En Tchéquie aussi, les oiseaux en proie au réchauffement climatique
La pandémie du coronavirus a amené une série d’études sur la corrélation entre apparition de nouvelles maladies dangereuses pour l’homme et état général de notre monde, certains spécialistes faisant le lien entre l’émergence d’agents pathogènes plus nocifs et plus aisément transmissibles à l’homme et le déclin de la biodiversité. Si l’état de la biodiversité reste difficile à mesurer, les oiseaux en pourraient néanmoins être de très bons indicateurs, contribuant « de manière significative à notre compréhension des processus naturels » pour reprendre les termes de la Société ornithologique tchèque.
La Ptačí hodinka (ou l’heure des oiseaux, en tchèque), campagne de recensement national des oiseaux aux mangeoires pendant la période hivernale, s’est déroulée du 7 au 9 janvier. Les données des participants, qui peuvent être communiquées jusqu’au 14 janvier, permettront à la Société ornithologique tchèque (ČSO), d’obtenir des informations sur les populations d’oiseaux mais aussi, d’une manière plus indirecte, sur l’état général de la biodiversité en République tchèque. François Turrian, directeur romand de BirdLife Suisse, nous explique dans quelle mesure les oiseaux sont d’excellents baromètres écologiques :
« Les oiseaux ont des niches écologiques bien particulières. Ils ont besoin à la fois d’une nourriture spécifique et d’un habitat particulier pour nicher, pour migrer, pour se reproduire et aussi pour passer l’hiver. On sait aujourd’hui que la diversité des oiseaux dans un habitat donné reflète vraiment l’état de l’environnement. Ils sont aussi sensibles aux pesticides, aux produits chimiques qu’on disperse dans l’environnement. Pour toutes ces raisons, ce sont d’excellents indicateurs. On peut les appeler baromètres de l’environnement. »
En novembre dernier, une étude avait révélé qu’environ 600 millions d’oiseaux avaient disparu en Europe depuis 1980. Autrement dit, en quarante ans, c’est un sixième de la population totale des oiseaux qui a disparu. Parmi les espèces qui ont souffert de ce déclin fulgurant, on retrouve le « vrabec domácí », moineau domestique (avec une perte de 247 millions d’oiseaux), le « konipas luční », la bergeronette printanière (97 millions) ; le « špaček obecný », l’étourneau sansonnet (75 millions) et le « skřivan polní », l’alouette des champs (68 millions). Les espèces les plus touchées sont donc parmi les plus communes en Tchéquie et leur disparition ne se fait pas que voir. Elle se fait aussi entendre, car, dès lors qu’il y a moins d’oiseaux, les chants sont moins diversifiés et moins intenses.
Selon la Société ornithologique tchèque, ce déclin très alarmant est néanmoins à nuancer, puisque certaines régions de République tchèque connaissent une évolution inverse et voient leurs populations d’oiseaux augmenter. C’est le cas de la population d’étourneaux sansonnets qui est depuis 2019 en légère augmentation en Tchéquie comme dans les autres pays d’Europe centrale où il est autochtone. Ce point positif ne doit néanmoins pas amoindrir le bilan posé par la Royal Society for Protection of Birds, car ces dernières années, certaines espèces ont diminué en Tchéquie de plus de 60%.
Les causes majeures de cet effondrement des populations d’oiseaux en Europe sont d’une part, la très rapide multiplication d’agents pathogènes, d’autre part, la pollution et enfin, le dérèglement climatique.
La profusion des maladies, comme par exemple celles dues au virus Usutu ou à la bactérie du trichomonas gallinae, pourrait, selon François Turrian, être entre autres liée au réchauffement climatique.
« On sait qu’un certain nombre de maladies, de zoonoses, c’est-à-dire de maladies animales, sont probablement favorisées par un déséquilibre. Cela peut être la question du réchauffement climatique ou du dérèglement climatique, cela peut aussi être celle de la crise de la biodiversité qui peut favoriser certaines maladies. Les déséquilibres sur la planète peuvent favoriser certains agents pathogènes. Il faut se rappeler ici que le coronavirus qui nous touche tant à travers la planète est certainement lié à notre façon de consommer des animaux sauvages ou d’aller puiser ou déforester dans certaines régions - en l’occurrence le virus est apparu en Chine. On sait maintenant que notre empreinte écologique favorise la résurgence de certains virus et de certaines bactéries qui peuvent évidemment se révéler tout à fait problématiques pour notre survie et pour la survie des espèces animales. »
Les oiseaux sont également affectés par le dérèglement climatique. En effet, l’un des facteurs les plus déterminants pour les oiseaux migrateurs est d’ordre météorologique, puisque les vents, les intempéries voire l’absence d’ascendances thermiques peuvent les amener à repousser leurs migrations. Les oiseaux sont également sensibles aux conditions climatiques puisqu’un changement de température, même léger, doit s’accompagner, chez l’oiseau, d’un changement de température corporelle afin qu’il puisse entretenir son organisme. Si les changements météorologiques viennent perturber les comportements des oiseaux, les changements climatiques, eux, les contraignent à puiser dans leurs ressources énergétiques pour assurer leur survie.
Le dérèglement climatique a néanmoins d’autres influences à plus long terme sur la migration, ce qui perturbe les périodes de reproduction des oiseaux.
Cela s’observe assez bien en République tchèque puisque certains oiseaux des tropiques utilisent la Tchéquie comme une zone d’escale, pour passer l’hiver, avant de continuer leur route vers le Nord. C’est précisément afin de documenter ce phénomène que la Ptačí hodinka a été lancée : ce recensement hivernal permet d’obtenir des informations non seulement sur les oiseaux nicheurs indigènes à la Tchéquie, mais aussi sur les espèces migratrices qui passent l’hiver en Europe centrale et sur les évolutions de ces populations.
Depuis plusieurs années, la migration est plus difficile pour les oiseaux et aussi moins bénéfique. Les changements climatiques ont en effet bouleversé les habitudes de ces espèces migratoires, puisque les raisons qui poussaient ces espèces à migrer tendent à disparaître. C’est ce que le scientifique tchèque et co-auteur de l’étude intitulée « La Migration des animaux vers les Latitudes nordiques : Changements environnementaux et Menaces croissantes », Vojtěch Kubelka nous explique :
« Les perturbations de l'approvisionnement en nourriture peuvent expliquer le décalage tropical qui fait que l'animal migrateur arrive plus tard ou n'est pas bien synchronisé avec le pic d'abondance au Nord. En raison du réchauffement climatique, la phénologie des feuilles ou l'émergence des insectes peuvent être plus rapides dans l'Arctique et les oiseaux qui migrent des régions tropicales arrivent en retard pour ces changements.
Leurs poussins peuvent avoir un taux de survie plus faible : ils peuvent mourir de faim ou ne pas être assez nourris pour retourner dans le Sud. C'est ce que l’on appelle la perturbation de l'approvisionnement alimentaire.
De même, suite au réchauffement des températures, de nombreux parasites et agents pathogènes pénètrent dans les régions tempérées du Nord et dans l'Arctique. Nous avons également constaté une augmentation de la pression de la prédation dans ces régions. »
Suite à ces changements environnementaux, les oiseaux doivent s’adapter pour survivre. Pour ce faire, ils modifient leurs habitudes et leurs cycles. Certains oiseaux migrateurs réussissent à accélérer leur voyage vers le Nord et ainsi à bénéficier des deux pics de nourriture traditionnels. C’est ce que Vojtěch Kubelka nous explique :
« Il est évident que certaines espèces peuvent accélérer leur arrivée dans l'Arctique et se synchroniser avec le changement climatique, mais il s'agit généralement d'espèces qui hivernent à proximité. Autrement dit, ce sont des espèces qui peuvent prévoir les changements et arriver à temps.
Malheureusement, cela ne s'applique pas aux espèces de la région équatoriale, car elles ne savent pas qu’il fait déjà chaud en Arctique. Pendant des millions d'années, elles ont voyagé selon un calendrier qui fonctionnait très bien, mais maintenant, ce n'est plus le cas. »
Un autre changement de comportement observé est que certaines espèces traditionnellement migratrices tendent peu à peu à se sédentariser. C’est le cas du « Budníček menší », le pouillot véloce, qui passe traditionnellement ses hivers dans la région méditerranéenne ou sur le continent africain, mais qui a de plus en plus tendance à passer l’hiver en Europe centrale, Tchéquie comprise, où ils se concentrent, pendant l’hiver, essentiellement autour des cours d’eau dans des lieux de végétation luxuriantes avec canopées d’arbres.
Un autre moyen d’adaptation envisageable pour les oiseaux passerait par des changements d’ordre génétique. Une étude a par exemple révélé que les oiseaux seraient de plus en plus petits et que leurs ailes seraient de plus en plus grandes, un changement probablement lié au dérèglement climatique car cela leur permettrait de voler sur de longues distances en utilisant moins d’énergie. A nouveau, cela n’est pas une solution en soi, car de tels changements génétiques ne peuvent avoir lieu que si la biodiversité change lentement afin de laisser le temps à l’espèce de s’adapter et à la sélection darwinienne d’opérer.
Si les changements environnementaux sont trop rapides, il est probable que l’espèce soit peu à peu remplacée par une autre. C’est ce qui pourrait bien se passer avec les moineaux domestiques (« vrabec domácí »), qui sont en Tchéquie peu à peu remplacés par les moineaux friquets (« vrabec polní »). A terme, certaines espèces pourraient donc être vouées à disparaître à cause du dérèglement climatique et être remplacées par d’autres.
Si les oiseaux sont affectés par les changements de notre écosystème, la réciproque est également vraie, et le déclin des espèces d’oiseaux affecte aussi notre écosystème, affirme Vojtěch Kubelka :
« Nous ne perdons pas seulement les animaux migrateurs, nous perdons aussi des interactions qui sont vraiment importantes pour le fonctionnement de l'ensemble des écosystèmes.
Nous savons que dans l'Arctique, l'approvisionnement en nourriture a été modifié à la fois pour les prédateurs migrateurs et pour les prédateurs locaux, comme les lemmings et les campagnols, de petits rongeurs qui constituent la base du réseau alimentaire de l'Arctique et qui ont disparu dans de nombreux endroits.
Cela se traduit par des taux de prédation plus élevés pour les oiseaux migrateurs. Cela affecte les prédateurs qui n'ont pas assez de nourriture et inévitablement ils périssent aussi, donc cela se répercute en cascade sur tout l'écosystème.
Il est évident que nous, les humains, affectons toutes les interactions de l'écosystème, ce qui peut avoir des conséquences inconnues assez graves pour l'ensemble de l'écosystème. »
Les oiseaux et leur diversité sont effectivement essentiels à notre écosystème, comme nous le rappelle François Turrian :
« Les oiseaux sont des très bons baromètres de notre environnement. Ils ont un rôle absolument fondamental à jouer d’une part pour limiter les populations d’insectes et de ravageurs. Ils viennent en aide aux cultivateurs, aux agriculteurs, aux forestiers. Ils disséminent aussi les graines et les fruits dans les forêts. Sans les oiseaux, la forêt aurait beaucoup de peine à se reconstituer. Ce sont aussi des animaux qui sont extrêmement beaux et magnifiques à contempler, donc rien que pour cette raison ça vaut la peine de les préserver. Que serait un monde sans les chants des oiseaux et sans les couleurs des oiseaux ? Ce ne serait sûrement pas un monde très agréable.
Ils ont des rôles écologiques mais ils ont aussi le rôle de nous émerveiller et de nous faire prendre conscience de manière évidente de l’intérêt que peut présenter la nature pour l’homme, en nous rappelant que nous faisons partie de la nature et que, par conséquent, le destin des oiseaux et celui de notre propre espèce est certainement lié. »
Tant de raisons d’œuvrer pour la protection de l’environnement, en participant, par exemple, aux campagnes régulières organisées par la Société ornithologique tchèque, et en améliorant la biodiversité dans les espaces verts à notre disposition.