Mariage pour tous en Tchéquie : « Ce n’est pas une question qui peut encore attendre 30 ans »
La Slovénie est devenue vendredi le 18e Etat européen (et le premier pays post-communiste) à autoriser le Mariage pour tous. En Tchéquie, un nouveau projet de loi pourrait aboutir au même résultat, même si la précédente tentative n’a pas abouti. Radio Prague Int. en a parlé avec Adéla Horáková, avocate et membre de l’initiative Jsme Fér (Nous sommes justes) qui milite pour le Mariage pour Tous, et lui a demandé si cette fois-ci, le projet de loi avait une chance :
« Absolument, si on n’avait pas d’espoir nous ne ferions pas ce que l’on fait. Donc l’espoir est toujours là et je suis absolument certaine qu’un jour nous aurons le Mariage pour tous en Tchéquie, que cela soit dans un an ou trois ans, nous faisons tout ce que nous pouvons pour le moment et nous le faisons pas à pas. »
Le président Miloš Zeman fait partie des plus farouches critiques de cette loi qui nécessite sa signature. Le chef de l’Etat a annoncé qu’il y opposerait son veto, or son deuxième mandat s’achève l’an prochain. Pensez-vous dans ce contexte qu’il y ait une chance qu’il fasse obstruction ?
« Je pense qu’il est plus probable que cela ne soit pas le président Zeman qui signe la loi car le processus va prendre du temps et malheureusement en Tchéquie cela peut prendre trois-quatre mois comme quatre ans, on ne sait jamais. Les procédures au Parlement tchèque sont assez rigides et il est donc peu probable que cela soit le président Zeman qui soit concerné. Néanmoins, si c’est lui, je crois qu’il y mettra son véto. Mais parmi les candidats à la présidentielle, il y en a plusieurs qui soutiennent le Mariage pour tous. Les quatre candidats qui sont le plus haut dans les sondages sont en faveur de la loi donc c’est une bonne nouvelle à cet égard. »
L’autre obstacle de taille pourrait être le Sénat, où les formations opposées au Mariage pour tous ont la majorité…
« Je ne dirais pas qu’il soit certain que les formations opposées au projet de loi aient la majorité au Sénat. A part deux partis, le SPD de Tomio Okamura (parti d’extrême-droite, ndlr) et les Chrétiens Démocrates qui ont une position de parti en défaveur, tous les autres partis ont une position ouverte, sauf les Pirates qui ont une position pour. Tous les autres députés peuvent voter comme ils le souhaitent donc il est difficile de compter les votes au Sénat et même moi je ne connais pas exactement la situation car je me concentre actuellement plus sur la Chambre des Députés. »
Le mariage pour tous : le combat de l’égalité pour tous
Actuellement, les couples homosexuels peuvent bénéficier du partenariat enregistré, en vigueur en République tchèque depuis 2006. Chaque année, entre 200 et 300 couples de même sexe optent pour cette union civile. Que peut leur apporter de plus le Mariage pour tous ?
« Les différences entre le Mariage pour tous et le partenariat enregistré sont assez vastes et selon les sondages que l’on a à disposition, la majorité des gens en Tchéquie ne les connaissent pas. 30% n’en ont aucune idée et 30% pensent que seul le nom change mais ce n’est pas du tout la réalité. Les différences sont assez importantes comme le fait que les partenaires enregistrés ne peuvent pas avoir de droits parentaux conjoints. Il est donc impossible pour les deux pères ou les deux mères d’être reconnus par la loi comme des parents, seulement un des deux. Au contraire, pour les couples qui peuvent se marier c’est possible. L’absence des droits parentaux joints a une grande importance surtout pour les enfants qui sont élevés dans ces familles arc-en-ciel, donc avec deux papas ou deux mamans car les enfants, de leurs point de vue, ont et vivent avec deux parents, ils ont une famille. Donc le problème n’est pas la situation factuelle, les familles sont là, les enfants sont là, mais comme seulement un des deux parents est reconnu par la loi, cela prive des enfants de droits et de certitudes juridiques.
Donc toutes les protections qui existent pour les couples mariés, surtout lors de situations de crise comme un décès ou une séparation, ne sont pas présentes pour les enfants de couples homosexuels.
Sans le Mariage pour tous, si le couple se sépare, il n’est pas automatique pour l’enfant de rester et de continuer à voir l’autre parent. Si le couple se sépare, les enfants ne peuvent pas nécessairement recevoir de pension alimentaire et cela peut impacter la situation financière de la famille. D’un jour à l’autre, le parent reconnu qui s’occupe des enfants peut être laissé avec très peu d’argent car l’autre s’en va. Donc toutes les protections qui existent pour les couples mariés, surtout lors de situations de crise comme un décès ou une séparation, ne sont pas présentes pour les enfants de couples homosexuels.
La seconde raison importante qui guide notre initiative est simplement l’idée d’égalité. Notre société et notre culture démocratique sont basées sur l’idée d’égalité depuis la Révolution française à la fin du XVIIIème siècle. Depuis, on se dit que tous les citoyens sont égaux face à la loi. Mais, en tant que société, cela prend visiblement du temps pour décider qui sont les ‘citoyens’ et qui sont les ‘tous’ : avant, le problème concernait les femmes, mais aussi les personnes de couleur. Aujourd’hui nous sommes, selon moi, à un moment où nous devons décider que ‘tous’ veut vraiment dire ‘tous’ et donc aussi les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et trans. Une fois que nous serons égaux du point de vue de la loi, il faut le retranscrire dans le Code civil en ce qui concerne le mariage. »
Une influence conservatrice au Parlement inversement proportionnelle à l’ouverture de la société
On a parfois l’impression que jusqu’à présent la société tchèque était plus ouverte à l’adoption du Mariage pour tous que les législateurs. Comment expliquer ce paradoxe alors que députés et sénateurs sont censés représenter leurs électeurs ?
« C’est une bonne question. Tout ce que je vais dire ici est d’un point de vue de l’observation amateur car je ne suis pas sociologue mais c’est vrai que 65 % de la population soutient l’idée d’un Mariage pour tous. La partie de la société qui est fortement contre est minime, entre 15 et 17 % mais on a parfois l’impression à cause de l’image reflétée par les médias, que ce sont deux groupes de même taille tant en termes de puissance que de conviction. Mais ce n’est pas la réalité.
Néanmoins, il est vrai qu’au Parlement, le soutien paraît plus faible que dans la société. Comment l’expliquer et pourquoi est-ce le cas? Franchement je ne sais pas et c’est assez étonnant que dans un pays laïc comme la Tchéquie, l’influence de l’Eglise et des gens avec des motifs religieux, même non déclarés ouvertement, est assez grande. L’organisation Hnutí pro život (Mouvement pour la vie), qui est contre l’avortement ou l’organisation Aliance pro rodinu (Aliance pour la Famille) qui est contre le Mariage pour tous reçoivent a minima un soutien idéologique de l’Eglise catholique tchèque. Par exemple, l’organisation Aliance pro rodinu compte parmi les organisations qui coopèrent avec le ministère des Affaires sociales pour la nouvelle conception de la famille. Ils sont acceptés comme une organisation légitime qui peut donner son avis sur cette question. Certaines des personnes qui travaillent dans ces organisations sont des assistants de députés au Parlement. Le vice-Président de l’Alliance pour la famille s’est vu offrir un poste de conseiller d’une députée au ministère de la Justice qui vient de de l’ODS, le parti conservateur.
La part de la société qui est fortement contre le Mariage pour tous et qui a une connexion idéologique et religieuse avec l’Eglise a beaucoup plus d’influence sur le Parlement que ce qu’on imagine. Selon moi, c’est une des raisons qui explique pourquoi le Parlement est moins ouvert que la société. L’autre raison je pense est tout simplement que les députés ne considèrent pas le Mariage pour tous comme un thème important. »
Quels sont les principaux problèmes et le type de discrimination auxquels sont confrontées les personnes LGBTQIA+ en Tchéquie ?
« Déjà le grand problème est l’omerta autour des discriminations subies. Selon une étude réalisée par l’ancienne médiatrice de la République, Anna Šabatová, seuls 10 % des cas de discrimination ou de harcèlement sont notifiés aux autorités. 90 % des choses qui arrivent aux personnes LGBTQIA+ sont tues pour diverses raisons qui sont détaillées dans le sondage. L’une d’elle étant le fait que les gens ne croient pas que cela ne va pas apporter grand-chose de le notifier. Il faut donc encourager les gens à parler de ça. La République tchèque n’est pas un paradis, il y a de nombreux cas de harcèlement, de violences, de nombreuses personnes sont harcelées dans le centre de Prague juste pour avoir tenu la main de leur partenaire.
Le taux de suicide est trois fois plus élevé chez les adolescents LGBTQIA+ que chez les autres.
Chaque jour, des enfants subissent de la maltraitance de la part des autorités ou de leur famille car ils ont choisis de faire leur coming-out et cela peut aller jusqu’au suicide. Le taux de suicide est trois fois plus élevé chez les adolescents LGBTQIA+ que chez les autres. Chaque jour, il y a des enfants dont la famille se sépare et qui se retrouve dans un vide juridique. Donc chaque jour il y a des choses qui arrivent et plus tôt on règle ça, avec le Mariage pour tous par exemple, plus on réussira prévenir des dégâts graves au niveau personnel. Je crois qu’il y a une vraie urgence, ce n’est pas une question qui peut encore attendre trente ans, il faut agir car il y a un vrai risque pour la santé des gens. »
Plus de liberté de circulation pour les poulets de Pologne que pour les couples homosexuels
Qu’en est-il des Tchèques marié(e)s avec leur partenaire dans un Etat reconnaissant le mariage homosexuel ? Cela ne pose-t-il pas un problème si ce couple vit en Tchéquie où le Mariage pour tous n’est pas légalisé ?
« Absolument, leur mariage n’est pas reconnu. Très souvent les gens pensent que parce qu’on est dans l’Union Européenne, que nos marchandises et les capitaux circulent librement, c’est aussi le cas pour les familles, alors que non. Il y a plus de liberté de circulation pour les poulets de Pologne que pour les couples homosexuels. Si un pays reconnaît votre famille, c’est, je pense, un critère primordial pour savoir où on va vivre dans l’UE. C’était le cas de l’Agence européenne du médicament, l’agence qui s’occupe d’approuver les vaccins, qui a dû bouger après le Brexit : la Slovaquie, la Bulgarie et d’autres pays d’Europe de l’Est voulaient accueillir cette agence chez eux mais les employés ont protesté et écrit une lettre à l’administration pour signaler la peur que leurs collègues LGBTQIA+ et leurs familles soient maltraités. Donc actuellement, l’agence est basée à Amsterdam.
Je suis très contente que la Commission européenne ait déclaré dans leur première stratégie sur les problèmes des personnes LGBTQIA+ qu’ils allaient travailler sur ce problème de la circulation. Ursula von der Leyen a déclaré qu’être parent dans un pays signifie être parent dans tous les pays. Il faut donc attendre maintenant pour voir si l’Union européenne va adopter une loi qui permette de mettre cela en place. Pour le moment, l’UE est très disparate, je peux aller en Allemagne, à Dresde pour faire mon shopping de Noël, j’y serais reconnue comme faisant partie d’une famille mais lorsque je reviens à Prague mon statut familial disparaît. »