Quatre nouveaux livres qui méritent votre attention
Chaque semaine les éditeurs tchèques lancent dans les librairies de nombreux nouveaux titres et le lecteur risque de s’égarer dans cette avalanche littéraire. Nous aimerions attirer votre attention sur quatre livres parus au cours des six premiers mois de l’année, car ces quatre livres et leurs auteurs se distinguent du reste de cette nouvelle production par leur qualité et leur originalité.
L’Ile des esprits
Est-ce un recueil de contes ou un roman ? Ce sont les questions qu’on se pose à la lecture du livre Ostrov duchů - L’Ile des esprits de Klára Vang Tylová paru aux éditions Paseka. L’auteur raconte dans son livre plusieurs récits en apparence indépendants mais qui sont quand même liés par des attaches discrètes. Le dénominateur commun de ses récits est évident. Cela se passe à Taïwan et on pourrait dire que c’est Taïwan qui est le véritable protagoniste de ce livre. Dans ces récits, un jeune Taïwanais cherche l’amour, une enseignante d’anglais espère trouver finalement un appartement où elle pourrait mener une vie privée, une jeune étudiante cherche en vain la force pour surmonter les obstacles de la vie. Et tout cela se passe dans une civilisation bien différente de la nôtre. Klára Vang Tylová connait Taïwan, elle y a vécu, elle a étudié à l’université de Taipei et son livre a donc la force d’un récit raconté par un témoin oculaire. Elle a subi ce qu’on appelle un choc de civilisations à Taïwan qui se répercute dans son livre. Elle réussit à évoquer le mode de vie, le mode de pensée, les religions et les superstitions qui jouent un rôle important dans la vie des habitants de Taïwan - l’île des esprits. C’est ainsi qu’elle évoque la période de l’année à Taïwan où les esprits reviennent parmi les vivants :
« C’est le septième mois du calendrier lunaire qui est considéré comme la période où s’ouvrent les portes entre les deux mondes et les esprits se retrouvent parmi nous. Au cours de ce mois, on est donc obligé d’observer toute une série de coutumes. On sait surtout ce qu’il ne faut pas faire pour ne pas provoquer le malheur, pour ne pas attirer les esprits. Il m’est arrivé par exemple de m’être mis à siffloter après le coucher du soleil et on me l’a reproché. Pendant le mois des esprits, on ne doit pas se baigner dans la mer après le crépuscule, on ne doit pas prendre des décisions importantes, se marier, déménager, faire sécher du linge à l’extérieur, etc. Ce sont des recommandations générales qui sont respectées par la majorité des gens. »
Nous sommes là depuis toujours
« Même dans la République tchèque d’aujourd’hui, il n’est pas facile de grandir quand vous êtes un enfant queer, » constate le journaliste Filip Titlbach, auteur du livre Byli jsme tu vždycky - Nous sommes là depuis toujours, paru aux Editions N. Dans son livre l’auteur, expose le problème de la différence et la difficulté d’être différent dans la société majoritaire. Il démontre entre autres que même dans une société relativement tolérante comme celle de République tchèque, les personnes queer deviennent l’objet de conflits culturels et de combats politiques. Le livre est composé de treize entretiens avec des gens qui parlent ouvertement de leur vie, de leurs problèmes, du mur d’incompréhension auquel ils se heurtent parfois. Filip Titlbach qui est aujourd’hui un journaliste reconnu et lauréat de prix journalistiques, n’échappe pas non plus à l’incompréhension et même à l’hostilité. Aujourd’hui encore, il reçoit souvent des messages haineux sur Internet auxquels il ne veut plus réagir :
« Je n’ai plus envie d’expliquer toujours la même chose, c’est assommant, c’est lassant. Et j’ai donc décidé de mobiliser toute mon empathie pour exprimer ce que je voudrais faire comprendre aux gens et, en ce qui me concerne, mettre fin une fois pour toutes à ce genre de débats. Et à tous ceux qui m’assomment souvent avec ce genre de questions et aussi à tous ceux qui désirent apprendre franchement quelque chose sur ce thème, je peux désormais proposer ce livre. Evidemment je ne peux obliger personne à le lire mais ce livre est un geste important que j’ai voulu faire, je pense, aussi pour moi-même." »
Les Femmes journalistes
La journaliste Linda Bartošová a décidé de jeter un regard désabusé sur son métier. Dans son livre intitulé Novinářky - Les Femmes journalistes paru aux édition Computer Press, elle a réuni une dizaines d’entretiens avec les femmes qui se sont imposées dans la presse parlée et écrite en République tchèque, dont les noms sont connus du grand public, qui animent des émissions à la télévision ou qui dirigent de grandes maisons médiatiques. Le résultat est un tableau étonnant de la presse vue par le prisme des femmes qui parlent ouvertement de leur travail, de leur vie, des problèmes qui se sont accumulés dans leur carrière, de leurs illusions perdues et de leurs expériences réelles de travail. Karolína Břinková qui est spécialiste du marketing , estime que la portée de ce livre dépasse largement le domaine de la presse :
« Il me semble que les expériences dont on parle dans ces entretiens pourraient être profitables dans tous les milieux de travail, partout où nous travaillons. Face aux questions posées dans le livre par Linda Bartošová, je me suis demandée quelle était ma propre situation, comment je réagirais dans les situations évoquées dans ces entretiens, s’il était possible de combiner le travail et la famille, comment aborder dans les milieux de travail les problèmes du genre, où se trouvait ce qu’on appelle le plafond de verre, etc. »
Une île
Et pour terminer, voici un livre de Bianca Bellová, auteure qui s’est imposée dans la littérature tchèque il y a quelques années par son roman Le Lac, une vision dystopique de notre monde dévasté. L’ouvrage qui a été proclamé Livre de l’Année 2017, a remporté aussi le Prix de l’Union européenne et a été traduit en plusieurs langues. La traduction française du roman est sortie aux éditions Mirobole sous le titre Nami.
Le dernier livre de Biaca Bellová intitulé Ostrov - Une île qui est sorti aux éditions Host, est cependant bien différent de ses œuvres précédentes et on pourrait même dire qu’il marque un tournant dans sa carrière littéraire. Il apparaît comme une espèce de conte de fée, un conte assez cru, mais quand même un récit inspiré par les contes des Mille et une nuits. Bianca Bellová amène le lecteur sur une île où règne la princesse Núrit qui n’arrive pas à se rassasier des légendes racontées par un marchand boiteux. C’est une mosaïque de petits récits tantôt cruels, tantôt réconfortants ou amusants, mais ces éléments au premier abord disparates composent finalement un tout, une structure, la charpente du roman. Et sous les éléments de cette mosaïque, le lecteur perçoit la recherche intense d’un principe moral qui pourrait régir nos vies. Bianca Bellová affirme que c’est un livre sur les aspects importants de notre existence. Il est raconté avec une certaine rudesse, mais aussi avec désinvolture, avec humour et avec plaisir. Ce changement de ton chez une auteure considérée comme sombre et pessimiste a surpris de nombreux lecteurs dont la journaliste Thea Kučerová :
« C’est quelque chose que personne n’attendait de la part de Bianca Bellová. L’atmosphère de ses premiers livres était assez sombre et dépressive et cette fois-ci, elle a écrit quelque chose qui évoque une légende chevaleresque inspirée par Tolkien, un récit plein de mythes orientaux. Parmi les personnages du livre, il y a la princesse Núrit et le marchand Izar qui raconte des histoires. C’est quelque chose comme une ode, comme un hommage rendu à l’art du récit, à l’art de raconter des histoires, des mythes et des légendes. »
C’était donc un court aperçu de quelques ouvrages tchèques parus cette année, rien que quatre tentatives d’attirer votre attention sur les titres qui ne devraient pas passer inaperçus dans la surproduction des livres tchèques. Nous aurons sans doute l’occasion de reparler encore de ces livres et de leurs auteurs d’une façon plus détaillée dans le cadre de cette rubrique.