Décès de Meda Mládková : « Si la culture survit, la nation survivra »
Mécène et collectionneuse d’art, Meda Mládková est décédée le 3 mai 2022 à l’âge de 102 ans. Si elle a longtemps vécu à l’étranger, c’est à la culture et au soutien des artistes tchécoslovaques malaimés du régime communiste qu’elle a consacré sa vie.
Meda Mládková s’est fait connaître du grand public principalement grâce au don à la ville de Prague de sa large collection d’art moderne, mais aussi par la ténacité grâce à laquelle elle est parvenue à ouvrir un musée dans la capitale, forte de la conviction que « si la culture survit, la nation survivra ». C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le président du conseil d’administration de la Fondation Jan et Meda Mládek, Jiří Pospíšil, en annonçant son décès.
Les réactions des personnalités politiques vont dans le même sens, le ministre de la culture Martin Baxa (ODS) estimant que « la trace laissée par Meda Mládková non seulement dans la culture tchèque [était] extraordinaire ». Pour sa part, le maire de Prague Zdeněk Hřib (Pirates) a également exprimé sa tristesse, considérant que la capitale tchèque avait perdu un citoyen d’honneur important. En effet, Meda Mládková s’était vu accorder la citoyenneté d’honneur en 2019, en reconnaissance de sa contribution au rayonnement des arts plastiques tchèques et à la réputation de la métropole dans le monde. « Mais son héritage vivra dans l’œuvre qu’elle a créée, qu’il s’agisse du musée de Kampa ou des précieuses collections d’art », a conclu le maire de Prague.
Citoyenne d’honneur de la ville de Prague
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En 2019 était parue la biographie Meda Mládková – Ma vie merveilleuse (Meda Mládková – Můj úžasný život). Au micro de la Radio tchèque, son auteur, le journaliste Ondřej Kundra, avait alors résumé ce qui caractérisait et guidait la vie de la mécène et collectionneuse :
« Si vous prenez en considération l’époque où Meda Mládková est née, il y a cent ans, vous voyez qu’en ce temps-là, les femmes n’avaient aucune certitude de pouvoir s’imposer sur le plan professionnel et de laisser derrière elles une trace profonde. Meda Mládková était de celles qui ont réussi grâce à son caractère et ses facultés dont surtout la persévérance, l’intransigeance, l’obstination et la conscience du but à atteindre. Elle ne se lamentait pas, elle ne capitulait pas lors des moments difficiles et elle a réussi à rassembler une très belle collection d’œuvres d’art, a soutenu de nombreux artistes proscrits par le régime communiste et a fini par rapporter tout cela en République tchèque. »
Etudes d’économie, puis Ecole du Louvre
Née Marie Sokolová dans la famille du maître brasseur de Zákupy, une petite ville du nord de la Bohême, en 1919, Meda Mládková a étudié l’économie en Suisse, où elle a obtenu un doctorat en sciences économiques, avant d’étudier l’art à l’Ecole du Louvre. C’est d’ailleurs pendant son séjour en France qu’elle a fondé les Editions Sokolova, qui ont publié, entre autres, des essais de Ferdinand Peroutka et un livre sur Toyen avec des textes des poètes André Breton, Jindřich Heisler et Benjamin Péret.
C’est d’ailleurs ce travail qui l’a amenée à rencontrer celui qui allait devenir son mari, Jan Mládek, un jeune économiste qui contribuait aux activités de la maison d’éditions. Estimant que la contribution de cet homme haut placé était trop peu importante, la future Meda Mládková est allée le voir en personne… et l’a épousé quelques années plus tard. Elle l’a ensuite suivi dans ses déplacements professionnels, car Jan Mládek a travaillé la majeure partie de sa vie pour le Fonds monétaire international, dont il a été l’un des premiers gouverneurs. A partir de 1960, Meda Mládková a vécu aux Etats-Unis.
Kupka et les autres
C’est une rencontre avec le pionnier de l’art abstrait František Kupka, qui a vécu une grande partie de sa vie en France, qui a incité Meda Mládková à constituer une collection d’œuvres d’art. Dans les années 1950, le couple Mládek a acheté plus de 200 tableaux de Kupka. À partir du milieu des années 1960, Meda Mládková a enrichi la collection d’œuvres d’art moderne tchèque lors de plusieurs voyages en Tchécoslovaquie. Ondřej Kundra revient sur la rencontre entre le peintre František Kupka et Meda Mládková – une rencontre décisive aussi bien pour l’une que pour l’autre :
« Meda Mládková a vraiment contribué d’une façon importante à la renommée de František Kupka, un des quatre premiers peintres modernistes. Elle a déployé beaucoup d’énergie dans ce sens à l’époque où Kupka n’était pas très connu, on n’en parlait pas beaucoup outre-Atlantique. Après s’être établie aux Etats-Unis dans les années 1960, elle a attiré sur Kupka l’attention de spécialistes, de conservateurs de grands musées et de critiques d’art et elle a réussi à faire exposer ses œuvres dans des galeries prestigieuses dont la Galerie nationale de Washington. Aujourd’hui Kupka est exposé dans cette galerie à côté des toiles de Picasso et d’autres peintres célèbres. »
Les artistes tchèques aux Etats-Unis
Meda Mládková a également œuvré pour la reconnaissance et la création de la production artistique tchèque et slovaque en incitant la Fondation américaine Ford à accorder des bourses aux artistes et étudiants. Elle a aussi contribué à l’organisation de plusieurs expositions de ces artistes aux Etats-Unis.
Après la mort de son mari en 1989, suivant les vœux de celui-ci, Meda Mládková a fait don de l’ensemble de leur collection d’œuvres d’art à la ville de Prague. Revenue vivre dans son pays après la chute du régime communiste, elle a travaillé au Forum civique, le mouvement contestataire fondé par Václav Havel lors de la révolution de Velours. Meda Mládková est également à l’origine de la Fondation pour l’art en Europe centrale et orientale, et elle a créé la Fondation Jan et Meda Mládek.
Le Musée Kampa
Pour installer et exposer sa collection, Meda Mládková a choisi le bâtiment alors en très mauvais état des Sovovy mlýny, sur l’île de Kampa, dont la rénovation – considérée trop audacieuse par l’inspection des monuments historiques – a fait l’objet de longs débats. Il a finalement fallu l’intervention du ministre de la culture de l’époque, Pavel Dostál, pour que le Musée Kampa soit enfin inauguré à l’automne 2003. Sa collection comprend plus de 220 peintures et dessins de František Kupka, 16 sculptures d’Otto Gutfreund et plus de 1 000 œuvres d’artistes tchèques et slovaques des années 1965 à 1985, parmi lesquelles celles du poète, artiste et collectionneur tchèque Jiří Kolář, qui en avait fait don avant sa mort (en 2002) à la Fondation Jan et Meda Mládek.
Ondřej Kundra résume l’apport de Meda Mládková pour l’art tchèque :
« Je pense que le travail théorique et l’histoire de l’art ne sont pas des domaines que Meda Mládková a profondément marqués. Par contre, elle a énormément contribué à la promotion des artistes, à l’organisation de leurs expositions, elle a déployé de grands efforts pour les faire connaître du grand public. Cela ne concernait pas seulement František Kupka mais surtout des artistes tchèques sous-estimés comme Stanislav Kolíbal, Adriena Šimotová et beaucoup d’autres dont les œuvres n’étaient pas exposées dans les galeries. Les communistes n’en voulaient pas et Meda Mládková s’est mise à acheter leurs œuvres dont certaines étaient comparables aux meilleures productions de l’étranger. C’est ainsi qu’elle a donné une nouvelle énergie à ces artistes, elle les a incités à poursuivre leur création, elle a redonné un sens à leur vie. »
Ordre National du Mérite
Les efforts de Meda Mládková pour la culture tchèque ont été récompensés par un certain nombre de prix prestigieux, parmi lesquels la médaille du mérite tchèque qui lui a été remise en 1999 par le président Václav Havel. En 2012, elle a aussi reçu les insignes de Commandeur de l’Ordre National du Mérite, une distinction française en reconnaissance de son engagement pour la promotion de l’art contemporain et pour la liberté de l’expression artistique en général.