Les Tchèques auront-ils assez de gaz pour passer l’hiver ?
Avant même la venue de l’émir du Qatar, qui a été reçu avec tous les honneurs à Prague mercredi pour discuter investissements et énergie avec ses hôtes, le ministre du Commerce et de l’Industrie s’était voulu rassurant en début de semaine quant aux réserves de gaz de la République tchèque à l’approche de l’hiver. Malgré la suppression des livraisons russes depuis le mois de septembre, les réservoirs sont actuellement remplis à près de 90 %. Combiné au plafonnement des prix, ce stockage doit permettre aux Tchèques d’envisager sereinement les mois à venir.
C’est un lieu traditionnellement très apprécié des visiteurs d’Harrachov, plus particulièrement l’hiver venu. Mais qui, à compter du 1er novembre, restera fermé au moins jusqu’à la mi-janvier. En raison de l’envolée des prix du gaz, la production de la verrerie de l’une des principales stations de montagne des monts des Géants, dans le nord du pays, va en effet être interrompue. Lundi, son propriétaire a informé que le four de la plus ancienne verrerie au monde, fondée il y a 310 ans, sera progressivement éteint. Il en ira de même pour la microbrasserie, plus récente, elle, qui se trouve dans le même bâtiment, et au total, ce sont près de 90 employés qui seront ainsi mis au chômage, avant, comme tout le monde l’espère, d’être réembauchés en début d’année prochaine.
Avec une activité – l’industrie du verre – particulièrement énergivore, les exploitants de la verrerie d’Harrachov ont expliqué qu’ils ont été contraints, cette année, d’acheter du gaz à des prix spot de 200 euros par mégawattheure (MWh) en moyenne. En revanche, pour les tarifs obtenus pour 2023, leur montant sera nettement inférieur, puisqu’il sera redescendu à 26 euros. Une baisse qui devrait donc permettre la reprise de l’activité.
L’exemple de la verrerie d’Harrachov illustre le caractère des craintes qui règnent actuellement dans l’ensemble de l’industrie tchèque. Plus que la peur de voir le gaz venir à manquer, c’est son prix qui inquiète les entreprises. Et ce pas uniquement donc dans la perspective d’une éventuelle pénurie, mais aussi pour une autre raison, comme l’a souligné, lundi soir, sur le plateau de la Télévision tchèque, le président de la Chambre de commerce de République tchèque, Vladimír Dlouhý :
« J’ai des doutes aussi sur la solidarité européenne. Car que ferons-nous si l’Allemagne se retrouve vraiment contrainte d’envisager un système de rationnement du gaz ? Dans quelle mesure les tuyaux resteront alors libres pour nous aussi ? C’est une question que je me pose et qui m’inquiète. Si tel était le cas, il y aurait alors une forte hausse du prix du gaz. Les experts me disent que nous devrions prier pour qu’il ne fasse pas trop froid en octobre et en novembre. Par le passé, lorsqu’octobre et novembre ont été doux, les prix du gaz n’ont pas augmenté. Nous savons donc ce que nous avons à faire : prier ! »
Fin septembre, le gouvernement allemand a annoncé un plan à 200 milliards d’euros pour, entre autres, subventionner la consommation de gaz jusqu’à un certain seuil pour ses citoyens et ses entreprises. Un comportement jugé égoïste et déloyal par les autres pays membres, qui craignent que ces mesures ne faussent la concurrence à l’intérieur de l’Union européenne.
De son côté, mercredi, le gouvernement tchèque a fixé par décret les prix maximaux de l’électricité (6 000 CZK (240 euros)/MWh) et du gaz (3 000 CZK (120 euros)/MWh). Ce plafonnement, qui concernera aussi bien les particuliers que les entreprises et les services publics, s'’appliquera tout au long de l’année prochaine, et la mesure devrait se répercuter dans les factures d’énergie dès le mois de novembre. Pour ce qui est du gaz plus concrètement, ce plafonnement s’appliquera aux entreprises dont la consommation annuelle ne dépasse pas 4 200 MWh, autrement dit essentiellement les PME.
Assurément pas de quoi sauter au plafond, même si, lundi, soleil aidant peut-être, le ministre du Commerce et de l’Industrie s’est déclaré relativement optimiste quant aux mois à venir pourtant tant redoutés par beaucoup. Même si lui aussi est bien conscient que de la rudesse ou, au contraire, de la douceur de l’hiver dépendra en grande partie l’évolution du prix du gaz, Jozefa Síkela assure que, pour l’instant, l’heure n’est pas au catastrophisme :
« Bien que nous soyons actuellement dans la seconde moitié d’un mois de septembre la plus froide depuis 2018, et bien que nous ne recevions plus de gaz russe depuis le début du mois de septembre, les livraisons actuelles nous permettent non seulement de couvrir la consommation quotidienne dans le pays, mais aussi de continuer à remplir les réservoirs. »
Actuellement, le gaz arrive en République tchèque depuis la Norvège, mais aussi grâce au nouveau terminal de gaz naturel liquéfié dans le port d’Eemshaven aux Pays-Bas. Ce nouveau terminal a été inauguré au début du mois de septembre en présence du Premier ministre tchèque, après qu’en juillet dernier, le gouvernement a obtenu de pouvoir exploiter une capacité annuelle de quelque 3 milliards de mètres cubes.
Le ministre a également appelé les Tchèques à continuer à limiter leur consommation de gaz. Au cours des huit premiers mois de cette année, celle-ci a ainsi déjà été inférieure de 18 % à celle de 2021, une époque révolue où le gaz, au même titre par exemple que l’eau qui coule du robinet, apparaissait encore comme un produit de consommation tout ce qu’il y a de plus courant. Mieux même, selon de nouveaux chiffres communiqués ce jeudi, la consommation de gaz en République tchèque a chuté de 20 % en glissement annuel au cours du troisième trimestre, et ce y compris après ajustement des conditions météorologiques.