« Uka Ukrajinu », l’Ukraine par les arts et l’assiette
Des artistes, musiciens et chefs ukrainiens réfugiés en République tchèque ont organisé ce jeudi 5 mai à Pražská Tržnice le festival Uka Ukrajinu, « enseigner l’Ukraine ». L’occasion pour les milliers de civils accueillis de tisser d’autres liens que dans l’urgence, mais aussi de récolter des fonds humanitaires.
Dans l’enceinte de Pražská Tržnice, la place du marché de Prague, s’élève la voix claire de Birdsy. Son visage est sûrement familier pour une partie du public. Et pour cause, en 2019, elle a participé à l’émission de télévision The Voice Ukraine. De son vrai nom Vladislava Berdnikova, la jeune femme a fui la guerre depuis Odessa. Ce soir, elle a retrouvé la scène.
En deux mois, la République tchèque a accueilli près de 330 000 Ukrainiens. Et si plusieurs mesures solidaires ont été mises en place pour les héberger et récolter des biens de première nécessité, se pose désormais la question de l’intégration à moyen terme. C’est pourquoi le festival Uka Ukrajinu a donné carte blanche aux artistes et restaurateurs accueillis en Tchéquie, afin de partager la culture ukrainienne dans un moment de fête. Ivana, étudiante slovaque à Prague, est venue avec son copain Lucián.
« C’est une bonne chose que les gens découvrent une autre culture, la culture de l’Ukraine, et ça donne chaud au cœur de voir des gens rencontrer des réfugiés ukrainiens ici. Ça fait plaisir à voir et ça renforce notre envie de les soutenir dans cette situation. »
Filip a découvert cet événement un peu par hasard et fait déjà la queue pour chercher des varenyky, ces raviolis fris typiques d’Ukraine :
« J’ai vu sur Facebook qu’il y avait cet événement pour soutenir l’Ukraine, qu’il y aurait de la musique ukrainienne, de la nourriture ukrainienne, et je dois vous dire que les varenyky, c’est le meilleur plat du monde, alors je suis venu tout de suite ! »
Mais au-delà de la convivialité de la cuisine ukrainienne, Filip et son ami Luboš partagent le même sentiment :
« Je me sens solidaire. J’ai été bénévole pour l’accueil des réfugiés à la gare centrale et j’ai hébergé une famille chez moi. Et quand je vois ce genre d’événement, je me dis que c’est génial. Car malheureusement beaucoup de gens les perçoivent comme des réfugiés venus prendre leur travail, les envahir. Donc je trouve ça vraiment beau qu’ils puissent montrer leur culture, se montrer eux-mêmes aussi. »
Luboš: « Je pense que c’est nécessaire, car beaucoup d’Ukrainiens sont venus ici en République tchèque, et une bonne partie d’entre eux vont probablement rester pendant un moment, donc c’est important pour nous de découvrir leur culture. J’espère avoir l’occasion de commencer à le faire ici. »
Derrière la scène, retentissent les cris des enfants qui jouent sur les dalles. Si on tend l’oreille, on distingue des mots tantôt tchèques, tantôt ukrainiens. Alex vient du Donbass, Viktoriia de l’oblast de Zaporijjia, près de la mer d’Azov. Jeunes mariés, ils sont venus s’installer à Prague il y a 5 ans. Comme beaucoup d’Ukrainiens expatriés, ils suivent de loin avec angoisse la guerre et viennent en aide à leurs compatriotes réfugiés.
« Nous faisons des dons, nous essayons d’alerter et d’informer au maximum sur la guerre, d’aider comme on peut. Mon père est encore là-bas, c’est une situation très difficile à vivre pour moi. Mais de manière générale à Prague, en République tchèque, je dirais qu’il y a une très belle atmosphère, tout le monde essaye d’aider. Autour de nous les gens témoignent de la solidarité. »
Parmi les cabanons, il y en a un où la queue semble ne plus en finir. C’est celui d’Olga Martynovska, star très populaire de l’émission Masterchef Ukraine. Les enfants en particulier, semblent bien la connaître. Ils se pressent avec émotion pour lui parler, la prendre en photo, l’étreindre. Depuis son arrivée en République tchèque en mars dernier avec son enfant de 6 ans, la cheffe œuvre à récolter des fonds depuis un stand au marché fermier sur les quais de Prague.
« On nous pose les même questions que lorsque nous sommes arrivés il y a deux mois : comment tu te sens ? ‘Bien, oui, merci.’ Mais aujourd’hui, on n’a pas de réponse à ces questions. Parce que je ne sens rien, je ne sais pas… Ce ne sont pas des sentiments que je puisse décrire.
La première chose qui me fait plaisir, c’est que la plupart des gens qui sont venus ici, disons 99%, sont des Ukrainiens, des émigrants venus à Prague pendant la guerre ou avant. Ils viennent me voir et manger ma cuisine. Donc ça me fait plaisir, que tout mon parcours, tout ce que j’ai fait avant, donne quelque chose. Et la deuxième chose qui me fait plaisir, c’est que les Ukrainiens sont devenus vraiment solidaires les uns envers les autres. Je suis vivante, mes amis, ma famille, mon enfant sont en sécurité. Mais tu vois, je suis une maximaliste, j’aime quand les choses ne vont pas seulement un peu bien, par moitié, quand tout autour de moi est bien, sous contrôle. Moi personnellement je suis OK, mais ça ne me satisfait pas du tout, pas du tout.
Je pense que par les lois de la nature, de Dieu, de l’humanité, de l’énergie, peu importe le nom, ce n’est pas possible que des méchants comme ça gagnent. Non, c’est sûr qu’on va gagner, mais la question c’est combien on va payer pour ça, et ça devient trop cher. Tous ces gens qui sont morts, ces enfants, ces vies qui sont cassées… »
Olga Martynovska a déjà récolté 400 000 couronnes avec son projet « You are not alone ». Les fonds sont envoyés dans le plus grand hôpital pour enfants de Kyiv, Okhmatdyt. La cheffe prévoit de poursuivre son projet dans d’autres pays d’Europe, dont la France, où elle a travaillé 2 ans dans un restaurant bordelais.