Quand les aviateurs tchécoslovaques participaient au raid de Dieppe
Il y a 80 ans était lancée l’opération Jubilee, une attaque des Alliés sur le port de Dieppe, en Normandie, visant à tester les défenses d’un port en vue d’un débarquement. Plus de 6 000 soldats de huit pays participèrent à cette attaque qui s’avéra un échec sanglant, particulièrement meurtrier pour les soldats canadiens. De nombreux pilotes tchécoslovaques engagés dans la RAF ont également participé à ce raid préfigurant le Débarquement de 1944.
Le 19 août 1942 à 3 heures du matin, ce sont 150 navires qui traversent la Manche. Peu de temps avant 5 heures, les troupes canadiennes épaulées par des commandos britanniques, des rangers américains et des forces françaises du commando Kieffer débarquent sur la côte normande de part et d’autres du port de Dieppe.
« Ils ont été pris pour cible à l’est comme à l’ouest sur les hauteurs de Dieppe. Il y avait des snipers, des mitrailleuses sur le front de mer. Ils ont été pris à partie dès qu’ils ont posé le pied sur les galets. Ils ont subi énormément de pertes à ce moment-là. »
Cyrille Marie est historien, il vient de sortir un livre intitulé : Au cœur du Royal Hamilton Light Infantry dans la tragédie de Dieppe, consacré au destin des plus de 500 soldats canadiens de cette unité qui a payé le prix fort en termes de pertes. Il revient également sur les objectifs premiers de cette opération qui, en quelques heures, coûta la vie de 1 200 soldats, fit 1 600 blessés et 2 000 prisonniers. Un échec, mais qui fournit aux Alliés des connaissances cruciales pour le Débarquement en Normandie deux ans plus tard. Cyrille Marie :
« En fait, c’était pour tester la défense allemande. C’est aussi pour cette raison qu’on n’appelle pas cela un débarquement mais un raid. C’était pour tester et détruire certaines défenses précises des Allemands, et pourquoi ne pas revenir avec des dossiers secrets ? C’est pour cela qu’ils ont planifié cela sur un littoral assez large. Pour ‘satisfaire’ en quelque sorte Staline et commencer à tâter le terrain côté allemand, Churchill a proposé ce raid qui avait été refusé quelques mois auparavant. »
Le raid terrestre est appuyé par des escadrilles dans les airs. Parmi les aviateurs de la Royal Air Force, des pilotes tchécoslovaques engagés dans l’armée de l’air britannique, comme le rappelle l’historien tchèque Jiří Rajlich :
« Ils pilotaient des avions de chasse. C’étaient des membres des escadrons tchécoslovaques 310 et 312. Il y avait deux officiers ayant combattu dans les rangs des deux escadrons britanniques, František Vancl et Jiří Maňák. A cette époque, ils étaient déjà commandants d’escadron. Une quarantaine de pilotes a participé à cette opération. Mais il ne faut pas oublier aussi le travail majeur effectué par les forces terrestres. Un escadron comptait toujours 26 pilotes qui se relayaient. Par exemple, les deux escadrons tchécoslovaques au-dessus de Dieppe ont effectué trois vols de combats. »
Réputés pour leur excellence, les aviateurs tchécoslovaques ont eu plus de chance lors de ce raid que leurs camarades débarqués sur les plages autour de Dieppe :
« Je pense que les Tchèques étaient les mieux lotis de toutes les différentes nations engagées dans la RAF qui comptait aussi des Français, des Polonais, des Belges etc. Ils ont remporté un certain succès en abattant 23 avions allemands. Mais surtout, contrairement aux représentants d’autres nations de la RAF, ils n’ont perdu aucun pilote dans l’action, alors que l’armée de l’air britannique a accusé de nombreuses pertes avec plus d’une centaine d’avions touchés. »
Parmi ces as de la voltige, le nom d’un pilote tchécoslovaque se distingue, celui de Miroslav Liškutín, comme le rappelle encore Jiří Rajlich :
« Pour ce qui est de la participation des Tchécoslovaques au raid de Dieppe, la figure de Miroslav Liškutín se détache. Je dois dire que c’est tout à fait justifié. Il a participé à deux opérations. La première, vers midi, consistait à protéger les plages où avaient débarqués les soldats alliés. Il a combattu des Focke Wulf allemands qui étaient en supériorité numérique. Il est retourné à la base presque par miracle, avec un énorme trou dans son aile causé par un canon de Focke Wulf. Néanmoins, il a réussi à gérer cette situation critique. A peine revenu, il est reparti et a effectué son troisième vol de combat de la journée. Il a abattu un bombardier allemand Dornier qui tentait d’attaquer un convoi allié qui battait en retraite. Donc il a sauvé la vie de nombreux soldats alliés. Ces épisodes sont documentés : il existe en effet une célèbre photo de Ladislav Sitenský, photographe au sein de l’escadron 312 et qui a pris une photo du fameux trou dans l’aile du Spitfire. »
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Plus de 2 500 aviateurs tchécoslovaques se sont engagés dans la Royal Air Force pendant la Deuxième Guerre mondiale, dont une grande majorité avait rallié la Grande-Bretagne après l’effondrement français face à l’armée allemande et la demande d’armistice du gouvernement en 1940.
Combattant jusqu’à la Libération, se distinguant par un « palmarès impressionnant », selon l’historien Paul Lenormand, spécialisé dans l’histoire de l’armée tchécoslovaque, les pilotes tchécoslovaques et leurs exploits sont tombés dans l’oubli notamment en raison des persécutions dont ils firent l’objet par le régime communiste.
Leur histoire héroïque a été filmée en 2001 par le réalisateur Jan Svěrák dans son long-métrage A Dark Blue World. Un documentaire intitulé Good Old Czechs, rappelant leur mémoire, doit sortir à la mi-septembre dans les salles tchèques.