Gilles Kepel : « Les islamistes m’appellent ‘l‘orientaliste tchèque‘ pour me dégrader mais cela m'honore ! »
Gilles Kepel, politologue français spécialiste du monde arabo-musulman, achève en ce moment l’écriture de son prochain livre, consacré à ses origines tchèques et aux parcours de son grand-père Rudolf Kepl et de son père Milan.
Extraits de cet entretien, à écouter dans son intégralité en appuyant plus haut sur la touche Lecture :
« J’ai presque fini et espère publier ce livre au mois de mai. Comme je suis un providentialiste athée, le hasard fait bien les choses, car ce sera juste avant la passation de la présidence européenne entre la France et la Tchéquie, qui se fera le 30 juin, date de ma naissance et anniversaire de Darney en France, quand la Tchécoslovaquie a été créée en 1918. »
C’est un travail plus compliqué pour vous que d’écrire sur votre spécialité universitaire ?
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« C’est un travail très différent, c’est ce qu’on appelle une auto-fiction et dans mon esprit c’est de la littérature, ce qui n’est pas le cas de mes précédents livres. J’ai un handicap fondamental qui est de ne pas connaître le tchèque. Je me suis demandé si je n’avais pas appris l’arabe pour compenser l’absence du tchèque, comme mon père ne me l’a jamais transmis… »
« Son père, mon grand-père Rudolf, a travaillé en tant que correspondant de l’agence de presse ČTK à Genève à la Société des nations. Il avait quitté la Bohême du Sud en 1895 pour Prague, où il est devenu professeur dans un lycée de Vinohrady avec notamment Edvard Beneš comme élève, puis est parti à Paris en 1908. »
« Rudolf Kepel a été correspondant avant-guerre de Narodni Listy, dont il faisait la rubrique parisienne, a été traducteur entre autres d’Apollinaire et a surtout été un homme de la Belle époque. Il a organisé le mouvement des Indépendants ici, c’est à lui qu’on doit le Derain qui est encore aujourd’hui à Prague au Palais des expositions. Il était très lié à Otakar Kubin (devenu Othon Coubine) et je pense que le nu assis représente ma grand-mère. »
« Il a également été rédacteur en chef de la Nation tchèque, fondé par Masaryk et Ernest Denis, avant d’en être écarté par Beneš pour une affaire de mœurs… Finalement Benes le recase à Genève mais après la mort de Masaryk, il reste très proche de Štefan Osuský, qui va lui permettre de partir à Londres pendant la guerre parce qu’il est recherché par les nazis. »
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué au cours de ces sept années de découverte sur vos ancêtres tchèques :
« J’ai été aidé pour chercher dans les archives et on a découvert des choses extraordinaires sur le personnage de mon grand-père, né à Nadějkov en 1876 et mort à Paris en 1958. Il a été pris dans tous les tourments du XXe siècle. Il était aussi très proche de Viktor Dyk, dont mon père était le filleul. »
« C’est au moment de la maladie d’Alzheimer que j’ai commencé à m’intéresser à ces histoires, car la mémoire ancienne était encore présente et c’était la seule chose dont on pouvait encore parler… J’ai commencé à faire des petites recherches, redécouvert le village très joli de Nadějkov, et c’était une manière finalement d’être avec lui et de l’accompagner. C’était exhumer quelque chose de complètement enfoui. »
Est-ce devenu une fierté pour vous d'être d'origine tchèque ?
« Et un snobisme, puisque c'est très chic ! D'ailleurs j'ai vu que maintenant certains islamistes, après m'avoir appelé 'le Juif Kepel', m'appellent 'l'orientaliste tchèque', une manière pour eux de me dégrader mais cela me fait honneur ! »