Rufina Bazlova : les droits de l’homme en Biélorussie comme fil rouge
Alors que tous les regards sont tournés vers l’est de l’Europe, une nouvelle exposition en contrebas du parc de Letná attire l’attention sur la situation non pas en Ukraine, mais en Biélorussie. A travers des broderies traditionnelles aux motifs contemporains engagés, Rufina Bazlova veut graver dans la toile une étape de l’histoire de son pays d’origine.
Biélorusse vivant à Prague, Rufina Bazlova avait déjà fait parler d’elle en 2020, lorsque ses images brodées représentant les protestations anti-Loukachenko avaient largement circulé sur Instagram. Jusqu’au 14 avril 2022, cette artiste – qui s’intéresse également à l’illustration, aux marionnettes et à la scénographie – s’expose maintenant en grand format et en plein air à l’insolite galerie pragoise Artwall, avec une exposition intitulée « Běloruský foklor » (« Folklore biélorusse »). Rufina Bazlova présente son travail et les œuvres sélectionnées pour l’exposition :
« La série d’images exposées à la galerie Artwall est une sélection de ma série originelle consacrée aux manifestations qui ont eu lieu en Biélorussie en 2020. Cette série s’appelait ‘Histoire des vyshivanky biélorusses’. ‘Vyshivanka’, ça veut dire costume traditionnel biélorusse brodé. C’est également un jeu de mot, car le verbe ‘vyshivat’ en biélorusse veut également dire ‘survivre’. Survivre, je crois que c’est ce que fait actuellement la nation biélorusse dans mon pays natal. »
« L’exposition à Artwall se compose de cinq panneaux. Nous les avons choisis pour qu’ils soient compréhensibles au premier coup d’œil, même par des Tchèques. Qu’ils abordent des thèmes connus ici également. Vous pouvez donc y voir représentée une scène de policiers dispersant des manifestations, ou encore la situation à la frontière polonaise-biélorusse. Mais aussi des arrestations de prisonniers politiques. »
L’importance des « vyshivanky » dans l’héritage national du pays est largement mise en évidence dans le drapeau biélorusse actuel, qui présente ce style de broderie sur son côté gauche. Quant aux couleurs, le rouge et le blanc sont les symboles de l’ancien drapeau de la République populaire biélorusse, formée en 1918 avant d’être absorbée par la Pologne et l’Union soviétique.
Avec comme lieu d’exposition les renfoncements du mur qui longe les quais Kapitán Jaroš et Edvard Beneš – et que les Pragois peuvent donc ‘visiter’ à toute heure du jour et de la nuit, à chaque fois qu’ils y passent en voiture ou en tram – la galerie Artwall se consacre principalement à des thématiques à message social ou politique fort. Avec cette exposition organisée en collaboration avec Amnesty International, c’est également le cas, comme l’explique la commissaire d’exposition d’Artwall Zuzana Štefková :
« Nous pensons qu’à la veille de la présidence tchèque de l’Union européenne, il est particulièrement important de mettre en avant ce thème, et ce alors que les yeux de certains Biélorusses sont justement tournés vers la République tchèque, qu’ils ont l’impression que l’on devrait davantage parler de la situation insoutenable en Biélorussie. C’est d’autant plus important au vu de l’actualité du moment, alors que tous les regards inquiets sont tournés vers l’Est. »
« Quel que soit le dictateur, à partir du moment où on commence à reculer, on ne fait ensuite plus que battre en retraite, ce qui signifie que le dictateur gagne de plus en plus de terrain. »
Si l’actualité se focalise aujourd’hui sur les événements à la frontière orientale de l’Ukraine, plusieurs dizaines de milliers de soldats russes seraient également toujours postés à la frontière nord de l’Ukraine, en territoire biélorusse. Une présence qui ne semble nullement déranger le président biélorusse Alexandre Loukachenko, bien au contraire : il ne cesse de répéter qu’il a lui-même invité les troupes russes à réaliser des exercices militaires à grande échelle dans son pays, s’accommodant plutôt bien des tensions actuelles entre la Russie et l’Occident. Quoi qu’il en soit, des spécialistes américains émettent la thèse que le dictateur biélorusse n’est désormais plus maître de la situation.
Par ailleurs, Rufina Bazlova rappelle qu’il y a actuellement plus de 1000 prisonniers politiques en Biélorussie. Son dernier projet en date leur est d’ailleurs consacré :
« Intitulé ‘Framed in Belarus’, mon nouveau projet artistique social est consacré aux prisonniers politiques en Biélorussie. Avec le mot ‘framed’, le titre de ce projet fait référence au monde de l’art – frame signifiant ‘cadre’ – mais également aux droits de l’homme, car ‘framed’ veut aussi dire ‘victime d’un coup monté’. »
« Je représente, sous forme de broderie biélorusse traditionnelle (‘vyshivanky’), les histoires de prisonniers politiques concrets. Pour chacune de leurs histoires, j’invente un patron brodé sur lequel figure la personne concernée, son nom et son histoire, représentés de façon schématique. Toute personne qui souhaite donner de son temps pour broder est la bienvenue ; elles sont déjà 90 personnes originaires de 10 pays à participer. Il suffit de me contacter, et j’enverrai ensuite les patrons. L’objectif final étant de récupérer toutes ces pièces de broderie et de les coudre ensemble pour former une toile grand format qui constituera une illustration d’un moment important de l’histoire biélorusse. »
https://www.artwallgallery.cz/en/exhibition/rufina-bazlova-belarusian-folklore
Formulaire d'inscription au projet « Framed in Belarus »