Décès de Petr Uhl, combattant acharné pour les droits humains
Petr Uhl est mort ce mercredi à l’âge de 80 ans. Sa vie d’engagement, aux côtés de sa femme Anna Šabatová, a été marquée par de nombreuses années d’emprisonnement sous le régime communiste et par des prises de position non consensuelles après la révolution de Velours. Retour sur le parcours de Petr Uhl avec des extraits d'entretiens enregistrés dans nos archives.
Neuf ans de prison en tout
Né en 1941 dans ce qui a été appelé le Protectorat de Bohême-Moravie, Petr Uhl sort diplômé de l’Université technique de Prague en 1963 et enseigne lors du Printemps de Prague. Il est classé parmi les militants marxistes anti-staliniens quand les chars envahissent la Tchécoslovaquie.
« A partir de mai et surtout juin 1968 au moment où la menace soviétique est devenue réelle, il n’y avait presque personne dans la société tchécoslovaque qui aurait pu oser dire : ‘ je suis contre le socialisme à visage humain.’ Tout le monde soutenait Dubcek, Svoboda, Cernik, Kriegel et les autres. Bien sûr, il y avait toujours 5 ou 10 % de staliniens, mais cette minorité se taisait et n’avait pas le courage de s’exprimer. Ils ont trouvé le courage après l’intervention… C’était même difficile pour eux, après l’intervention, d’influencer la population dans ce sens-là. Je pense que le socialisme à visage humain était un mot d’ordre qui était valable parce que ce n’était pas un mensonge.
« Nous [les marxistes], on pensait que le socialisme était quelque chose d’autre. Néanmoins nous avons soutenu ce mouvement, tout en soulignant l’importance de l’autogestion territoriale et de production dans l’entreprise, par le biais des conseils d’ouvriers. Enfin, nous avons surtout voulu souligner l’importance du tiers-monde qui était négligé ; c’est-à-dire les rapports du monde riche, y compris le nôtre, et les pays sous-développés. C’était peut-être le plus grand problème de notre mouvement avec le courant dominant. Mais ce n’était pas un antagonisme ou une contradiction. Alors, je pense que le mot d’ordre ‘socialisme à visage humain’ était correct, réel et bien-fondé. »
Petr Uhl initie la création fin 1968 du mouvement de la jeunesse révolutionnaire (Hnutí revoluční mládeže). L’année suivante, il est arrêté par le régime qui a pour objectif fixé par Moscou de « normaliser » le pays et emprisonné près de quatre ans - une première fois.
Petr Uhl :
« Le retour en 1973 a été particulièrement difficile pour moi, car c’était l’époque de la ‘normalisation’. C’était une situation désespérée : la société s’était embourgeoisée, nous vivions dans l’isolement, dans une privatisation des intérêts. Mais peu à peu s’est créée, à Prague et ailleurs, une ambiance militante, combative, une ambiance dans laquelle nous avons fondé, en 1976, la Charte 77. »
« Lorsque j’ai été emprisonné pour la seconde fois, j’ai quitté la prison en 1984 et la situation a été très différente : le mouvement de la Charte 77 était plus fort, il y avait moins de répressions, mais surtout, il y avait beaucoup d’autres initiatives sur le plan culturel, politique, environnemental, religieux... Tout ce que vous voulez ! Donc, psychologiquement, ce deuxième retour de prison n’a pas été tellement difficile. Pour moi, le problème s’était posé dix ans auparavant. »
Cofondateur également du VONS, le Comité pour la défense des personnes injustement poursuivies, Petr Uhl exerce des professions ouvrières et travaille notamment comme chauffagiste, comme de nombreux intellectuels à l’époque.
LE petit-dej de Prague
Malgré déjà neuf ans passés derrière les barreaux et trois enfants nés entre temps, il continue à s’engager et fait partie des dissidents invités lors du petit-déjeuner organisé par François Mitterrand à l’ambassade de France en 1988 :
« Pour moi au moins, c’était très étonnant : François Mitterrand nous a posé une question importante : ‘Cela ne vous gêne pas si après ce petit-déjeuner, je me rends au Château de Prague et je discute avec Husák et avec les autres ?’. Nous étions surpris tout d’abord et puis nous lui avons dit : ‘Mais au contraire ! C’est une influence votre présence ici et cette discussion. Mais seulement, la discussion avec Husák est tout à fait correcte, sous la condition que vous lui rappeliez les prisonniers politiques. Et voilà la liste !’. Et je lui ai donné la liste parce que je le faisais au nom du Comité pour la défense des personnes injustement persécutées. Il a pris la liste et il était très heureux que nous acceptions son intention d’aller au château et de parler avec le président de la République et le premier secrétaire du parti communiste. »
Fake news et révolution de Velours
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Quelques mois plus tard, l’heure de la révolution de Velours a sonné et le rôle de Petr Uhl reste central, même s’il le regrettera plus tard sur notre antenne. C’est en effet lui qui annonce aux médias étrangers la mort de l’étudiant Martin Šmíd, inventée par une certaine Drahomíra Dražská.
« Au moment où j’ai été arrêté, le 19 novembre 1989, pour avoir diffusé cette fausse information, j’ai été mis en prison et le lendemain ma femme a demandé à Mme Dražská de lui montrer la maison et de la faire entrer là où le prétendu Martin vivait. Au bout de vingt minutes de discussion et de polémique, Mme Dražská a avoué qu’elle avait menti. »
Drahomíra Dražská dit aujourd’hui ne pas regretter parce qu’elle pense que c’est ce mensonge qui a provoqué la suite des événements. Qu’en pensez-vous ?
« Même si la révolution aurait pu éclater quelques jours ou quelques semaines plus tard ou même avec le risque qu’elle aurait pu avoir un autre déroulement. Je le regrette tout simplement, parce que de telles choses ne se font pas. Je ne l’ai jamais vue d’ailleurs Mme Dražská, c’était toujours indirectement que j’ai reçu son témoignage, par des cassettes ou des personnes qui lui avaient parlé. »
Lety et autres combats
Après la chute du régime communiste, Petr Uhl devient député puis prend la tête de l’agence de presse CTK, avant de devenir représentant du gouvernement pour les droits de l’Homme. C’est notamment en cette qualité mais pas seulement que cet homme de conviction a toujours défendu des thèses pas toujours très populaires en Tchéquie et pourfendu le nationalisme particulier des Tchèques selon lui. Ce fut notamment le cas dans le scandale de la porcherie de Lety, laissée pendant des décennies en fonctionnement sur l’emplacement d’un ancien camp de concentration pour Roms :
« Je pense que la situation - qui est lamentable, je l'avoue - ressort de la situation globale qui est aussi lamentable. Il y a dans ce pays une certaine absence de réflexion historique. Les Tchèques vivent toujours un peu dans les schémas dressés au cours de leur combat économique et politique dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le schéma est un schéma nationaliste. Le nationalisme tchèque, parce qu'il concerne une ethnie relativement petite, n'était pas dangereux, ne provoquait pas de guerre, mais il pèse aujourd'hui sur la société tchèque comme un élément très négatif dans le cadre de l'UE.
« Je trouve que le nationalisme est lié à un certain mépris des Roms, qui résulte de la situation sociale de la population rom après 1989, appauvrie et sans travail.
Il est vrai que les autorités portent une responsabilité pour cet antitziganisme - un terme de l'ONU peu courant en français ou en tchèque. Si vous prenez l'antisémitisme, qui était dans les pays tchèques assez grand même après la guerre, il est aujourd'hui très très faible par rapport à la Pologne, à l'Ukraine, à la Russie mais aussi à la Slovaquie. La société tchèque a été capable de travailler elle-même là-dessus. Mais par rapport aux Roms, non. »
« La situation autour du camp de concentration de Lety est lié à la vision des Roms par la société majoritaire tchèque, à l'ignorance de leur histoire, de leurs traditions, même de leur situation sociale actuelle - sociale, culturelle et autres. »
Pour ses multiples engagements - notamment en faveur du rapprochement avec les Allemands des Sudètes et leurs descendants -, Petr Uhl a été décoré à plusieurs reprises, dans son pays mais aussi à l’étranger, en Allemagne et en Pologne notamment. En 2006, il devient Chevalier de la légion d’honneur française :
« C'est le sommet de ma vie et de ma carrière. C'est une reconnaissance non seulement de mes actes, de mon histoire, de mes contacts avec la France, mais surtout de la Charte 77. Nous sommes maintenant dans le palais Buquoy, siège de l'ambassade de France à Prague, où le président François Mitterrand a offert un petit déjeuner, en octobre 1988, à une dizaine de dissidents et militants de la Charte 77. Je pense donc que c'est la reconnaissance de notre lutte avant la Révolution de velours mais aussi de toutes les tendances qui se sont réalisées ou même pas réalisées après la Révolution de velours sur le plan des contacts et de la coopération franco-tchécoslovaque et franco-tchèque. »
Comme le montrent ces extraits de nos archives, le regretté Petr Uhl répondait volontiers aux questions de Radio Prague International en français. Son engagement, sa franchise, son humilité et sa gentillesse ont fait de chaque rencontre avec lui un moment particulier.