En Tchéquie, vers un changement de législation pour renforcer l’indépendance de l’audiovisuel public
Les députés tchèques ont soutenu, mardi, un amendement proposé par la coalition gouvernementale visant à renforcer l’indépendance de l’audiovisuel public. Appuyé par une lettre ouverte de plusieurs organisations de défense des journalistes, dont Reporters Sans Frontières et IPI, l’amendement est critiqué par l’opposition, notamment par l’extrême-droite.
Les années 2020 et 2021 n’ont pas été seulement marquées par la pandémie en Tchéquie mais aussi par des craintes liées aux menaces pesant sur l’indépendance de la Télévision publique tchèque (et dans une moindre mesure sur la Radio tchèque). Preuve de ces tensions, à deux reprises déjà, l’Union européenne de radio-télévision (UER-EBU) s’était alarmée de la situation liée notamment à son conseil de surveillance dont une partie des membres avait été renouvelée au printemps 2020. En cause notamment, l’élection au sein de ce conseil de personnalités ne cachant pas leur vision critique de l’institution même qu’ils sont censés contrôler.
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Cette crise du fonctionnement interne d’un organe censé être l’émanation du public contrôlant l’audiovisuel qu’il finance avait été incarné notamment par Hana Lipovská, une économiste proche des milieux conservateurs et dont le mandat a été révoqué depuis pour cause d’engagement politique. En 2021, alors que le gouvernement d’Andrej Babiš (ANO) était encore au pouvoir, RPI en avait discuté avec Vojtěch Berger, journaliste au sein du média en ligne indépendant HlidaciPes.org, qui assure une veille constante de la scène médiatique tchèque. Il nous avait expliqué comment il était possible que la composition de ces conseils de surveillance soit si peu pluraliste et caractérisée par la présence de personnalités hostiles aux médias publics :
« C’est un travail qui est rémunéré, rappelons-le car c’est important. Ce n’est pas un acte de charité. Les candidats savent très bien combien d’argent ils vont gagner chaque mois. Pourquoi des personnes suspicieuses du fonctionnement des médias publics candidatent-ils ? Il faut revenir à la politique. Honnêtement, je ne pense pas qu’une personne ordinaire a soudain l’idée de devenir membre du conseil de surveillance de la Télévision tchèque… Il y a en général quelqu’un, via ces fameuses associations, qui vous sélectionne. Ou alors il y a des candidats qui sont vraiment intéressés et qui vont chercher une association qui va les soutenir. Mais la politique joue toujours un rôle ici. Si vous êtes un outsider sorti de nulle part, que vous voulez faire partie du conseil et que vous avez ces doutes vis-à-vis des médias publics ou du directeur de la TV tchèque, vous n’arriverez à rien sans un soutien politique. Donc tout candidat doit avoir des contacts, des réseaux, des amis en politique. En Tchéquie, ces dernières années, la coalition électorale qui a élu les candidats les plus controversés est composée du parti gouvernemental ANO d’Andrej Babiš, du parti communiste et du parti d’extrême-droite de Tomio Okamura. »
Le changement de gouvernement a amené la nouvelle coalition au pouvoir à, comme le stipulait son programme, préparer et présenter un amendement visant changer la loi dans le but de renforcer l’indépendance de l’audiovisuel public dans son ensemble.
Actuellement, les conseillers de la Télévision et Radio tchèques sont élus exclusivement par la Chambre des députés. Selon le projet, les députés choisiraient 12 membres du conseil de la télévision et les sénateurs six. Le nombre de membres du conseil de surveillance de la TV tchèque augmenterait donc de trois pour atteindre un total de 18. Selon l’amendement, la chambre basse élirait désormais six membres au Conseil de surveillance de la Radio tchèque et les sénateurs en éliraient trois. L’amendement ne modifie pas le nombre de membres du conseil de la Radio, qui reste fixé à neuf.
Dix voix au moins sont actuellement requises pour élire ou révoquer le directeur général de la Télévision tchèque et six voix au moins, ce que l’on appelle la majorité qualifiée spéciale, pour le directeur général de la Radio tchèque. En vertu du nouvel amendement, une telle décision nécessiterait dorénavant une majorité qualifiée simple de tous les membres des conseils de la TV et Radio tchèques.
Cela fait de nombreuses années que des débats ont lieu sur une refonte de ce système d’élection des membres des conseils de surveillance, les réflexions menant notamment à regarder du côté du voisin allemand. L’idée d’impliquer le Sénat tchèque a aussi fait son chemin, jusque dans cet amendement. Vojtěch Berger expliquait il y a un an pourquoi :
« Si le Sénat entrait en jeu, l’élection des membres ne refléterait plus uniquement la composition de la Chambre basse du Parlement qui correspond à celle du gouvernement. Le Sénat, lui, a un mandat de six ans, les personnes sont élues sur d’autres critères que l’appartenance partisane. Donc une élection au conseil de surveillance des médias publics avec la participation du Sénat serait tout-à-fait différente de ce qui se passe aujourd’hui. »
Plusieurs organisations internationales de défense des journalistes, dont Reporters Sans Frontières et IPI, se sont associées pour appeler les députés à soutenir l’amendement en question. Rappelant les pressions subies par la Télévison tchèque, la lettre ouverte soulignait qu’en dépit de celles-ci, l’institution restait un « modèle d’audiovisuel indépendant en Europe centrale et orientale ». Si le changement de modèle d’élection des membres des conseils de surveillance est une première étape, les organisations rappellent qu’il doit être suivi par « un projet de loi secondaire prévoyant un financement durable et à long terme de la Télévision tchèque et de la Radio tchèque, qui sont toutes deux confrontées à de sérieuses réductions de leurs budgets et de leurs effectifs. »
En cause ici, la redevance audiovisuelle dont le montant n’a pas été augmenté depuis plus de 15 ans et que ces organisations appellent à indexer sur l’inflation. Or celle-ci a fait l’objet depuis plusieurs années de tentatives répétées pour être supprimée ou limitée. Là aussi, tout comme pour l’amendement soutenu hier et qui doit être désormais examiné par un comité chargé des médias, ces efforts sont exclusivement issus des rangs de partis populistes ou d’extrême-droite, aujourd’hui encore très représentés dans les conseils de surveillance, peut-être moins demain si l’amendement est définitivement adopté.