« Notre priorité aujourd’hui est d’aider l’Ukraine à résister »
Le diplomate français David Cvach est le directeur de l'Union européenne au Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. D’origine tchèque par son père, il est l’un des responsables à Paris de l’actuelle présidence française de l’Union européenne, à laquelle succèdera dans quelques jours la présidence tchèque. Le correspondant de la radio tchèque à Paris Martin Balucha lui a notamment demandé si ses origines lui permettaient de mieux comprendre les positions des pays d’Europe centrale dans le contexte actuel.
Extraits de cet entretien enregistré avant le voyage d’Emmanuel Macron à Kyiv avec les dirigeants allemand, italien et roumain :
« C’est utile d’avoir une autre perspective surtout lorsqu’on est diplomate français et que l’on a tendance à penser pour les autres et particulièrement s’agissant de l’Europe qui est un grand projet français depuis l’origine. On a un peu tendance à considérer qu’être pro européen pour les autres Européens, ça veut dire être en accord avec nous. Or ce que je sais c’est qu’il y a différentes manières d’être européen ou d’être pour l’Europe et ce n’est pas forcément la manière française. Pour la plupart des pays d’Europe centrale, on est presque indissociablement pour l’Union européenne et pour une relation forte avec les Etats-Unis. Dans un contexte français, il y a une nuance entre les deux, il est tout a fait possible d’être pro européen sans être particulièrement attaché à la relation transatlantique. Ça n’a aucun sens dans la plupart des pays d’Europe centrale. L’autre chose que ça m’a appris c’est qu’il n’y a pas de petits pays en Europe, d’abord par les idées qu’ils peuvent mettre sur la table et ensuite c’est la beauté de l’Union européenne qui fait que je la vois comme un multiplicateur de puissance pour nous tous et permet également de prendre en compte toutes les contributions d’où qu’elles viennent.
La République tchèque, avant même son entrée dans l’Union européenne, a un riche héritage de contribution à la pensée européenne. Elle a eu un président qui est une référence européenne absolue, Václav Havel. On a encore dans votre pays Milan Kundera qui est aussi un penseur de l’Europe. »
Le président Macron a accueilli le 7 juin le Premier ministre tchèque Petr Fiala, ils ont notamment parlé des liens entre Monsieur Macron et Monsieur Poutine, pourquoi aujourd’hui, Emmanuel Macron entretient-il toujours un lien avec Vladimir Poutine, est-ce qu’il peut faire confiance au président russe ?
« Non, le terme de ‘lien’ donnerait un caractère presque affectif et ce n’est pas de ça dont il s’agit. Il s’agit de maintenir un contact. On n’en est pas encore à des négociations. Depuis le premier jour de l’agression russe, le président ukainien dit que le conflit devra finir dans une négociation mais nous n'en sommes pas encore là. Notre priorité aujourd’hui c’est d’aider l’Ukraine à résister, à se battre, et si nous sommes efficaces dans cette entreprise, cela ouvrira la voie à une négociation. »
Après les propos d’Emmanuel Macron qui ne « veut pas humilier la Russie », est-ce que le rôle de médiateur voulu par le président français n’est pas trop éloigné aujourd’hui ?
« Il y a énormément d’émotions autour de l’affaire ukrainienne, des bonnes et des mauvaises, et le jour venu, ce que tout le monde regardera c’est ce qui a fonctionné. Je ne sais pas si aujourd’hui le moindre effort de médiation a été couronné de succès. Il y a une consultation permanente, des Européens entre eux – c’est mon rôle ici au Quai d’Orsay, des Européens avec les Américains, on parle aux Russes mais également aux Ukrainiens. Il faut qu’on parle tous davantage au reste du monde. Il y a beaucoup de monde, en Afrique, en Asie, qui est un peu tenté de renvoyer la Russie et l’Occident dos à dos comme si les responsabilités étaient égales, et ça c’est le jeu de Poutine. On parle également beaucoup aux Turcs notamment sur la question des céréales. Mais ça n’est pas un pays, une personne, un médiateur, qui va trouver la solution magique. Il faudra la solidité des pays qui soutiennent l’Ukraine et tous les bons offices seront bienvenus au moment des négociations et je pense que nous aurons aussi notre rôle à jouer. »
Quel appui la France fournit-elle en Ukraine aujourd’hui ?
« Il y a un appui direct, bilatéral, avec des armements, notamment les canons de 55 mm, les canons César qu’on a livrés il y a peu de temps et qui font une vraie différence. Vous avez, je crois, un rôle de la France en tant que présidente de l’Union européenne, pour que l’Union européenne soit unie dans cette affaire et qu’elle ait la réponse collective la plus forte possible. On a adopté six trains de sanctions, personne n’aurait cru cela possible au début du conflit. Dans le dernier train de sanctions, on a touché au secteur du pétrole et vous le savez bien car la République tchèque est dans une situation singulière. Il y a d’autres pays dans la même situation d’enclavement et très dépendants du gaz et vous avez vu que ça a été pris en compte dans les sanctions que nous avons adoptées. Et la volonté tchèque d’avancer sur ces sanctions malgré sa situation particulière n’a jamais fait défaut.
On joue un rôle sur le soutien direct à l’Ukraine, sur la protection qu’on donne aux réfugiés ukrainiens, ils bénéficient d’une sorte de protection temporaire que l’on a activée, l’équivalent de l’asile. Et désormais on travaille sur la question capitale de l’exportation des céréales d’Ukraine. »