongeurs – ce qui n’est évidemment pas sans risques pour elle parce qu’elle se rapproche du trafic routier qui cause une forte mortalité chez cet oiseau. »
Lorsque l’on se promène, par exemple dans la plaine avec les enfants, et que l’on voit un rapace tourner dans le ciel, en train de chasser des petits rongeurs, on dit souvent qu’il s’agit d’une buse, parce que c’est l’oiseau qui nous est le plus familier. Mais s’agit-il bien d’une buse variable ? Comment la reconnaître ?
« La buse variable est un rapace de taille moyenne, d’une envergure d’à peu près 1,20 mètre, et qui pèse environ 800 grammes. Elle fait partie de ce que l’on appelle les rapaces de taille moyenne, au même titre que la buse ou la bondrée apivore. Pour reconnaître la buse en vol, il y a deux critères à examiner : elle tient généralement ses ailes légèrement surélevées lors du vol plané, donc cela forme un très léger V quand on regarde l’oiseau par l’avant ou par l’arrière. C’est une bonne manière de la distinguer d’autres rapaces qui tiennent généralement leurs ailes à plat ou légèrement tombantes. Le deuxième critère, c’est d’observer la queue qui, au moment du vol plané, est vraiment très arrondie. Cela la distingue des milans qui ont la queue vraiment fourchue. »
« Voilà donc les deux critères principaux qu’il faut examiner lorsque l’on observe des rapaces en vol. Dans beaucoup de cas, il s’agit de la buse variable, parce que c’est l’oiseau le plus fréquent, mais elle peut coexister avec d’autres espèces d’oiseaux de proie. »
Les populations de buses variables sont relativement importantes, c’est le rapace le plus répandu en République tchèque, où on estime le nombre d’oiseaux entre 11 000 et 14 000. Il était autrefois menacé, l’augmentation de sa population signifie-t-elle donc que c’est un oiseau qui sait s’adapter à la transformation des paysages et de son environnement ?
« Effectivement, c’est une espèce assez adaptable qui peut tirer son épingle du jeu du fait qu’elle se nourrit principalement de petits rongeurs qui restent assez abondants dans les milieux cultivés. Il y a aussi le fait que c’est un oiseau au sujet duquel les paysans ont appris au fil des années qu’il est un auxiliaire de l’agriculture, en débarrassant les cultures des petits rongeurs. Ils ne sont plus persécutés comme autrefois. »
« La buse a besoin de bosquets pour sa nidification, mais elle n’a pas besoin d’arbre en particulier. Il lui suffit de grands arbres sur lesquels elle va pouvoir construire son nid, voire occuper des nids de corneilles ou de corbeaux. Par ailleurs, elle peut chasser un peu partout dans l’environnement. Evidemment, les densités sont plus élevées lorsqu’il y a suffisamment de haies ou d’arbres isolés dans les paysages cultivés. Ces sites lui servent de perchoir et lui permettent de chasser dans de meilleures conditions. La buse ne chasse pas depuis le ciel, elle a besoin de perchoirs pour surveiller son territoire et fondre sur ses proies. Elle est quand même liée à un certain nombre de structures boisées, tant pour sa nidification que pour la chasse. »
Vous avez évoqué sa perception par les cultivateurs. C’était aussi la bête noire des chasseurs. Ce n’est plus le cas aujourd’hui ?
« Les rapaces sont, dans le milieu de la chasse, assez mal connotés. Il y a encore un certain nombre de préjugés qui circulent et la bêtise humaine fait que certains rapaces ou d’autres oiseaux protégés sont encore trop souvent victimes de coups de feu. Je pense que ce n’est plus vraiment de l’ignorance, mais plutôt de la bêtise qui fait que certains les prennent encore pour cible. On a effectivement d’autres rapaces qui se nourrissent d’oiseaux qui sont encore plus victimes de ces tirs illégaux, parce qu’ils sont considérés comme des concurrents. Par exemple, certains rapaces qui se nourrissent de perdrix ou de faisans sont encore considérés par un certain nombre de chasseurs comme des concurrents. »
Tout le monde n’a pas la chance de pouvoir observer des rapaces plus majestueux comme l’aigle. Pourquoi est-il donc intéressant d’observer un oiseau de proie comme la buse variable ? Que nous dit-elle et que nous apprend-elle ?
« Déjà, elle nous apprend la patience. Quand on observe une buse sur son perchoir, elle peut y passer des heures à attendre le passage d’un petit rongeur qui lui servira peut-être de pitance. Je dis ‘peut-être’ parce que c’est un rapace dont les tentatives ne réussissent pas à tous les coups. Les rapaces, par cette grande patience, peuvent nous inculquer cette vertu. »
« D’autre part, je pense que quand on voit un rapace voler, s’élever dans les airs, car la buse parfois monte très haut grâce aux courants thermiques, ce sont des maîtres du vol plané. Je pense à ce moment-là que c’est simplement l’émerveillement qui peut nous saisir. On a tous envie de pouvoir imiter un rapace, voler comme cela, sans utiliser la moindre énergie pour s’élever. Ils peuvent nous enseigner la beauté de leur vol, car certains oiseaux ont un caractère majestueux. »
Il fait actuellement très froid en Europe, et la buse variable est un oiseau qui ne migre pas, ou peu. Est-elle menacée, et, si oui, comment peut-on l’aider ?
« Je dois un peu vous contredire, une partie des populations de buses sont migratrices. On peut assister à des migrations assez spectaculaires dans certains endroits de passage en Europe. Traditionnellement c’est le mois d’octobre qui les voit partir les buses du nord, qui gagnent à ce moment-là des latitudes plus clémentes. Donc, on a quand même parfois des journées avec des milliers de buses que l’on peut observer migrer souvent en grands groupes qui peuvent atteindre plusieurs centaines d’oiseaux. »
« Cela dit, on a pas mal de ces oiseaux qui vont passer l’hiver sous nos latitudes. Ce sont souvent des buses qui viennent du nord de l’Europe. En République tchèque, les buses souffrent du froid, elles ont besoin de plus de nourriture l’hiver pour pouvoir compenser la perte d’énergie. Leur survie est plus délicate, et leur mortalité due au trafic routier est plus importante puisque les buses sont affaiblies et n’ont souvent plus les réflexes qui leur permettent en été d’éviter les véhicules. On ne peut pas faire grand-chose directement soi-même, on déconseille d’ailleurs de nourrir ces oiseaux. Par contre, il y a vraiment l’engagement des sociétés de protection de la nature comme BirdLife qui s’engagent aussi pour les habitats des oiseaux et offrent de meilleures conditions de vie à toute une série d’espèces, dont la buse variable. »
On approche du mois de mars, période de l’année durant laquelle la buse variable réalise une parade nuptiale très impressionnante...
« C’est effectivement un spectacle magnifique et spectaculaire, et j’encourage les gens à aller se promener en lisière de la forêt, des petits bois, où on repère assez facilement les buses. Il faut choisir une journée sans vent, bien ensoleillée, à partir de fin février, début mars. On voit alors les deux oiseaux qui cerclent dans le ciel avec des cris miaulés très aigues que l’on repère de loin. Ces cris de contact renforcent la cohésion du couple. Ils permettent aussi au mâle de séduire la femelle. Pour cela, il va aussi festonner, c’est-à-dire qu’il effectue des piqués successifs avant de remonter en chandelle. »
La buse variable est donc un bon choix pour un Oiseau de l’année ?
« Tout à fait. Chaque partenaire BirdLife choisit des oiseaux différents en fonction de critères différents. En Suisse, par exemple, nous avons choisi pour cette année la chevêche d’Athéna, qui est devenu un plus fréquent grâce à nos efforts de conservation, mais qui reste évidemment beaucoup plus rare que la buse variable. »
« Mais vouloir mettre en lumière des oiseaus aussi fréquents, est tout aussi compréhensible, car ce sont précisément ces oiseaux-là que le grand public a plus de chances d’observer. C’est très probablement ce critère qui a prévalu en République tchèque cette année. C’est aussi un bon choix, car on peut mieux protéger ce que l’on connaît et ce que l’on a la chance de pouvoir observer couramment. »